D'un geste vif, Hana replaça le gros volume à son étagère, tendit déjà la main vers où aurait dû se situer le suivant... et poussa un soupir appuyé. Elle ne savait pas qui s'amusait à toujours prendre le livre ou journal dont elle avait spécifiquement besoin, mais la jeune femme s'en sentait diablement frustrée. D'ordinaire fervente lectrice, elle se retrouvait mécontentée dans ses envies bien plus souvent qu'à son tour, à se faire couper l'herbe sous le pied par elle ne savait trop qui.

Pour toute splendide que soit les archives de l'académie, certains volumes n'étaient pas en plusieurs exemplaires. La traduction d'un ouvrage russe sur l'ingénierie aéronautique soviétique, par exemple, ne disposait pas de doublon, et le second tome, bien à sa place lorsque l'amatrice avait pris le premier, était maintenant absent. Sans être absolument passionnée par le sujet, il y avait quelque chose de terriblement irritant à se voir coupée dans son élan de lecture technique par un imprévu aussi bête.

- Que mierda...

Impossible de simplement mettre l'idée de coté. Le livre n'avait pas disparu tout seul, et le coupable ne pouvait être bien loin. Et à défaut de pouvoir le récupérer, elle aimerait au moins... Elle ne savait même pas quoi, mais il le fallait. D'un pas aussi silencieux que rapide, et quelques revues sous le bras, Hana se mit dans une recherche un peu trop vindicative dans la bibliothèque.

L'oeil mobile et les appuis légers, la jeune femme passa à coté d'une, deux, trois tables, vérifia de loin ce qu'un étudiant avant dans les bras. Toujours rien. Une silhouette isolée, encadrée par le mur d'un coté et la lumière oblique d'une fenêtre de l'autre attira son attention, elle et la petite pile devant elle. Difficile de ne pas reconnaître la couverture de l'un d'eux, elle avait sa coupable. Seule à sa table et plongée dans sa lecture, une jeune femme, cheveux lisses et sombres, soigneusement vêtue de son uniforme.

Hana ne pouvait en dire autant, elle qui ne gardait qu'un foulard noué autour du cou pour montrer sa classe. Et en parlant du sujet qui fâchait, mauvaise surprise, elle avait en face d'elle une A. De façon terriblement stupide et prévisible, cette information ne fit que l'irriter un peu plus. Sans plus de manière, elle alla droit vers sa cible, tira la chaise en face de la brune, et s'assit. Les quelques revues qu'elle avait emporté avec elle claquèrent en se posant devant elle.

- Hola chica.

Le silence, le bruissement des pages et les quelques chuchotements intempestifs que la bibliothécaire vient parfois interrompre d'un claquement de langue. Dans ce lieu de culture sacré, Liones est assise seule à une table. Sous son bras gauche, un lourd ouvrage et sous son styo un calepin qu'elle s'affaire à remplir d'informations. Ses yeux bleus font de vifs aller-retours entre la page imprimée et sa production écrite alors que les un après les autres, les mots apparaissent et s'alignent dans un enchaînement parfait. Une écriture soignée et impeccable suivant les mouvements fluides de son poignet qui s'agite.

Dans sa tête, elle analyse, fait en sorte que chaque phrase est son sens. Un sens qu'elle puisse retenir pour ne jamais l'oublier, pour être capable de le retranscrire encore et encore. Que tout soit parfait pour assouvir son désir égoïste d'excellence. Son désir de réussir passe par le moindre de ses mouvements, la moindre nanoseconde qu'elle consacre à ses études, à son travail.

Perturbation dans la force. Le raclement disgracieux des pieds d'une chaise contre le sol boisé suivi presque immédiatement du bruit de livres peu épais qui viennent claquer contre la table. Peu désireuse de voir quel genre de personne peu faire preuve d'aussi peu de manières et de respect pour le travail d'autrui, elle ne daigne relever les yeux. Elle ne veut pas accorder une once d'intérêt à celle qui vient ainsi prendre ses aises auprès d'elle.

Elle ne lève pas les yeux lorsqu'elle s'exprime, lorsqu'elle la salue. Ici c'est la bibliothèque, pas le parc. Si elle veut faire des rencontres, elle n'a qu'à emprunter ses livres et aller bouquiner dehors sur un banc. Ou ailleurs si cela lui chante. Elle n'a guère le temps de s'enquérir de l'état de santé de son vis-à-vis ou même de ce qui l'amène ici. Aussi elle relève son bras posé sur l'ouvrage et esquisse un très vague geste de la main pour la saluer, sans cesser d'écrire avant de ramener son index contre ses propres lèvres, intimant le silence à la malotrue.

Elle vient délicatement tourner une page du livre, stylo suspendu dans l'air au dessus du papier, elle reprend sa lecture où elle l'avait laissée en haut à gauche et déjà replongée dans les textes, en quelque secondes elle a presque oublié cette voisine imprévue qui semblait ne guère savoir se faire discrète.

@Hana Sintes

Pas un mot, même pas un regard. Hana s'attendait à un petit vent, ou un froid; c'était un blizzard qu'elle se prenait. Malgré tout l'aplomb et le culot qu'elle pouvait déployer, la jeune femme accusa le coup, le temps de refreiner la colère qui montait terriblement vite et fort, hors de toute proportion et de toute raison. Elle resta donc immobile, sans rien dire de plus pour le moment, et observa un peu plus longuement l'autre.

À vue de nez, elles devaient avoir à peu près le même âge. Sans doute qu'elles avaient eu à se croiser au moins quelques fois, mais quant à s'en souvenir... Ni l'une ni l'autre ne semblaient se remettre, sans doute parce que sur ce point, elles se ressemblaient un peu trop. Toute présence n'ayant pas directement à faire à leur personne était renvoyée au mieux à l'indifférence la plus complète, au pire... Mais ne nous emballons pas.

Qui que puisse être cette bougresse de A, elle affectait un sérieux à toute épreuve, et son port de l'uniforme à la lettre se conjuguait parfaitement avec son classement. Hana se fit la réflexion que tout de même, elle devait avoir passé l'âge de jouer aux élèves modèles, et le coin droit de sa bouche se souleva brièvement, laissant échapper un peu de sa frustration. Mieux valait garder la tête froide avant de s'engouffrer dans une situation regrettable, surtout pour si peu.

*Bon allez... Mais quand même, ces gens qui se gardent toute une floppée de bouquins sous le coude...* Aussi absurde que pouvait paraître son énervement, la jeune femme se sentait bien légitime, surtout dans la mesure où elle se retrouvait bien compromise dans ses petits plans d'étude.

Hésitant quelques instants à de nouveau donner de la voix, l'idée que peut-être la jouer un peu plus fine vint poindre, et en un geste rapide, le stylo quitta la poche et attaqua avidement le papier qu'Hana sortit. Elle voulait du silence, qu'à cela ne tienne. En quelques coups de poignets une affirmation bien polie mais surtout bien sentie arriva, du bout de ses doigts, jusqu'à la portée de celle en face.

"J'aurais besoin du livre de Boris Chertok que tu gardes sous le coude, je te le rends juste après si tu le souhaites."

La jeune femme comptait bien récupérer ce bouquin.

De marbre face au commentaire qui suit comme face au reste, Liones décide de simplement continuer son devoir, se penchant de nouveau sur le livre après avoir laissé retomber son index sur la phrase qu'elle était en train de suivre avant l'arrivée de l'indésirable. Une pile de bouquin sous le coude. Sans doute avait-elle besoin d'investir dans une paire de lunettes ou peut-être un télescope pour se rendre compte qu'elle n'en avait qu'un et qu'elle était loin d'être du genre à s'accaparer tout ce qu'elle pouvait trouver. Enfin, elle ne pouvait la blâmer de ne savoir faire la différence entre un rat de bibliothèque et quelqu'un qui fait ses devoirs.

En effet ses dossiers sur l'exploration spatiale n'allaient pas se remplir seuls même si elle y mettait toute sa bonne volonté, elle n'état pas encore capable de pondre des connaissance comme une poule pond un œuf. Elle reprend ses notes, ses yeux faisant de nouveaux aller-retours entre l'ouvrage et le papier.

Glissement sur la table, un papier lui arrive sous le nez. Une note qu'elle lit rapidement. Finalement, elle consent à relever vers son vis-à-vis ses iris azur. Grende et fine, elle n'eut guère de mal à la deviner sportive. Sa peau abîmée, aucun semblant de tenu, pas l'air vraiment soignée. Si Liones était du genre à se fier à la première impression, elle se demanderais ce que quelqu'un arborant un air pareil pourrait bien faire d'un livre pareil mis à part fixer la couvertures. Cependant elle glisse ses doigts fins sur le papier et le ramène vers elle avant d'y faire glisser la mine de son stylo. Une écriture des plus soignée, sans imperfection, comme une police programmée informatiquement.

-Navrée, mais j'en ai besoin pour mon dossier.-

Doucement, elle repousse le papier vers son expéditrice d'origine avant de baisser de nouveau la tête sur ses notes sans comprendre pourquoi son vis-à-vis faisait preuve d'une telle obstination. Peut-être une obsession étrange pour les fusées russes ou quelque chose du genre. Elle n'en avait vraiment cure. Ce n'était pas son problème, le livre était là et disponible quand elle est arrivée et elle l'a prit dans son bon droit. Cependant après neuf ans dans cette académie, elle commençait à être habitué au manque de civisme de certains élèves.