Adam examinait les écrans de la cour, ceux jetant sur les jardins de l’académie. Le jour peinait à se lever. Une constatation bien éphémère. Le voile d’obscurité des écrans était, chaque seconde, chassé par un horizon de plus en plus clair. Un battement de paupière le délogea des technologies l’entourant. Et son regard s’abattit sur sa montre numérique : 6h59. Encore moins d’une minute, et lui, en ce beau samedi (selon les précisions de la météo), avait terminé.
 
Machinalement, il se leva de la chaise. Il agrippa sa veste et tira la poignée de la porte. Un grincement…
 
« Tu te fais vieille, n’est-ce pas ? »
 
Peut-être que je devrais rapporter de l’huile demain.
 
Une pensée le traversa après celle-ci, et si quelqu’un avait été présent à ce moment, il aurait remarqué une flamme de décision à l’intérieur. Cette lueur illuminant ses iris bleutés affirmait sans pudeur un nouvel objectif.
 
La tête sur les clés, il tria au volet, avec habilité. Il savait où chercher, laquelle était la bonne. Une habitude. La voûte métallique s'inséra dans la serrure. Rien de bien compliqué. Le tour était joué, plus personne ne pourrait ouvrir - du moins, presque plus personne.
 
En cinq minutes, il avait quitté sa tenue d’agent de sécurité (et avait même donné, comme à son habitude, le trousseau à son chef). Il avait maintenant une tenue plus légère, plus sportive. Et avec le temps qui lui restait - c’est-à-dire tout un samedi -il partait profiter de la douceur de la matinée, et d’un footing.
 
Heureusement, la température était propice. Adam pouvait sortir sans être trop encombré. Il n’avait ni besoin de gants, ni d’écharpes, ni de bonnets. Il aimait ce moment de liberté, être simplement vêtue.
 
Après plusieurs pas dans le long couloir, il atterrit dans la grande cour et se laissa guider sur le chemin circulaire des jardins.
 
Vraiment, le temps était bon. Le bruissement du feuillage réveillait en Adam une envie de s’écraser dans l’herbe, et ne faire qu’un avec la Nature. Le peu de Soleil lui réchauffait le visage (et quand il se mit à courir), il sentait la force de vie dans son dos. Il y avait pourtant quelque chose de “désagréable” (s’il pouvait poser un tel mot). Une sensation étrange, lourde. Il continuait de parcourir le chemin de terre, tout en essayant de savoir d’où venait cette impression.
 
C’était comme si une âme espiègle l’observait. Au cours de sa galopade, il jeta un coup d'œil à droite, dans les nombreux buissons sans vie, et à gauche, dans le contour douteux des arbres, et de leur écorce brune.
 
Tout au long de ses expériences, dans ses services en tant que garde de corps ou d’agent de sécurité, il avait appris à distinguer ce genre d’impression : des regards maladroits, aux observations attentives, et même aux intentions meurtrières.  C’était fou, à quel point, le regard de l’âme était puissant. Capable de laisser une marque physique d’un simple regard. Adam ressentait un souffle derrière son oreille. Il continua toutefois à courir.
 
« Miaowww… »
 
À l’entente du miaulement, Adam quitta son objectif des yeux. Sa tête scruta l’endroit où il pensait avoir entendu le bruit. Après un petit moment à guetter l’invisible, une petite tête poilue sortit des touffes végétales.
 
« Tu es perdu ? »
 
Il s’approcha prudemment du chaton. Assez doucement pour ne pas l’effrayer. Une fois assez proche, ce dernier lui tendit la joue pour une caresse, qu’Adam donna. Il souria devant cette tendresse animale.
 
Mais qu’en était-il de cette impression ?

« Tu aimes les caresses à ce que je vois. Tu en veux encore ? »
 
La peau de velours glissait sous ses doigts, et la vocalisation grondonnante de l’animal lui affirmait qu’il appréciait ce qui se passait. Accroupi, Adam profitait de ce moment pour humer la fraîcheur du matin. La rosée humide ravissait ses narines. Sans soucis, il était capable de différencier les odeurs de l’herbe, avec celles des multiples fleurs et même de la saveur de l’écorce humidifiée. C’était étrange comme l’odeur se mêlait si facilement au goût.
 
La tranquillité du matin, de son moment silencieux à son réveil irrémédiable, Adam aimait tout ça. Il aimait entendre le mouvement flegme du vent parcourir sa nuque lorsqu’il courait. Il appréciait également les parfums de nouvelles roses, plantées quelques jours plus tôt. Des surprises passagères aux rencontres éphémères. Il trouvait une beauté certaine dans toutes ces choses ; et plus encore.
 
Le mouvement du chaton émerga à nouveau l’esprit d’Adam, sortant de sa délectation. Sans mouvement, attentif, il observait la petite créature se glisser entre ses jambes. La queue frétillante de plaisir, au détour d’un coup d’oeil, il pouvait l’apercevoir se balancer de droite à gauche, sans grand effort.
 
« Où est-ce que tu vas maintenant ? »
 
Adam ne réagit pas immédiatement - il aurait voulu, mais quelque chose l’interpella avant. Tel un félin sur ses gardes, il se mua dans le silence. Attentif aux mouvements dans son dos, il tendit ses vibrisses pour capter cette source. Des pas, précipités, s'écrasaient dans des frottements sur le chemin de terre. C’est à ce moment-là que Adam se retourna.
 
Avec attention, l’agent de sécurité fit volte-face à la nouvelle venue. Il ne pressentait pas le danger comme les chats ni ne le distinguait comme un possible danger, mais il restait attentif ; accompagné de cette légèreté déstabilisante. Pendant qu’il observait au loin (pas si loin que ça finalement) la silouhette se rapprocher, l’animal continuait à se frotter entre ses jambes.
 
À un mètre de lui, Adam pouvait maintenant lire ses traits perturbés, et sa poitrine se soulever en des saccades fatiguées. Il lui donnait la nette impression qu’il avait couru comme s’il échappait à la mort… Enfin, c’était la sensation reçue.
 
« Vous allez bien ? »
 
Soucieux de l’état de son arrivant, Adam se rapprocha de lui et l'examina. Il n’eut pas le temps de faire grand chose, l’inconnu réagit aussitôt. À l’entente de ce dernier, les yeux d’Adam s’ouvrirent d’étonnement (note : what are the odds). Après avoir entendu ces mots, il se mit à sourire.
 
« Oh, je vois, commença-t-il calmement. Je n’ai pas fait grand chose. C’est plutôt lui qui m’a trouvé. Heureusement qu’il ne soit pas parti plus loin, se soulagea à dire Adam. »
 
Adam observait silencieusement l’action. Les traits rayonnants de plaisir - les surprises de la vie, comme il le pensait souvent. C’était réjouissant d’apercevoir un tel évènement : un maître qui retrouvait son animal. Encore plus quand il n’y avait plus grand chose qui raccrochait quelqu’un à son chez lui. Peu de monde avait leurs parents ici, et beaucoup d’entre eux vivaient très loin de leur ville natale, sans nouvelle (ou peut-être pas assez). L’inconnu s’empara du chaton, rouspétant quelques mots qui firent rire Adam.
 
« Je suis content que vous l’ayez retrouvé, annonçait Adam. »
 
Il marqua un instant une pause. Il semblait réfléchir.
 
« Est-ce que vous voulez boire quelque chose ? Je vous invite. La cafétéria est ouverte, et je suis sûr qu’elle a de quoi nourrir aussi… Comment s’appelle-t-il ? »

Pendant un court instant, les yeux d’Adam s’étaient arrêtés sur le mouvement de la main de l’inconnu, qui brossait machinalement le poil du chaton. Perdu dans ses pensées, il se disait qu’il devait ronronner de joie sous les caresses reçues. Ainsi, l’agitation ancienne d’un chaton expressif s’était changée en un calme apaisé, presque endormi. La signification qu’il passait un agréable moment dans ses bras.

« Réellement, commença-t-il, je n’ai pas fait grand-chose. Mais je suis content d’être tombé sur Akela. Je n’aurais sûrement pas eu la chance de voir une telle scène, et de faire votre connaissance, même si cela fut court. »

Refus immédiat de son interlocuteur, Adam ne se laissa pas ébranler. En réalité, ce n’était pas surprenant, en l’écoutant, c’était tout à fait normal qu’il ne perde pas de temps. Peut-être aurait-il un jour le plaisir de le revoir, lui et un chaton en pleine forme (peut-être devenu chat) ? Après avoir délivré sa soudaine pensée, il exprima une nouvelle fois un visage plein de douceur.

La vie ici était une sorte de paradis. Adam n’avait connu peu de moment de paix dans sa vie, et s’il devait, avant, créer ces moments ; aujourd’hui, les jours prospères venaient d’eux-mêmes. Dans le fond, il aurait aimé montrer à sa tante ce qu’il était devenu, et où il se trouvait. Lui montrer qu’il avait accédé à un chez-lui, ouvert à son existence, sans avis égoïste et loin des regards de jugement.

Oui, Swish était un paradis pour tous ceux qui le voulaient.

De là où ils se trouvaient, le pensionnat était exactement à l’opposé d’Adam. C’est pour ça, de sa place, le regard d’Adam suivit la personne s’éloigner, emportant Akela, reposé dans ses bras. Élégant dans son mouvement, l’agent de sécurité le salua de la tête, sur le point de partir. Au détour de quelques remerciements, il lâcha également une oscillation de la main. Étrangement, il resta à cette même place. Il attendait peut-être de ne plus voir le dos de l’étranger, de s’assurer qu’il n’aurait soudainement besoin de rien ; ou pour une quelconque autre raison humanitaire.

Et il faisait bien.

À peine quelques pas déjà emboîtés, ce dernier se retourna. À la vue de cette étrange expression, les muscles d’Adam se tendirent, prêt à réagir sous l’instant. Il devint plus vif à l’écoute de ce que ses lèvres avaient à dire, avaient à dévoiler.

S’en sortait-il ? Il se rappelait des rumeurs sur la vidéo, et de cette investigation que lui et bien d’autres camarades avaient réalisé. Dans l’ensemble, tout s’était passé comme ils l’avaient espéré… Mais était-ce assez ? Ses yeux regardèrent son ombre sur le sol. L’était-ce ?

Adam avait beau être un paisible jeune homme, aussi léger que le souffle du vent. Il ne dérogeait pas à la force de l’Inquiétude, aux émois de l’Anxiété, aux surprises des Imprévus. Non, composé malgré tout, Adam restait un homme imparfait, avec des failles. Et ces failles, il tentait de les corriger en faisant du mieux qu’il pouvait. En protégeant ce qu’il aimait, tout comme ce qu’il croyait important. En essayant de réparer les pots cassés de choses qui ne lui appartenaient pas, mais qui étaient… importantes.

Après un instant de silence, où on pouvait lire facilement le début de ses réflexions. Il revivait les événements déroutants de ces derniers moments.

« Non, bien sûr que non. »

Adam releva la tête vers lui, et il sourit. Cette bienveillance n’avait rien de joyeux. C’était un rictus de réconfort, d’un homme qui se montrait fort pour les autres.

« Aucun de ces événements n’a été facile. Moi même, je ne peux pas dire que ça ne m’a pas atteint. Ça nous a tous atteint, d’une manière ou d’une autre. Personne ne devrait vivre avec une telle inquiétude. Ce qu’il se passe, en ce moment, n’aurait sans doute pas dû arriver. C’est un événement qui risque de chambouler… pas mal de choses. »

Adam s’arrêta un moment. Avec légèreté, et de là où il se trouvait, on aurait pu entendre un doux rire, un son qui meurtrit son cœur.

« Merci, je ne m’attendais pas à… dire ces choses. Mais merci. (Il se tut un autre moment, et soudain, dans la lueur de ses yeux, quelque chose s’illumina.) Vous savez ! Tout va se régler. C’est un passage un peu perturbant de nos vies, je le comprends. Mais, tout le monde fait son maximum pour donner un coup de pouce, et tout remettre en ordre. Alors, ne vous inquiétez pas, continuez vos devoirs, ne vous stressez pas. Pour ma part, je ferais tout ce qui est en mon pouvoir pour vous assurer protection et sécurité. Je vous le promets »