Cela avait surpris Béatrice que Dorian la contacte pratiquement le lendemain pour le portrait. La demoiselle avait pensé qu’il aurait attendu quelques jours avant de lui envoyer un message. Ils s’étaient donnés rendez-vous au quartier général de leur classe, puisque visiblement, ils faisaient partis de la même. Ainsi, deux jours après leur rencontre, ils se voyaient de nouveau. Béatrice était plutôt anxieuse de cette rencontre. Elle avait, bien entendu, tout raconté à son grand frère. Grand frère qui était fière de sa petite sœur. Il avait également bien hâte de voir ce fameux portrait. Il ne lui avait même pas laissé le choix ; elle devait AB-SO-LU-MENT leur montrer le résultat une fois terminé. Béatrice avait soupiré, une peu lasse. Bien sûr qu’elle leur montrerait, à lui et leur mère. Son grand frère l’avait même taquiné sur le sujet, faisant que la blonde avait gonflé les joues et couper court à la conversation.

Tout cela pour revenir à cette journée. En temps normal, après le repas du soir, Béatrice retournait dans sa chambre pour lire tranquillement un peu tout et n’importe quoi, sauf si un devoir était à remettre pour le lendemain – quelle utilité de faire les devoirs d’avance en vrai ? –. Cette fois-ci, elle se dirigeait plutôt vers le quartier général. Bien entendu, elle était anxieuse, assez anxieuse pour arriver en avance au point de rendez-vous ! Une avance de quelques minutes tout simplement, il ne fallait pas trop exagérer non plus. Elle avait hésité un moment sur ce qu’elle devait porter le matin même. Elle avait opté pour un chandail gris, une jupe bourgogne et un leggin noir. Tout ce qu’il y avait de plus simple. Béatrice avait, dans ses mains, un petit sac, contenant quelques desserts. Quelques biscuits, chocolats et petits gâteaux, rien d’extraordinaire, mais elle espérait que cela fasse un peu plaisir à l’artiste. C’était sa façon de le remercier, tout simplement. Et cela lui permettrait peut-être de grignoter pendant qu’il ferait son portrait.

Béatrice trouvait Dorian un peu étrange, mais elle ne le lui avait pas dit, bien entendu. Elle n’était pas certaine de savoir ce qui le rendait aussi particulier. C’était peut-être cette impression qu’il avait, d’avoir la tête dans les nuages. D’un autre côté, elle n’était guère mieux. C’était avant tout ce qu’il dégageait. Même si, Béatrice devait bien avouer qu’elle n’avait pas trop l’habitude de discuter avec des inconnus, bien que cela lui soit arrivé quelques fois depuis son arrivée à Swish.

Un peu nerveuse, Béatrice entra dans le QG. Elle y chercha Dorian, mais ne le vit pas. Intérieurement, elle se disait que c’était une bonne chose. C’était la première fois qu’elle mettait les pieds ici et découvrait le lieu qui semblait plutôt calme. La demoiselle sentit une boule au creux de son ventre, lui faisant refléter son stress qu’elle avait. Pour patienter, elle s’installa sur l’un des coussins placer au sol, pas trop loin de la cheminée qui crépitait un peu et lui apportait de la chaleur. Bien installée, elle se retient pour ne pas fermer les yeux et siester ici… L’envie était forte pourtant. Elle se mit à attendre Dorian, lisant tranquillement le livre qu’elle trainait ses temps-ci dans son sac.  

Il n’avait pas fallu beaucoup de temps à Béatrice pour plonger de nouveau dans le récit qu’elle lisait. Elle était absolument fascinée par sa lecture et n’avait pas du tout entendu les bruits de pas qui venaient dans sa direction. À vrai dire, tout l’univers avait probablement cessé de bouger au moment même ou la demoiselle avait poser ses yeux sur les premiers mots de la page à laquelle elle était rendue. Un monde qu’elle avait quitté pour en rejoindre un second, merveilleux, mystérieux, dans lequel elle pouvait être une autre personne, un personnage parmi tant d’autres.

La demoiselle ignorait comment Dorian était arrivé au-dessus de son épaule. Probablement un peu comme par magie. À moins qu’il eût sa propre cape d’invisibilité ? Chose certaine, c’était qu’elle ne l’avait pas du tout venu approcher. C’était quelque chose d’étrange, comme un souffle qu’elle avait senti dans son cou, comme une présence également, derrière elle. Combien de temps il était resté installé ainsi à l’observer ou observer ce qu’elle lisait. Dans tous les cas, ça l’embarrassait légèrement et ce fut les joues rouges qu’elle leva son regard en sa direction. Ne sachant pas où se mettre, Béatrice voulut détourner le regard, se plonger dans une certaine honte, mais le sourire du jeune homme la rassura. Elle lui offrit même un sourire, un peu timide, mais un sourire tout de même.  

- Bonsoir, dit-elle alors qu’il redressait.

Hésitant un court moment, Béatrice ferma son livre, non sans avoir mis son marque-page à l’endroit où elle était rendue. Cela aurait été une vraie horreur de refermer le bouquin sans avoir pris soin de faire ce geste indispensable. Surtout qu’elle avait absolument perdu le fil et ne savait plus trop le numéro exact de sa page. Incertaine, elle se mit debout, se balançant légèrement sur ses pieds, alors qu’elle ne savait pas ce qu’elle devait faire, dire, tout au final. Dorian prit le temps de s’assurer que cela l’embêtait pas du tout et le sourire de Béatrice s’élargit légèrement. Bien sûr que non, il ne l’embêtait pas pour ses plans. Ses plans étaient inexistants si ce n’était que de poursuivre la lecture de son livre ou encore regarder un film ou une série sur Netflix. Rien de palpitant. En aucun cas, c’était une soirée pour faire des travaux ou des devoirs. Béatrice avait la tête surchargée avec ses cours de la journée et avait tellement la flemme de faire quoi que ce soit d’éducatif. La demoiselle tenta de se faire rassurante.

- Non, pas du tout… Je n’avais rien de prévu.

Par contre, pour ce qui était de commencer cette séance, Béatrice ne savait pas trop. En fait, oui, elle avait bien envie de commencer, mais elle ne savait pas quoi faire exactement. Elle se trouvait idiote pendant un moment d’être plantée debout comme ça, tel un arbre, visiblement. Enraciner dans le plancher de la cabane… Puis, il y avait également le sac. Sac qu’elle tendit bien rapidement.

- C’est pour toi. Cadeau. On peut commencer, tu veux que… Je me place où ? Comment ? Tout ça quoi...

Béatrice devait ressembler à un piment avec la tête qu’elle faisait. Elle avait balancer les deux trucs gênants qu’elle voulait dire en même temps. Ce devait être un peu confus pour Dorian d’ailleurs, du moins, c’était l’impression que la blonde avait. Comme toujours Béatrice avait cette forte envie de se cacher, mais ne fit que finalement détourner les yeux, ses doigts serrant un peu plus le sac que Dorian allait prendre tôt ou tard.

Peut-être qu’elle n’aurait pas dû. Au fond d’elle, Béatrice se disait qu’elle n’aurait vraiment pas du lui apporter quelque chose. Peut-être que ça aurait été mieux si elle avait attendu, après qu’il ait terminé tout ça. C’était un semblant d’empressement qui l’avait gagné lorsqu’elle avait mis tous ces délices dans le sac. Au fond d’elle, bien qu’il l’eût remercié, Béatrice se sentait un peu déçue. Elle fit un effort pour cacher tout cela, ils avaient beaucoup plus important à faire après tout.  

D’ailleurs, Dorian lui donnait les instructions. Prendre une pose normale… C’était quoi… Une pose normale ? Confortable, elle le voulait bien, ce ne serait pas très compliqué, mais normale… Du moment qu’il avait dit cela, la demoiselle se disait que peu importe la pose qu’elle prendrait, elle ne serait pas normale. Elle ressemblerait seulement à un pantin, confus, qui se demande bien ce qui fiche ici… Quoi que les pantins n’eussent aucunement besoin de se poser des questions existentielles. Ils n’avaient qu’à faire leur rôle.

Dorian avait désigné le canapé. Cela lui convenait. Elle serait effectivement confortable. D’ailleurs, elle s’y dirigea et s’assit. Ça serait quand même bien, comme ça, assise… Elle pourrait peut-être prendre son livre et lire pendant qu’il peindrait ? Sauf que Dorian ne semblait pas avoir cette idée en tête. Il voulait qu’il la regarde.

Elle serait bien capable de le regarder ? Non ? Oui ? Il y avait de fortes chances. Après tout, ce n’était qu’un moment à passer. Il était bien un peu bizarre, mais aucunement méchant. Lissant doucement sa jupe sur ses cuisses, Béatrice releva le regard et eut un petit sourire. Bien qu’elle fût timide, elle voulait vraiment le faire. Être capable de regarder quelqu’un assez longuement, elle n’allait pas en mourir après tout. Béatrice voulait être courageuse.

- Je peux te regarder… Ça devrait aller.

Après avoir pris une bonne inspiration, Béatrice posa ses yeux sur Dorian. D’abord sur son équipement de peinture, puis sur lui directement. Béatrice se demandait où regarder exactement. Ou regarder pour que ça ne soit pas gênant. L’une de ses mèches de cheveux attira son attention et la demoiselle posa son focus dessus. Voilà, comme ça, ça allait du moins pour le moment.  

Le sourire de Béatrice restait doux, malgré le moment gênant, elle se sentait assez bien, calme. Ils pouvaient parler et surtout, elle pouvait prendre le temps de respirer. Tout allait bien aller. Dans sa tête, une douce chanson jouait.  

- Mmh… Je ne sais pas trop…, elle allait pour poser son index sur son menton, mais arrêta son mouvement à mi-chemin, se rappelait qu’elle ne devait pas bouger. C’est pas mal comme tu veux, en fait. Tu as une idée du temps que ça va te prendre ? Ce n’est pas que je suis pressée ou quoi que ce soit… C’est surtout parce que je me demande combien de temps ça peut prendre afin de réaliser une œuvre…

Et probablement parce que c’était quelque chose qui fascinait Béatrice. Le processus d’un artiste, d’un créateur, d’un inventeur avait quelque chose d’absolument fascinant pour elle. Elle qui avait rarement des idées, sauf peut-être lorsque venait le temps de créer des mondes fantastiques, des personnages, des univers qui étaient en dehors du contrôle de ce monde réel.  

Bien que le moment fût propice à la discussion, il semblerait que ce n’était pas non plus la meilleure des idées. Les mots de Béatrice étaient restés suspendus dans les airs, personne ne semblait les avoir entendus. Elle avait presque l’impression que c’était comme ces moments qu’elle appelait son frère et qu’il ne répondait pas parce qu’il était un peu trop occupé à autre chose, lire un message, ou tout simplement parce que l’application avait planté. Instinctivement, Béatrice s’en mordit légèrement la lèvre inférieure, avant de se dire que ce n’était pas bien grave si Dorian ne lui répondait pas. Il devait être dans son monde, un monde de couleur et de forme, un monde où il n’y avait que lui seul, sa toile, ses pinceaux et les tubes de couleur. Un monde qui les séparait. Béatrice ne chercha plus à y entrer, le laissant faire ce qu’il souhaitait, brosser la toile, la chatouiller avec les fins poils des pinceaux.

Le silence s’étai installé et Béatrice s’y était un peu fait à l’idée. Une idée que finalement, parler, n’était pas vraiment une bonne chose. À sa grande surprise, il finit par ouvrir la bouche pour lui répondre. Peut-être qu’il avait tout simplement oublié au final ? Comme s’il était trop concentré par la fenêtre sur le monde qu’il était en train de faire. En même temps, la blonde n’avait pas à s’attendre à une réponse des plus précises. Elle savait déjà qu’il y avait un bon nombre de facteur qui influait sur le temps de réalisation d’une toile, sans plus. Et ce fut ce que l’artiste lui confirma. Allant pour

- Oh… Je vois… Je comprends.

Le temps n’était pas si important au final. Elle se disait que ça prendrait le temps qu’il faudra. Probablement que Dorian voudrait la voir à une autre occasion pour la terminer… Sauf s’il avait une bonne mémoire et qu’il n’eut pas besoin d’elle au final.  Dans tous les cas, Béatrice ne savait pas trop comment elle voulait prendre l’information et préféra se concentrer sur autre chose qu’une possible déception. Dans sa tête, des notes de musiques dansaient, lui rappelant une mélodie d’Erik Satie qui lui plaisait particulièrement et qui était dans cette playlist de chansons apaisantes que son frère lui avait faite, il y a un moment de cela. Un peu perdue dans ces notes, elle sursauta légèrement lorsque Dorian lui demanda si elle avait déjà essayé de faire de la peinture. Béatrice leva les yeux vers le plafond, réfléchissant à la réponse. Une réponse assez vague.

- Non… Enfin, oui… Sauf ça fait très longtemps… Quand j’étais enfant… je crois que c’était de la gouache… peut-être de l’acrylique, je ne me souviens plus trop… Mon frère m’en avait offert une fois. Mais je ne suis pas très bonne pour peindre… Ou même dessiner… Ce n’est pas trop mon truc…

Se trouvant un peu maladroite, Béatrice ne put s’empêcher de passer une main à l’arrière de ses cheveux, qu’elle frotta légèrement, avec un petit sourire naïf. Reposant délicatement sa main comme dans sa pose initiale.

- Mais j’aime son histoire. L’histoire des grands peintres, des peintures célèbres, ce genre de chose… Tu as peut-être déjà remarqué, ajouta-t-elle avec un petit rire.  

Si de toutes ses explications, Béatrice s’était attendue à parler de son frère… Ce n’était pas du tout le cas. La demoiselle écartilla les yeux, partagée entre de multiples sentiments. Celui de la tristesse de ne pas l’avoir avec lui, ce manque qui lui donnait envie de l’appeler immédiatement et cette envie que Béatrice avait de surpasser cette épreuve, d’être loin de lui. Si elle réussissait, l’étudiante était certaine qu’il serait fier d’elle.

- Oui… Enfin oui et non. J’ai bien un frère, mais il n’est pas ici…Il est resté avec notre maman. J’aurais bien aimé qu’il soit ici à vrai dire, il me manque beaucoup.

Le cœur de Béatrice se serra légèrement, alors qu’elle repensait à son grand frère. Il lui manquait terriblement ! La demoiselle eut un regard triste durant un moment. Cela aurait facilité certaines choses que Félix soit avec elle. Il avait toujours été avec elle, après tout. C’était lui qui la disputait lorsqu’elle faisait un pas de travers, mais également lui qui trouvait les doux mots pour l’apaiser lorsque rien n’allait. Son grand frère elle l’adorait plus que tout et ne savait pas comment elle pouvait bien exprimer tout cela à Dorian. Aucun mot ne semblait convenir pour décrire ce qu’elle ressentait lorsqu’elle pensait à lui. Il n’était pas seulement un frère, mais un ami, un confident. La tête de Béatrice se baissa momentanément, alors que la blonde ressassait tout cela.  

La voix de Dorian ramena Béatrice à la réalité, lui parlant d’art et d’histoire de l’art. La dernière phrase de l’artiste fit doucement sourire la demoiselle. Deux opposés. Spontanément, cela donna une idée à Béatrice qui ne prit pas le temps de réfléchir avant de dire :

- Si tu veux, une journée on pourrait aller au musée, quelque chose comme ça… Enfin, je dis ça, mais je ne suis même pas certaine qu’il y ait un musée d’art ici… Enfin, je veux dire que si tu as besoin d’en apprendre un peu plus sur l’histoire de l’art… Je peux t’aider… Je ne voudrais pas te forcer ou rien.  

Un peu rouge, Béatrice détourna le regard, plus elle réfléchissait à sa proposition, plus elle trouvait cela complètement idiot de lui proposer d’aller au musée. Dorian devait bien préférer peindre ou s’attarder à son propre art plutôt que celui des autres ? De nouveau, le silence s’installa, Béatrice voyait bien que Dorian n’était pas désintéressé, seulement occupé avec sa peinture et les silences étaient un peu moins inconfortables, le plus temps passait. Après quelques minutes qu’on entendait que les autres camarades de la classe C présents parler en fond et que Dorian faisait ses coups de pinceaux alors que la demoiselle se tenait immobiles, l’artiste lui lança quelque chose d’assez inattendu. Ne sachant pas comment réagir, Béatrice s’exclama :

- Me sentir bizarre !? Comment ? Je veux dire… Pourquoi ça serait le cas ? Tu vas faire quoi !?

Elle jeta un regard inquiet à Dorian, espérant obtenir une réponse. Pouvant difficilement masquer sa nervosité à ce sujet, Béatrice se mit à se frotter les mains qui étaient devenue un peu moites et cherchait une petite approbation, une parole réconfortante de la part de l’artiste. Sauf que ce dernier ne semblait pas vouloir la regarder. Fort peu pratique pour qu’il la peigne, mais cela ne devait pas trop être grave pour le moment.