Ayden passait une autre journée assis sur un banc, une Grimbergen ambrée à la main et les yeux rivés sur l’horizon. Il avait décidé de prendre une pause ; en tant que surveillant, il était censé patrouiller selon des patterns bien déterminés dans toute l’académie - pensionnat inclus - pour vérifier que tous les étudiants respectaient le règlement intérieur, ironique quand on se rappelle qu’Ayden était autrefois le premier à le transgresser - et c’est toujours le cas aujourd’hui. Durant ses pauses, il aimait particulièrement faire passer quelques musiques de rock depuis le haut-parleur le plus proche, à l’aide de son pouvoir - dont il ne se privait aucunement. C’est donc ce qu’il fut lorsque l’heure de la pause sonna enfin. Il avait rejoint, quelques minutes plus tôt, son banc habituel et avait récupéré une bière bien fraîche dans sa cachette secrète - un mini-frigo relié à la cafétéria juste à côté avec deux ou trois rallonges pour le garder branché. Un vrai cas, cet homme.
Il faisait bon et il était équipé de lunettes de soleil qui lui donnaient un air encore plus cool qu'à son habitude. Il a donc décidé de lancer Another One Bites The Dust de Queen. Les étudiants qui passaient pour rejoindre leurs salles de classes respectives jetèrent un regard crédule à Ayden et son haut-parleur magique, se demandant comment le surveillant avait réussi un tel exploit. En réalité, il avait simplement cligné d’un œil. C’était sa condition d’activation pour son pouvoir et il n’avait donc pas le choix de passer pour un pervers en pleine drague devant les demoiselles devant lui quand il avait décidé de lancer sa musique. C’était là le tragique destin d’Ayden, le contrôleur d’ondes électro-magnétiques qui ne comprenait rien à rien à son pouvoir. Il le maîtrisait depuis maintenant plusieurs années mais n’avait toujours aucune idée du réel fonctionnement de ces ondes, ne s’intéressant pas même un peu à la technologie et tout ce qui gravitait autour. Il se contentait de cligner des yeux et de lire ses messages sans toucher à son téléphone, ou d’emmerder son monde comme il le sentait. C’était un peu une sorte de boomer avec un pouvoir à la pointe de la technologie, un pouvoir futuriste. Imaginez la scène.
Il ouvrit sa bière à l’aide de ses molaires et jeta la capsule dans la poubelle la plus proche, de son meilleur trois points. Il porta ses lèvres à sa douceur de l’après-midi avec une impatience de compétition et se délecta de sa boisson préférée sur quelques gorgées. Ayden balaya du regard la place de l’académie - celle par laquelle tous les étudiants passaient pour se rendre vers l’Upper ou la Lower Tower, située juste en face des vitres de la cafétéria. Il se trouvait sur le banc face à ces vitres, à quelques dizaines de mètres. Les rallonges de son mini-frigo s’étendaient donc sur toute la surface de cette place et passait par une fenêtre entrouverte de la cafétéria ; en réalité, il y avait deux cafétérias : celle de la Upper et celle de la Tower, mais celles-ci sont toutes deux reliées par une porte, la seule porte qui permet de passer de la Upper Tower à la Lower Tower sans devoir sortir de l’une d’elles pour rejoindre l’entrée principale de l’autre.
C’est alors que son esprit se mit à divaguer, il se perdit dans un flux de pensées sans importance et dénuées de sens ; il se mit à chanter pour combler le vide. Parce qu’Ayden, c’était ça : faire taire le silence en usant de sa personnalité marginale. Il aimait se donner en spectacle, il aimait jouer au clown et faire rire la galerie. Bien qu’il fut discret cette fois-ci, son chant vint rencontrer les tympans d’une jeune femme à sa gauche, qu’il ne remarqua pas pour le moment.
— And another one bites the dust ! Hm, hm, hm… And another gone, and another one gone, another one bites the dust ! chantait-il en rythme avec la musique et les voix des chanteurs.
C’est alors que son corps se mit à bouger seul tout en suivant le tempo de la chanson ; il était pris dans l’ambiance corps et âme et ne pouvait plus s’en libérer. Dans sa danse, il se tourna subitement sur sa gauche en voulant réaliser un headbang suivi d’un dab. C’est alors que sa main gauche pointait le ciel qu’il réalisa sa présence. Une jeune brune se trouvait là, le regard fixé sur le surveillant. Sa bouche se mit à ralentir peu à peu sans pour autant lâcher les paroles, il se mit à chanter de moins en moins fort. La gêne le prit à la gorge, il garda sa position actuelle et ne bougea plus d’un pouce, attendant que celle-ci passe son chemin comme si elle n’avait rien remarqué - qui ne remarquerait pas un homme qui dab devant son visage ? En particulier si celui-ci gardait la pose ?
La manière la plus efficace d'aller d'un point A à un point B, c'est la ligne droite. Pourtant tous les chemins sont tordus et biscornus. Pour traverser les jardins il ne fallait pas être bien pressé. A moins de couper par les espaces verts. Mais gare à ce que les surveillants ne vous attrape pas pendant que vous vous amusez à écraser la pelouse. Cependant, pressée, elle ne l'était pas. Pas aujourd'hui. Comme toujours, vêtue de son uniforme, elle traverse le campus son cartable en main et les yeux sur son téléphone absorbé par l'un de ces jeux de réflexion qu'elle affectionne particulièrement. Et elle avance, elle avance. Doucement le bruit des oiseaux finit par être remplacé par un rythme et des sonorités bien différentes. Quelque chose qu'elle connaît.
Elle glisse son GSM dans la poche de sa veste avant de se diriger sans presser le pas vers la source de la musique. Elle finit par tomber sur un surveillant assis sur un banc, une bière dans la main. Est-ce que l'académie sait ça ? Est-ce qu'elle tolère ça ? C'est indécent. L'air perdu dans ses pensées, le haut parleur en face de lui crache un morceau connu qui éveille en elle, une certaine nostalgie, c'est après tout ce par quoi elle a commencé quand elle a découvert ce genre de musique.
Armée de sa discrétion habituelle, elle arrange sa jupe et pose ses fesses sur le banc, à gauche de l'homme à la bière. Celui-ci ne la remarque même pas. Ou alors il la remarque et il se lève pour chanter et danser. Elle ne saurait sans doute jamais ce qu'il faisait exactement, mais ça avait le don d'être divertissant, presque drôle, de le voir ainsi remuer, bouger la tête et chanter. Cela dénotait une certaine passion, et la passion est quelque chose que l'étudiante sait reconnaître et apprécier.
Visage fermé, regard impassible, elle le fixe. Et quand il s'en rend compte son comportement change. Il cesse doucement de chanter immobilisé dans une pose grotesque. Mais la musique elle ne s'arrête pas. Elle hoche la tête, un air entendu se peint sur son visage. Peu importe qu'elle le regarde, il y avait bien d'autres élèves qui le regardaient aussi de temps à autre. Elle remonte ses mains et fait de petits gestes comme si elle allait le pousser en avant.
"Je ne voulais pas vous déranger. Continuez je vous en prie. L'imitation est bonne. Même si je ne m'attendais guère à ça venant d'un de nos surveillants."
L’individue était assise paisiblement aux côtés d’Ayden, l’air impassible bien que reposée.
— Je ne voulais pas vous déranger. Continuez je vous en prie. L'imitation est bonne. Même si je ne m'attendais guère à ça venant d'un de nos surveillants.
Il haussa les sourcils en guise de réaction. Il avança ses lèvres fermées en cul de poule, hochant la tête de haut en bas et levant les yeux au ciel, pour affirmer sa satisfaction suite aux compliments de la dame. S’il imitait correctement Queen, il avait réussi sa journée, peut-être même sa vie. Peut-être même pouvait-il se reconvertir complètement en imitateur professionnel et se faire un maximum d’argent pour quitter son poste de surveillant. Surveillant ?
— Je suis pas un simple surveillant mademoiselle, je suis le Batman de l’académie. Je surveille, mais je fais aussi ce que je veux : c’est ça le plus important. dit-il en levant son index pour appuyer sur la dernière partie de la phrase.
Il se leva d’un bond pour reprendre son imitation qui avait tant plus à la brunette à ses côtés, après avoir déposé sa bière sur une parcelle du banc sur lequel il était assis auparavant. Ayden se mit à danser avec davantage d’énergie et de panache, mais se décida à partir en playback cette fois-ci. Les passants le pointèrent alors du doigt et d’autres s’arrêtèrent au loin pour le filmer, il n’hésita donc pas à leur adresser un simple doigt d’honneur, caché dans son dos pour éviter que la jeune femme ne le surprenne à faire quelque chose d’aussi impoli - elle qui avait plutôt l’air réservée, ou du moins, bien trop calme pour être de celles qui s’amusent correctement.
Il adressait ses mouvements à la jeune femme, tentant au maximum de lui arracher un sourire. Il lui faisait face tout en bougeant et s’en donna à coeur joie lorsque vint le refrain. Un moonwalk vers la fin de la chanson au rythme des percussions, puis vint le moment fatidique : il prit la pause pour le grand final. Une fois la chanson terminée, il reprit rapidement une position tout à fait normale et lança un grand sourire blanc à sa spectatrice. Il se rassit aussitôt, toujours tout sourire.
— Il n’y a pas mieux que Queen durant une pause ! Tu crois pas ? Donne-moi un titre, je te mets ce que tu veux. lança-t-il à son admiratrice dans un clin d'œil à la fois flatteur et prétentieux.
Un sourcil brièvement arqué. Des paroles qu'elle trouve bien légère pour un membre du personnel. Et puis Batman, de tout les super-héros du monde il fallait vraiment qu'il choisisse l'un des plus edgy. Edgy alors qu'il a l'air bien plus loufoque qu'autre chose avec ses pas de danse et sa bière dans les mains. Et cette pose avec les bras en l'air. Ce n'est pas Batman qu'on surprendrait ainsi. Mais si cela lui fait plaisir. L'air peu convaincu par ses propos, elle consent cependant à lui donner raison d'un hochement de tête légèrement appuyé.
"Si vous le dîtes, je vous crois. C'est tout de même surprenant."
Et le voilà qui se relève comme un beau diable afin de poursuivre son imitation sous le regard azur de l'étudiante qui va même jusqu'à vaguement taper dans ses mains pour en quelque sorte l'encourager. Bien qu'en vérité elle ne soit là qu'à cause de la musique, ce petit spectacle improvisé n'est pas de refus. Et le voir ainsi prendre s'en pied, lui donne presque envie à elle aussi de chantonner. Cependant elle n'en fait rien et reste assise bien droite à sa place sans se préoccuper des gens qui passent et qui observent car c'est bien le propre de l'être humain, comme du singe de se montrer curieux de tout.
Plus il y met d'énergie, plus la demoiselle en met à taper dans ses mains quand bien même son expression faciale ne bouge pas d'un iota. Sa tête se balance très légèrement de gauche à droite suivant le rythme des pas de son vis-à-vis, les paroles défilent comme si elles s'imprimaient directement sur son cerveau. Elle les connaît par coeur. Mais ce n'est pas encore une raison pour se laisser aller. La débandade, ce n'est pas dans ses cordes et briser son image était hors de propos.
Chanson arrivée à son terme, elle l'applaudit doucement avant de reposer calmement ses mains contre ses cuisses conservant cette posture de jeune femme modèle qui lui est propre. Elle était plutôt d'accord avec ses propos, Queen, c'est très bien, pause ou pas et le fait qu'il lui propose de choisir le prochain titre, l'enchante en un sens. Elle réfléchit, lève un peu les yeux vers le haut parleur avant de les reposer sur Batman, levant son index devant elle.
"Pendant les pauses, oui. Mais il m'arrive aussi d'en écouter pendant que je travaille. Pour la prochaine, monsieur Batman, "Don't stop me now" me semble un bon choix au vu de votre énergie... débordante."
Ayden aimait particulièrement l’allure poteau-mais-énergique-un-peu de la jeune femme en face de lui, bien qu’elle semblait tout à fait coincée, ce qui lui arracha un sourire étonné. Il se mit à rire en entendant le choix de son acolyte de danse ; il hocha la tête tout en laissant son tic lui échapper, celui où ses lèvres se mettent vers l’avant, en cul de poule.
— Ça, c’est un très bon choix. lui répondit-il. Mais il faudra m’aider ! J’aurai pas assez d’énergie tout seul, c’est du haut niveau là... ajouta-t-il tout en levant son index pour lui dire d’attendre quelques secondes.
Il fixait le vide, et devant ses yeux défilait sa playlist « Rock » - sa seule playlist, en réalité. Il saisit « Dont Stop Me Now » de Queen à la demande de la demoiselle et lança un clin d'œil bien assuré. La musique sembla bien plus forte qu’à l’origine et Ayden adressa un grand sourire à la jeune femme. Sa tête se mit à bouger de gauche à droite en rythme avec la musique, il commença son playback durant la première minute et il se décida finalement à chanter quand il entendit :
— I WANNA MAKE A SUPERSONIC MAN OUT OF YOU ! chanta-t-il en rythme tout en saisissant la main de celle qui l’applaudissait.
Ayden n’effectua aucune pression sur cette main qu’il tenait avec une grande délicatesse, assez peu d’appui pour que sa propriétaire puisse la retirer si elle en ressentait l’envie ; il se leva au même moment pour se remettre à danser et l’entraîna debout avec lui avant de lâcher, tout aussi délicatement, la main qu’il avait dérobé. Un pied après l’autre, il se laissa entraîner par la musique comme si celle-ci vibrait au creux de sa chair - comme si celle-ci dirigeait tous ses mouvements. Il ne faisait qu’un avec Queen, à cet instant même. Quelques personnes autour se mirent à taper dans leurs mains, d’autres dansaient au loin tout en chantant en yaourt et Ayden redoubla d’intensité : ses bras accompagnèrent ses jambes et il était désormais inarrêtable.
Il adressa un regard à l’étudiante qui l’avait rejoint plus tôt et prit à nouveau sa main du bout des doigts pour la faire tourner sur elle-même. Les notes d’Ayden se faussaient légèrement à cause de son trop grand sourire qui l’empêchait visiblement d’articuler comme il se devait. Le surveillant fit un signe à ceux qui les observaient depuis quelque temps déjà et, de sa main gauche, il replia ses doigts vers lui, qu’il avait préalablement collés les uns aux autres, afin de dire aux curieux de se rapprocher et de profiter de la musique avec eux.
Etrange ce tic qu'il a. On dirait ces filles qui prennent des selfies à outrance avec leurs lèvres en avant et leur visage surmaquillé. Cette pensée lui arrache une légère grimace très brève. Elle ne comprend pas qu'on puisse apprécier se rendre aussi ridicule. Et surtout, elle ne comprend pas que d'autres puissent apprécier ça. Tous les goûts sont dans la nature paraîtrait-il. Et puis il voulait dire quoi l'homme chauve souris danseur par l'aider. Elle plisse légèrement les yeux alors qu'il fait des trucs pour le moins étrange avec les siens comme s'il s'était perdu dans sa tête. Et la musique change. Si elle avait été dans une école normale, elle aurait sans doute trouvé cela étrange.
Sourire, il reprend la danse, gauche, droite, elle le suit du regard toujours sans comprendre pour quelle raison il lui demandait de l'aide. Elle recommence à applaudir et sans prévenir elle voit sa main se refermer sur la sienne. Elle frissonne alors qu'il la tire en avant. Ses iris se posent sur son visage, incompréhension sur son visage alors qu'elle se retrouve entraînée. Elle regarde ses pieds à lui bouger alors qu'il la relâche, elle sent une vague de chaleur lui monter au visage, colorant sans doute légèrement ses joues. Il attendait d'elle qu'elle danse. Sûrement pas.
Pourtant lorsqu'il l'y invite en lui reprenant la main, elle ne peut que se laisser tourner sur elle même parce que la musique est toujours là forte et que même inconsciemment, elle continue de faire son effet. Quitte à être entraînée dans la danse, face à tout le monde autant faire de son mieux. L'excellence, jusqu'au bout des doigts, briller partout et tout le temps. Ses doigts se referment sur ceux du surveillant. Elle espérait qu'il était prêt. Elle n'était pas la meilleure des danseuse mais hors de question d'être la dernière. La détermination se peint sur son visage.
Se rappeler ce qu'elle avait apprit pendant ses classes de danse alors qu'elle était encore toute jeune était une véritable épreuve de mémoire; mais pas insurmontable. Et c'est en vrillant qu'elle revient vers le surveillant en prenant garde à bien compter le rythme. Si certains gestes paraissent mécaniques et peu soignés on reconnaît le rock. Elle attrape sa seconde main sans préavis, prête à donner de sa personne.
"Vous organisez souvent des concours de danse en plein milieu de l'académie ?"
La jeune femme se décida à se laisser emporter par la musique de la même manière que le surveillant le faisait, bien qu’avec une allure un peu plus robotique et mécanique. Ses doigts venaient s’entrelacer avec ceux d’Ayden et, à leur contact, celui-ci haussa un sourcil dans un sourire plus ou moins séducteur - qu’il ne contrôlait pas, pour une fois. Il aimait le rock, il aimait danser, il aimait les femmes. Une femme qui acceptait de danser avec lui sur du rock, c’était un combo à ne pas négliger. Ayden espérait fortement qu’Artesia n’était pas autour pour le regarder, avec une pensée un peu plus amère à ce sujet. Cependant, il dégagea son esprit lors de l’arrivée du refrain et reprit du poil de la bête. Cette inconnue n’allait pas être déçue si elle souhaitait se prendre au jeu.
— C’est ça que je veux voir, let’s gooo, exprima Ayden dans un plus grand sourire encore.
Il l’entraîna avec lui dans sa danse, ses pas étant tout à fait coordonnés et ses gestes fluides.
— Vous organisez souvent des concours de danse en plein milieu de l'académie ? lui demanda la parfaite inconnue.
— J’aimerais bien ! Si c’était le cas, on les gagnerait tous. Rien ne peut battre le rock. Tu peux être ma partenaire quand tu veux, lui répondit Ayden avec panache.
Le surveillant plaça les mains de sa partenaire de danse en face de lui et plaça ses paumes tout contre les siennes pour enfin effectuer une pression sur sa main droite et la saisir pour la faire tourner sur elle-même une nouvelle fois - technique qu’il avait appris en dansant du rock dans un bar, une fois. Le rock est une danse basée sur le contact et l’homme se doit de mener la femme, la faire tourner régulièrement pour garder un rythme convenable. C’est alors qu’Ayden se plaça derrière l’inconnue et passa son bras droit contre le dos de celle-ci, saisissant à la fois sa main droite avec la sienne, et sa main gauche avec sa gauche. Il lui fit faire quelques pas en avant, une simple « corbeille » et un « déplacement corbeille », un sourire sur le visage. Elle l’avait voulu, après tout.
La chanson approchait de sa fin et ils continuèrent de danser dans une parfaite harmonie. Quelques personnes se mirent à les joindre et à danser tout autour, l’académie se transformait en comédie musicale et ce, grâce à l’un des surveillants.
Visiblement, elle est tombé sur un danseur bien plus compétent qu'elle, ce qui n'était pas vraiment étonnant ou difficile. Cependant, elle fait de son mieux pour tenir la cadence malgré ses mouvements plus erratiques et moins coordonnés que ceux du surveillant, maintenant qu'elle était engagée, elle ne pouvait plus s'arrêter car ce serait comme échouer. Sous de nombreuses paires d'yeux qui plus est. A sa question il répond avec de l'assurance, énormément d'assurance. Il sait ce qu'il fait mais sait il vraiment ce qu'il dit. Paumes contre les siennes, il l'entraîne, la fait tourner encore. Si son visage reste impassible ses joues rosissent encore, cependant c'est un contact qu'elle a "cherché", la passe corbeille.
"Navrée, j'ai trop de travail, vous devrez vous adresser à quelqu'un d'autre. Et je doute que ma piètre performance ne suffise à impressionner qui que ce soit."
Et le tableau alentours ressemblait de plus en plus à celui d'un véritable spectacle musical entre ceux qui les regardent en se dandinant, ceux qui chante à plein poumons et les autres couples dansants on était vraiment pas loin de Bollywood. La chanson touche à sa fin, cependant prise dans le moment, lors d'une passe, elle confronte ses iris azurés aux siens un air de défi, de l'insolence presque face à celui qui était en cet instant son partenaire de danse. Et s'est un fin sourire qui se dessine sur ses lèvres alors qu'elle le toise.
"I want to break free."
Est-ce qu'il allait accéder à sa requête, elle pensait bien que oui, il n'avait guère l'air d'être le genre à se défiler, à abandonner si facilement ou à passer à côté d'une occasion supplémentaire de se détendre. Car pour lui c'était ça et seulement ça. Et elle ne pouvait que pour une fois se retrouver ainsi embarquée pour avoir seulement voulu écouter un peu de musique pendant son temps libre, elle ne s'attendait pas à vouloir ainsi le dépenser surtout avec un surveillant aussi peu consciencieux.
Elle refusa la proposition du surveillant d’un ton impassible et ses mots dévoilèrent un certain manque de confiance en elle. C’est ainsi qu’Ayden se mit à sourire, ne souhaitant pas renchérir de son côté pour ne pas vexer la demoiselle - mais il tenta tout de même quelque chose.
— Si tu penches un peu la tête à droite tu verras que certains ne sont pas si insensibles que ça à ton charme. C’est pas la performance qui impressionne, c’est l’énergie qu’on y met, tu sais ! Et toi, tu rayonnes, à ta manière bien sûr, mais moi j’aime bien. Je suis pas le seul, lança Ayden en lançant un regard à la droite de la jeune femme, un sourire en coin ; deux jeunes la regardaient avec des airs ahuris.
Et il continua de la faire tournoyer sur elle-même sans jamais lâcher l’une de ses mains. C’était devenu naturel, à présent. Le mouvement venait de lui-même : des évidences qu’il s’amusait à saisir en plein vol, dans le feu de l’action et au rythme de la musique.
Ce fut ce sourire qui le fit décoller. Celui qui lui était destiné, celui que sa compagne lui adressa avec passion et détermination - celui du « I want to break free ». Ces mots lui arrachèrent un rire d’une sincérité étonnante :
— Ooooh yeah, j’aime ça ! s’écria-t-il avant de s’exécuter.
D’un clin d'œil, la musique changea. Une sonorité plus calme mais bien plus nostalgique s’empressa de ramener le peuple plus près du haut-parleur. La danse qui était destinée à cette chanson n’était autre qu’une valse plus ou moins rythmée ; il saisit la jeune femme, dont il ignorait toujours le nom, par les hanches, sans trop s’approcher pour ne pas envahir davantage son espace personnel. Ses mains étaient d’ailleurs très légèrement posées sur son corps, presque imperceptibles puisqu’il prenait soin de laisser un faible écart entre le tissu et sa paume : un vrai gentleman.
Tout en s’agitant, Ayden fixa les prunelles de sa complice avant de hausser un premier sourcil. La scène était digne d’une comédie musicale, qui semblait bientôt s’achever. Une de ces fins heureuses qui nous dérobe un léger sourire de satisfaction, un bonheur volatile et agréable, un peu de douceur avant de retourner à l’amertume de la réalité au-delà de l’écran.
— J’arrive pas à croire que je danse avec toi et je ne connais même pas ton nom. Tu veux me le dire ou il doit rester secret ? lui demanda le surveillant d’un ton amusé, presque taquin.
Il se contenta de sourire à la réponse et de continuer la danse, puis vinrent les dernières sonorités, marquant la fin de la chanson, qu’il ne rata pour rien au monde. « I want, I want, I want, I want to breaaaak freeee », sur ces mots, il se pencha en avant et retint la jeune femme d’un bras dans son dos, la paume droite tenant l’arrière de sa tête tandis que son corps vacillait en même temps que celui d’Ayden. Il la tint ainsi durant quelques secondes, penchée vers le sol la tête tournée vers le ciel - ou plutôt, vers la sienne, qu’il ne manqua pas de garder à une distance respectable. Un dernier sourire, puis un cri retentit derrière les deux danseurs en herbe.
— Monsieur ! Y’a un gars qui pète un câble là-bas, il se tape contre un mec et y’a des pouvoirs qui explosent ! s’écria le jeune homme de tout juste seize ans.
Ayden releva brièvement la tête et ramena délicatement sa partenaire à la verticale avant de lui adresser un dernier sourire, grand et blanc comme ceux des publicités. Il lança un « j’arrive » à l’étudiant désemparé et se retourna vers la brune.
— La pause est terminée et je dois aller voir. Merci pour la danse, et à bientôt surtout ! lui adressa-t-il joyeusement.
C’est alors qu’il tourna finalement le dos à celle-ci et s’empressa de fuir vers son devoir. Puisque la pause était terminée maintenant, il se devait de protéger les élèves du monde et surtout d’eux-mêmes, car tel était son fardeau, sa mission. Puis, il aimait particulièrement son travail, finalement. C’est grâce à celui-ci qu’il avait pu faire de telles rencontres, et il en était maintenant fier.
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