Bunny Meets Bear

Depuis que Massrur avait appris qu’il pouvait augmenter sa mémoire grâce à son don, ses connaissances en médecine avaient décuplé. En dehors du nombre conséquent de bouquins qu’il ingurgitait, sa présence dans des cours normalement réservés à ses aînés jouait beaucoup. Cela lui avait d’ailleurs récemment valu de quitter la classe B pour la A.
Il ressortait justement d’un amphi de chimie organique de 11eme année. Ce dernier avait fini depuis une bonne demi-heure mais l’élève de 8eme année était resté pour poser d’innombrables questions au professeur qui avait fini par le pousser vers la sortie.

Il se retrouvait tout seul dans les couloirs de l’académie, la plupart des étudiants ayant fini leur journée de cours, et il entreprit de rentrer chez Ina pour prendre des nouvelles de sa mère.

*Ça ne fait qu’un jour mais elle me manque déjà…*

En effet, la veille il avait emménagé pour la première fois dans l’Upper Tower et il savait déjà que ce ne serait pas sa résidence quotidienne.
En traversant les couloirs de l’académie, il passa devant une salle qui n’était pas vide. A travers les vitres murales il pouvait apercevoir une jeune femme d’à peu près son âge qui dessinait. La pièce dans laquelle elle se trouvait était rempli de bidules en tout genre et le sol était jonché de plan, boulons et autres accessoires ne laissant aucune place à l’imagination concernant l’utilité de cette salle.

*Ça me fait penser que la prothèse de Kalb date de presque sept ans. Faudrait peut-être la changer pour une plus récente… ou peut-être pas… Ça vaudrait peut-être le coup de demander à quelqu’un qui s’y connait.*, pensa-t-il en entrant dans l’espèce de laboratoire.

Cognant, comme à son habitude, son front à présent anesthésié contre le linteau de la porte, il fut surpris de ne pas voir la jeune fille se détourner de son établi.

*Le son dans ses oreilles doit être particulièrement fort. Elle ne doit pas se rendre compte d’à quel point c’est dangereux pour ses tympans.*

Cette scène lui rappelait sa malencontreuse mésaventure de la veille avec Esther, mais les circonstances étant différentes l’issu lui serait probablement moins inconfortable.
Néanmoins, puisqu’ils étaient seuls dans la pièce, qu’elle ne l’avait pas remarqué et que le risque que quelqu’un le surprenne à cette heure-ci était faible, il décida de ne pas s’approcher tout de suite.
Se concentrant sur la femme brune, il prit sur lui de se synchroniser avec elle. Il avait pris connaissance du plus gros point faible de son pouvoir depuis peu et depuis il essayait d’y remédier en se synchronisant avec autrui dès que possibles.

*Ce n’est pas très poli de faire ça sans demander la permission, mais ça n’est pas comme si je comptais leurs faire du mal, au contraire. Si un jour ces gens ont besoin de soin, ou tout simplement d’aide, je serais plus efficace en étant immédiatement prêt*

Il chassa ses excuses de sa tête pour se concentrer uniquement sur sa cible et après une dizaine de minutes… Il ressentit l’afflux des différentes glandes à l’intérieur du corps de la mécanicienne. Les frottements musculaires de ses doigts faisant des allers-retours sur le papier, les neurones hyperactifs faisant circuler les idées du cerveau vers le crayon, les tympans vibrant moins forts que ce qu’il aurait pensé… Toutes ces informations influèrent dans son esprit avant de disparaitre d’un coup, marquant la fin du processus.

Il s’avança enfin vers la jeune femme tout en s’extasiant mentalement de la quantité d’objet fabuleux dispersé sur les différents établis de la salle de classe. Il essayait d’écraser le moins de papier possible, mais dû en échange piétiner bons nombres de vis ou d’écrous, dont un clou qui transperça sa, pourtant épaisse, chaussure sans arriver jusqu’à son pied.
Il arriva enfin à hauteur de la femme casquée qui se retourna sans qu’il ait à l’interpeler.

*Le son doit effectivement être moins fort que ce que j’aurais imaginé. Elle devait juste être très concentrée, peut-être qu’elle était dans la zone ?*

Elle le dévisagea pendant un certain temps comme bon nombre de gens qui le rencontrait pour la première fois. Elle semblait chercher ses mots, alors, dans l’espoir d’être moins impressionnant il décida de se mettre à sa hauteur.

- Tu permets que je m’assoie ? demanda-t-il en tirant la chaise la plus proche et en augmentant le niveau de bien être de l’inventrice.

Une fois l’atmosphère plus propice à la discussion, il entreprit de se présenter et de lui expliquer la raison de sa venue.

Bunny Meets Bear

- Ah, bien-sûr ! Je t’en prie.

Une fois qu'il fut assis, la jeune femme outrepassa sa surprise pour essayer de deviner la raison de sa venue. A travers les différents gestes qui accompagnaient ses paroles, on devinait une personnalité enjouée et une motivation qui donnait du baume au cœur.
Elle pensa d’abord qu’il était venu pour rejoindre le club et la lueur qui émanait de ses yeux donnait presque envie à Massrur d’accepter rien que pour ne pas la décevoir. Cependant, en voyant que cette lueur ne faiblissait pas à l’idée qu’il soit un « client », il fut rassuré. Son speech terminé, elle posa sur ses mains ses cuisses à la manière d’une jeune fille modèle ce qui tranchait quelque peu avec son accoutrement de mécano et lui donnait un côté intriguant.
Côté intriguant qui, couplé à son intérêt évident pour son domaine d’activité et à sa joyeuseté donnait l'impression d'une personne vraiment agréable. Se rendant compte qu’il analysait son interlocutrice depuis quelques secondes, il entreprit de lui répondre avant que son mutisme ne le fasse passer pour une personne bizarre.

- Avant toutes choses, je suis Massrur, enchanté, se présenta-t-il avec un léger signe de tête.

Il reprit après avoir pris connaissance du nom de l’inventrice :

- Déjà, Maximilia, je dois te dire que ça fait plaisir de voir des gens autant impliqués que toi, dit-il en riant gentiment et en désignant les tâches d’essences parsemant son visage. Je crois être tombé sur la bonne personne pour ma requête, conclut-il avec un large sourire.

Il lui expliqua que sa tante avait un chien qui lorsqu’il n’était encore qu’un chiot avait failli mourir à cause d’une mine. Il avait survécu au prit de sa mâchoire inférieure, mais elle fut rapidement remplacée par une prothèse rudimentaire. Ça lui suffisait pour vivre convenablement et protéger ses propriétaires, mais elle était devenue un peu petite pour lui et les matériaux commençaient sérieusement à dater.

- Est-ce que tu penses pouvoir faire quelque chose ? Part du principe que je ne lésinerais pas sur le prix…puis avant qu'elle ait eu le temps de répondre, Ah au fait, j’ai une photo, si jamais ça t’aide à te rendre compte, dit-il en la cherchant dans son téléphone. Ah la voilà!

La photo montrait un énorme mastiff tibétain âgé  d’environ 10 ans avec à la place de la mâchoire inférieure, un amas de différents métaux surplombé par d’imposant crocs semblable à des couteaux.

- Ma tante a bien essayé de la changer, mais la technologie est trop vétuste et la plupart de ceux chez qui elle l’a emmené ont peur de faire plus de dégâts en touchant à quoi que ce soit. Tiens regarde ! dit-il en lui tendant le téléphone.

C’était la première fois depuis un moment qu’il la regardait dans les yeux et elle semblait troublée :

- Tu vas bien ? T’as besoin d’aide ?

Annexe:

Bunny Meets Bear

Lorsqu’elle évoqua son propre chien, il se sentit un peu coupable de ne pas avoir pensé à l’éventuelle sensibilité de ton interlocutrice. Alors, lorsqu’elle lui demanda s’il était possible de le rencontrer il sauta sur l’occasion. Evidemment que c’était possible et même si ça ne l’était pas,  il aurait fait ton possible pour ne pas la décevoir car il s’en voulait de l’avoir attristé même si c’était léger.

- Bien sûr que c’est possible ! Je peux soit le ramener ici, ou si t’as du temps on peut même aller chez moi aujourd’hui pour que tu le vois. C’est comme tu veux.

Avant de lui répondre, elle était allée chercher un carnet de schéma qui débordait de dessin en tout genre. Si elle n’avait pas parlé du chien à la patte folle, Massrur aurait trouvé étrange qu’elle ait un carnet qui correspond exactement à ce pourquoi il était venu. Au lieu de cela la vue de ce carnet le rassurait quant à la fiabilité de l’inventrice.

A la vue de la ceinture dorsale canine, le géant se redressa inconsciemment, doublant presque sa taille en passant d’une posture courbée à une autre bien plus droite, on entendit le craquement de ses vertèbres résonner dans la pièce silencieuse.
Etrangement, ça n’inquiéta absolument pas l’étudiant pour qui ces bruits étaient quotidiens. Si l’homme avait l’habitude de s’occuper des autres, c’était loin d’être le cas pour sa propre personne comme l’en attestait son allure négligé et ses vêtements aux antipodes des normes de la mode.

Ainsi, au lieu de s’attarder sur ce qu'il considérait comme un détail, il préférait s’extasier sur les différents plans et objets qui traînaient sur les différentes tables.
Il posait plein de questions sur ces derniers et demandait d'essayer tous ceux pour lesquelles c’était possible. Pour  chacun d’entre eux, il s’émerveillait à la manière d’un enfant qui découvrait un nouveau jouet, même pour ceux où il ne recevait qu’une explication sans démonstration.

Sans se soucier du temps qui passait de plus en plus, il semblait avoir une réserve innombrable d’interrogations pour ce domaine où il ne connaissait pas grand-chose et il avait amélioré sa mémoire pour enregistrer chacune des nouvelles informations que lui apprenait Maximilia, qui, à cet instant, faisait office de professeur.

Bunny Meets Bear

***

Une semaine plus tard, profitant de terminer les cours assez tôt et de ne pas avoir de missions d’entretien, Massrur se rendit chez sa tante. Depuis qu’il avait emménagé dans le dortoir de l’université, ses visites, bien que très très courantes, n’étaient plus quotidiennes et il profitait de chacune d’entre elles pour s’enquérir de l’état d’Ina, la maitresse de maison, et de sa mère souffrante.
Cependant, ce ne fut pas le cas cette fois-ci, en effet, les domestiques lui apprirent qu’aucune des deux femmes n’étaient présentes. Il était rare que la veuve Mustassim sorte de l’appartement dans son état mais cela lui arrivait tout de même quelques fois par mois. Se promettant intérieurement de l’accompagner pour sa prochaine balade, le géant fit demi-tour et ressortit non sans oublier de laisser sur la porte un sempiternel mot dans lequel il leur rappelait inlassablement à quel point il les aimait et de ne surtout pas hésiter à l’appeler si elles avaient un besoin quelconque.

Arrivé en bas et après avoir taillé le bout de gras quelques minutes avec les vigiles du bâtiment, il se rendit enfin à la niche de Kalb dans laquelle ce dernier attendait patiemment.
Bien que son âge lui donnait une prestance et un calme que l’on pourrait prendre pour de la mollesse, l’animal n’en restait pas moins alerte et son regard, perçant son épaisse fourrure, restait à l’affut du moindre intrus.
Avec le temps, Massrur et son jumeau canin s’étaient mutuellement apprivoisé et la barrière de la langue ne les empêchait pas de se comprendre. D’un signe de tête, il fit comprendre à l’animal qu’ils s’apprêtaient à partir en balade. Le mastiff sortit de sa niche, se dressant du haut de ses 90 centimètres, fourrure comprise, et vint rejoindre son maitre. Exceptionnellement grand, même pour sa propre espèce, le chien était probablement un bâtard bien que le reste de son anatomie était celle d’un tibétain typique.

- Coucou toi, il faut que je te prépare pour aller voir une dame, dit le géant chevelu en souriant à l'animal. Et peut-être qu’elle va pouvoir faire quelque chose pour toi.

Le géant chevelu s’était assis pour être à hauteur de chien et brossait les poils de ce dernier tout en lui expliquant ce qui allait se passer comme s’il parlait à un humain. La boule de poil était calme, appréciant son toilettage expresse, et les seules fois ou elle tressaillissait c’était lorsqu’une main s’approchait trop près de sa prothèse. Bien que la grosse bête ait confiance en son maître, elle ne pouvait s’empêcher de réagir dans ses moment-là qui lui rappelait, sans aucun doute, un passé douloureux.

Le brossage finit, il entoura le cou du chien de la lourde chaine métallique qui lui faisait office de laisse et prit le chemin de l’académie. Le dogue savait se tenir et la laisse lui était complètement facultative mais même avec celle-ci les passants changeaient de trottoir à l’approche du "monstre", alors sans…
Même l’aura de bienveillance naturelle que dégageait Massrur ne suffisait pas à apaiser les passants qui le regardaient d’un œil craintif. À vrai dire, c’était compréhensible, en dehors de son gabarit hors norme, sa mâchoire métallique lui donnait un air de "machine à tuer", et si c’était l’effet recherché dans le cadre de son boulot de chien de garde, dans ce cas-ci, cela ne pouvait que participer à augmenter la tension ambiante. C’est pour cela qu’habituellement ils optaient plutôt pour des balades nocturne que pour des bains de foules.

Grâce à une allure rapide et à des ruelles moins fréquentées, les deux compères arrivèrent finalement à destination sans plus de difficultés que cela et ce ne fut qu’au moment d’ouvrir la porte que le maitre se rappela qu’il avait oublié de prévenir Maximilia de sa venue. Espérant qu’il n’ait pas déplacé son toutou pour rien, il entra finalement dans le laboratoire en laissant les cliquetis métallique de sa "laisse" trahir sa présence.