D’origines plutôt modestes, il avait toujours échappé à la compréhension d’Isaac la fascination que certains couvaient quant au fait de dépenser de l’argent inutilement. L’argent était une denrée, comme l’étaient le charbon ou l’acier, un simple moyen d’échange. A ses yeux, il était étrange d’être prêt à échanger ladite ressource contre du néant, comme il le serait de planter de l’or dans son jardin et espérer être millionnaire la saison suivante.
Le pauvre russe n’était pas bien à l’aise, entouré par cette opulence maladroite et cette richesse arrogante. Par chez lui, la pièce jetée nonchalamment sur le plateau de jeu était ce qui dispensait sa compagnie de la famine et du froid. Ici, tous tombaient dans le piège volontairement, trouvant satisfaction dans le fait d’obtenir un objet après avoir dépensé cinq fois son prix.
Des gens se pressaient pour jeter leurs économies dans des machines en métal, lui avait vu des confrères alimenter le feu de camp avec leurs propres vêtements par manque de bûches. Il était définitivement dans un monde qu’il ne comprenait pas.
Heureusement les jeux d’argent n’étaient pas les seuls divertissements possibles, et il savait de toute façon qu’il n’était pas voué à tomber dans leurs étreintes cupides. S’il foulait aujourd’hui la moquette duveteuse du casino, c’était car il avait rendez-vous avec quelqu’un – un patient, s’aventurerait-il à dire.
A dire vrai cette réunion avait tout d’officieuse, et ressemblerait plus à une discussion entre deux personnes qu’à une véritable séance chez un psychologue. En sa qualité d’assistant, Isaac n’avait ni l’expérience ni l’autorité pour mener toutes les sessions et accueillir tous les élèves. Ainsi, il lui arrivait de proposer gentiment une escapade à certains, de manière totalement innocente. Simplement pour occuper les esprits et proposer une aide bénévole.
Après tout, il n’avait pas besoin d’un bureau pour aider son prochain.
Ainsi, il alla tranquillement choir sur un des immenses canapés du casino, essayant de s’y installer confortablement. La sensation du velours qui frottait contre ses vêtements n’était pas bien agréable, pas plus que la dizaine de chandeliers accrochés un peu partout qui inondaient la pièce d’une lumière artificielle soucieuse d’évoquer l’or qui ruisselait plus bas.
La décoration était autrement magnifique, forgée par l’argent que les malheureux avaient perdu ici. Elle ne trouvait cependant pas grâce aux yeux de l’étudiant. A l’inverse, il trouvait un certain sadisme dans le fait de dépenser ses économies pour améliorer la reliure d’un pilier ou la douceur d’un tapis.
« Pitié, qu’elle arrive vite. » Avait-il lâché dans sa barbe inexistante, soupirant alors qu’un serveur amenait un verre de champagne gracieusement offert.
l'envergure et l'opulence qui se reflètent à travers les dorures du mobilier, Selji ne sait plus où donner de la tête et elle doit tourner sur elle-même pour observer tout ce qu'il se dessine face à ses prunelles curieuses de tout découvrir les jolies serveuses, les hommes qui s'inclinent lorsque l'on passe près d'eux, Selji ne peut s'empêcher de sourire bêtement affublée de sa robe d'été -une robe blanche aux fines bretelles ainsi que des grosses baskets pour accompagner le tout si au départ Selji était septique quant au fait d'une sortie pour discuter, elle s'était finalement laissé persuader par Isaac, le casino semblait être un endroit plutôt amusant et surtout, elle n'avait jamais eu l'occasion d'aller dans un endroit qui puait autant les vices des pas de biche et les bras qui suivent le rythme, la Norvégienne s'arrête lorsqu'on s'adresse à elle et celle-ci se met à discuter sans vraiment en voir le temps passer c'est au bout d'une dizaine de minutes qu'elle se remet en route, le visage rougit par les compliments et les regards qu'on ne lui accorde que peu en général
Selji cherche des yeux la touffe albe du jeune homme et après une petite recherche assidue, elle le voit finalement engouffré dans un fauteuil à l'orée des regards alors elle s'approche en virevoltant et avant qu'il ne puisse s'emparer du verre, elle l'attrape, le soulève et remercie le serveur tout en s'installant sur l'accoudoir, plongeant ses saphirs dans ceux d'Isaac
Pardon, j'étais trop demandé dans la salle tu sais, à me faire des compliments....
une moue moqueuse accompagné d'un grand sourire, Selji est contente parce que pour une fois, on ne lui a pas fait remarquer les cicatrices sur ses épaules et ses bras, on lui a simplement rappelé que oui, elle aussi était jolie et que parfois, elle n'avait rien à envier à personne Selji abaisse finalement le regard pour remuer la coupe de cristal et y voir les bulles éclater l'alcool et Selji ça fait deux, elle n'a jamais bu et n'y a jamais vraiment songé, mais pour aujourd'hui, elle se dit qu'elle peut faire quelques écarts, qu'à part Isaac et elle, personne ne le saura alors elle trempe ses lèvres, grimace et regarde Isaac en faisant les gros yeux
Ça pétille ! Alors tu me proposes quoi ? On va tirer sur les machines à sous ? J'ai jamais fait, je veux essayer. Tu payes ?
à les voir ensembles, Selji trouvait ça marrant alors autant en profiter -il avait plus l'air d'un très bon "ami" et à ses côtés Selji emboîte le pas vers la salle immense où la musique cogne dans ses oreilles et où les gens arrivent et partent, s'installent et lancent les machines jusqu'à en perdre la tête arrivé à la fin de sa coupe, Selji en attrape une autre lorsqu'un serveur passe et vient attraper le poignet du grand type pour l'attirer avec elle -sans même le vouloir avec une telle force, elle manque de le faire tomber mais n'y prête pas plus attention que ça
Viens on se met ici, tu sais que je porte chance ? J'ai un truc, mais je suis un petit porte bonheur. Ma mère me disait tout le temps ça.
ses mains viennent chercher un siège en plus pour Isaac et elle s'installe en face d'une machine puis pivote vers Isaac, son pied venant cogner sa cheville et sa tête pointant la fente où il faut fourrer les pièces Selji ne pouvait pas être plus clair que ça -la sacoche autour de sa taille y détenait son appareil photo ainsi que de la monnaie, peut-être une cinquantaine de swishous, des petites économies empruntés dans sa tirelire cochon
On fera des photos ? J'suis une bête pour ça. -Selji marque une pause entre ses mots pour sortir l'appareil, tout en buvant sa coupe de champagne- Regarde. C'est les gens de l'école et des gens en ville. J'aime bien photographier les inconnus, comme ça je peux leur imaginer une vie.
le siège qui s'approche de celui du garçon, la fille lui montre les différentes photos de ses amis, des paysages de chez elle et s'arrête après une dizaine de photos, inutile de trop en montrer il verra par lui-même les clichés au fil de la soirée !
Il attendait toujours patiemment sur sa couche, faisant fi du bourdonnement du monde qui l’entourait. Une jambe sur l’autre, la tête choyant contre le velours matelassé du sofa il appréciait l’accalmie qui s’imposait, cette rupture dans la cacophonie ambiante. Toujours dans son éternelle aura de tranquillité – presque de mollesse, il agitait doucement un poignet au rythme de ce qui restait des mélodies qui s’évaporaient.
S’imposant une rupture dans sa méditation, il ouvrit gentiment les yeux. Quitte à attendre dans ce monument de la dépravation, autant joindre l’utile à l’agréable en dégustant le champagne offert. Tandis que l’étudiant se pencha doucement en avant pour saisir le cristal, une autre main – plus fugace et rapide, le devança.
« Oh, te voilà. Il n’y a pas de mal. » Avait-il dit d’une voix sans doute trop calme pour être entendue.
D’une oreille attentive, il écouta les premiers mots de Selji en leur offrant un sourire amical. La jeune fille avait l’air de bien se porter, ce qui était encourageant. Il savait toutefois qu’une façade rayonnante n’était souvent qu’un piètre camouflage.
Le russe rassembla ses esprits, tâchant de s’extirper rapidement de la torpeur dans laquelle il s’était plongé. Son plan initial était plutôt de traîner autour du bar, il n’eut même pas le temps de le proposer.
Isaac se surprit alors de la vitesse à laquelle la situation lui avait échappé. Il s’était à peine relevé et avait à peine donné son consentement que déjà on l’entraînait au cœur du bourbier, manquant de le faire renverser une table ou deux.
Plutôt que de s’en offusquer, il s’en amusa plutôt. Décidant de se prendre au jeu, il suivit alors l’impétueuse et crécha à ses côtés face à une machine à sous, s’efforçant de se calquer à son rythme. Mince, il n’avait rien vu venir.
« Ah, tu portes chance ? Montre-moi ça. Il suffit d’insérer la pièce là et de tirer le levier. Si trois symboles identiques s’alignent, tu gagnes. » La boisson étant offerte, Isaac ne rechigna pas trop à sortir quelques piécettes pour les déposer à portée de Selji. « Nous partagerons les prix évidemment, mh ? » Il s’autorisa une plaisanterie alors qu’il l’invita d’un geste de la main à débuter.
Il délaissa cependant bien vite le jeu, curieux de découvrir cette passion de sa patiente pour la photographie. Avec un grand intérêt il détailla alors les échantillons qui défilaient, ces moments de vie qu’il vivait à travers les explications sommaires de sa voisine. Il les commenta sans exceptions, opinant ensuite du chef avec assurance.
« Je ne rends pas bien en photo, mais carrément. Il faudra que tu inventes une histoire à cette photo également, ceci-dit. » Il faisait un grand effort en la tutoyant, estimant que la situation était propice aux familiarités.
Tournant sa tête, il se rendit hélas compte qu’il n’avait rien à boire et soupira. En une dizaine de minutes on l’avait dépouillé de son champagne et de quelques pièces… Peut-être Selji devait-elle envisager de travailler ici.
« Comment te sens-tu, ces derniers temps ? Tout va bien ? » Mains dans les poches, il s’installa de manière assez nonchalante sur son siège, son dos courbé faisant glisser ses lunettes jusqu’à la pointe de son nez. Une partie de ses mirettes visibles, il observait sans juger.
« Y a-t-il quelque chose qui t’a ennuyé ? Personnellement j’ai encore été pris pour un aveugle… » Le drame de sa vie. « Imagine-toi un passant s’amusant à me faire des doigts d’honneur jusqu’à ce qu’il réalise que je le voyais. Je crois bien que c’était le moment le plus embarrassant de ma vie. »
Il en frissonnait encore, décalant son siège pour mieux faire face à Selji. Les bras croisés et l’air détendu, il fit de son mieux pour que sa longue silhouette ne dépasse pas trop. L’étudiant lui laissait toujours l’initiative sur les machines à sous, imaginant que la discussion serait moins intimidante s’il y avait de quoi se divertir.
« Oh, au fait. Fais attention avec le champagne, c’est trompeur. D’ailleurs la prochaine coupe est pour moi ! » Il rit un instant, comme souvent complice dans le crime.
Selji a toujours le sourire aux lèvres, ce même sourire innocent et pourtant si malicieux, Isaac elle le côtoyait depuis maintenant quelques séances et avec le temps, elle avait réussie à déballer les quelques sentiments nauséeux qui pourrissaient l'intérieur de son corps et ça lui faisait du bien, Isaac lui faisait du bien et il faisait partie de ces rares individus à pouvoir partager ses tréfonds d'âme et ses vices les mieux cachés alors elle étend ses jambes sous la machine et y enfonce la pièce, écoutant ce que déblatère Isaac quant à comment fonctionne la machine : mettre les pièces, bouger le levier et observer les logos qui s'affichent à leur bon vouloir, à qui sera le plus chanceux et les prunelles claires de Selji suivent les mouvements alternatifs des images qui s'affichent le brouhaha ambiant est agréable, dans les oreilles de Selji ça sonne comme une mélodie et elle ne peut s'empêcher de sautiller sur sa chaise qui grince au rythme du mouvement de ses reins
J'ai pas le choix j'imagine.
son regard se tourne vers le sien et un rire s'échappe de ses lèvres -elle plaisante, évidemment qu'elle partagerait avec plaisir ses futurs gains, elle espérait avoir entre autre la possibilité de garder les meilleurs gains malgré tout afin de les partager avec Lee qu'elle comptait rejoindre après la soirée les jambes qui battent dans le vent, la jeune femme tourne le visage vers Isaac tout en relançant la machine qui n'a affiché que deux signes identiques -pour le moment Selji ne grapillait que quelques pièces, alors elle relâche sa prise et regarde à nouveau la brillance de l'écran sur lequel les pièces remuent à toute vitesse les lumières qui éclairent son visage aussi clair que la porcelaine, Selji se penche alors vers Isaac et hausse avec désinvolture ses épaules
Je sais pas. Je crois que ça va..
presque un murmure dans sa barbe -c'est toujours avec une certaine gêne qu'elle discute avec Isaac, même si évoquer ce qui ne va pas et ce qui va est agréable, c'est toujours un bloquage, un barrage dans sa gorge qui lui empêche de déballer tout ce qu'elle voudrait réellement avouer, alors elle se contente de discuter petit à petit, de s'ouvrir lentement mais sûrement jusqu'à pouvoir pleinement discuter de ce qui la tracasse réellement, de pouvoir hurler à Isaac qu'il y a des choses dans son ventre qui lui font mal et qu'elle aimerait que ça s'arrête ses mains se glissent entre ses cuisses à nues et Selji essaie de voir par dessus les lunettes noires d'Isaac en souriant
C'est mérité aussi. Arrête de porter des lunettes de soleil quand y en a pas. C'est nul.
et voilà que son siège pivote avec elle pour se retrouver finalement face à lui et ses phalanges viennent s'emparer des lunettes qu'elle dépose sur son propre nez, prenant alors la pose, Selji plante la paume de sa main sur son genoux qui vient se croiser par dessus son autre jambe et elle abaisse la paire sur le bout de son nez, toujours ce sourire amusé aux lèvres
Elles me vont mieux qu'à toi. Et regarde, tu vois je porte chance ! Les mêmes trucs s'affichent !
Selji se redresse sur ses jambes, le verre posé sur le rebord de la machine -elle se met à le boire d'une traite et attrape les pièces de monnaie pour les remettre dans le trou, tirer encore une fois la manivelle et regarder les lumières étincelantes parvenir jusque ses yeux parfois la jeune femme avait une espèce de chance incroyable mais parfois c'était le malheur qui s'abattait sur son dos un grondement qui ne fait rage que dans sa gorge, elle sourit et tourne la tête vers Isaac, les doigts qui viennent se poser contre l'écran lumineux et pince ses lèvres entre ses dents
Y a des choses, mais ce serait trop simple d'en parler comme ça. Si on gagne suffisamment de jetons pour réclamer une peluche à la caisse, j'accepte de m'ouvrir à toi. Sinon je dirais à toute l'école que t'es un mauvais psychologue Isaac.
un rire et une pirouette, Selji s'approche d'Isaac, dépose ses mains sur ses épaules et l'avance jusque la machine, sautille derrière lui et presse ses éclanches pour le pousser à tirer le fameux levier magique qui les mènerait au paradis ! se balançant sur ses épaisses semelles, Selji se décale lorsqu'elle voit un serveur s'approcher, s'empare de deux coupes et donne l'une d'elle à Isaac tout en venant s'épauler à la machine à côté d'eux, les jambes croisées
J'ai une descente d'enfer t'en fais pas, les cocktails ça me connaît. Et toi alors ? T'as une tête à avoir bu tous les alcools possibles.
son bras se tend vers lui et elle vient trinquer, faisant tinter le verre avec ce même sourire aux lèvres
Bien qu’il s’ingéniât à montrer le contraire, Isaac était en vérité assez peu concerné par la mélodie des machines, par les petites bulles offertes ou par le boucan alentour. Non content d’apprécier le calme et la sobriété, il était en plus d’une guigne inimaginable. C’était lui qui piochait systématiquement l’arête du poisson, lui qui se trompait de portes lorsqu’il venait voir un ami, lui qui oubliait son parapluie chez autrui dix minutes avant l’orage.
Il faisait de son mieux pour ne pas être distrait ; par la tornade qui sautillait partout ou par le champagne qui était au final assez savoureux. Bien que cette rencontre avait l’air d’une innocente sortie où chacun sacrifiait volontiers sa paye, l’étudiant ne perdait pas de vu son véritable objectif ; le bien-être de Selji.
La concernée avait l’air de s’amuser, oscillant entre joie contagieuse et moment interdit qui ne justifiait que trop bien l’importance de la séance. Isaac croyait lire dans ses silences quelques indices de ce qui alourdissait sa poitrine, qui nouait son estomac. A chaque regard qu’elle orientait ailleurs que vers les lueurs assassines du casino, à chaque mot qui ne semblait pas être naturel, à chaque épaule qui se haussait ; Isaac veillait au grain, dissimulant son attention derrière l’opacité de ses lunettes.
Qui d’ailleurs lui furent bien vite confisquées, ce qui ne manqua pas de le faire sursauter. Battant des cils à plusieurs reprises, il observa Selji dans l’incompréhension, comme si elle venait de braver l’interdit, de faire quelque chose qu’il ne croyait pas possible.
« Comment ça, c’est nul… Tu.. tu trouves… ? » La confusion laissa toutefois vite sa place à l’inquiétude. Il était fier de ses lunettes, ces petites loupes favorites. Peut-être aimait-il cet air mystérieux qu’il espérait cultiver, ou peut-être aimait-il simplement adresser des regards qui ne pouvaient pas être retournés.
Toujours était-il qu’il aimait ses lunettes, quel sacrilège de les dénigrer ainsi…
Ah, il était blessé en plein cœur.
« Franchement, elles te vont pas. » Dit-il enfin, un peu chafouin. C’était ses lunettes, sa propriété. « Prend une photo si tu veux, tu verras bien. » Sa sénestre indiquant vaguement la position de l’appareil de Selji, la voix du psychologue se nimbait de défi.
Pivotant sur son siège pour suivre sa voisine – ou au moins essayer, ses oreilles se dressèrent suite à son dernier changement d’intonation. Là encore, le véritable sujet perçait les enfantillages et les plaisanteries, Isaac s’y raccrocha bien vite.
Les yeux nus, il était d’ailleurs bien incapable de dissimuler les flammes qui naquirent au creux de ses prunelles d’azur. Il ne refusait jamais un défi. Surtout quand la récompense était si importante.
« J’espère que tu as une grande chambre alors. Je ne quitterai ce casino que lorsque je l’aurai dépouillé de sa dernière peluche. » La candeur acharnée qui transpirait de ses mots ne plaisantait pas, bien qu’il s’interrogeât sur la présence de peluches dans un casino. « Mais on n’aurait pas dû aller à une fête foraine, du coup ? » Demanda-t-il simplement.
L’idée avait germé. Si Selji voyait en la présence d’une peluche un remède à ses maux, Isaac se sentait bien de mettre à l’œuvre ses talents de tireur pour éclater quelques ballons.
Il secoua la tête pour recentrer son attention, remarquant qu’il s’éparpillait au moins aussi vite que son interlocutrice. Une main sur le levier, il le tira à plusieurs reprises, avalant les échecs qui défilaient comme la machine avalait ses pièces une à une.
A chaque levier qui se baissait, Isaac voyait une bière en moins qu’il dégusterait. Dans pas longtemps, il lui faudra reprendre ses lunettes de peur que ses yeux ne rougissent sous la tristesse de sa malchance.
Pour noyer son chagrin, il s’autorisa à boire une gorgée de champagne, ou deux. Trois, en réalité, mais des petites gorgées. L’étudiant était effectivement connu pour son amour pour la liqueur, il s’étonnait toutefois de voir une si rude concurrence en la présence de la jeune fille. Soit elle mentait et risquait de s’effondrer d’une seconde à l’autre, soit elle était plus robuste qu’il ne le pensait.
« Oh, tu n’as pas idée à quel point. Au front, j’ai même bu de l’alcool d’écorce. Une fois, j’ai même goûté une bière faite à base de piments. » Il tira une énième fois le levier, soupirant face à un autre échec. « C’était pas terrible. » Sans avoir l’élégance de préciser le sujet de sa complainte, il trinqua avec son alliée et siffla le reste de la flute de champagne.
« J’espère que tu n’as rien de prévu après. Ça risque d’être un peu long. » Il tira le levier encore. Avec un peu de chance, il aura encore assez d’argent pour survivre le mois suivant.
La première demi-heure étant passée, Isaac fit le nécessaire pour acheminer deux coupes supplémentaires, jetant toujours des œillades responsables en direction de Selji. L’étudiant leva son verre à sa santé.
« A la tienne. J’espère que tu as beaucoup de choses à me dire, vu ma poisse, ça a intérêt à valoir le coup ! Et puis comment ça se fait que tu es si chanceuse ? C'est injuste. » Il se gratta le menton tandis qu’un dernier levier tiré lui apporta une première victoire.
Mince, certes, mais c’était la fondation d’un monument.
« Tu n’as pas quelque chose à raconter, pour faire passer le temps plus rapidement ? » Il était un peu honteux de l’avouer, mais le bruit que la machine faisait lorsqu’un lancer échouait lui serrait la poitrine.
la susceptibilité Selji s'en plaint, elle ne l'est pas vraiment et s'étonne toujours que les gens réagissent mal à sa franchise et l'honnêteté qui émanent de ses paroles et c'est lorsque la voix presque chouinarde d'Isaac s'élève qu'un rire grave quitte son gosier -honnêtement, elle ne le pensait pas si susceptible, surtout pas pour une paire de lunettes ! Isaac avait l'air du type chill, qui se moque de tout et qui ne fait pas attention à ce qu'on pense de lui, mais peut-être que ses aprioris sont faux et que finalement, le psychologue est bien plus nœud-nœud qu'il n'y paraît alors l'étudiante les retire, revient derrière l'homme à la chevelure criarde et lui repose les lunettes sur le nez, cognant sa tempe contre la sienne au passage
Qui t'as piqué Isaac ? Je plaisante ça te donne un truc tes binocles et elles te vont sûrement mieux qu'à moi. Mais pas les casquettes, ça c'est mon truc.
Selji lui sourit et se redresse tout en tapotant son épaule -toujours là à fixer l'écran, finissant son verre d'une traite et puis le nectar divin, elle pensait que ça ferait effet plus vite, qu'elle finirait raide sur le tapis avec deux verres mais finalement, c'est seulement le visage rougit par la chaleur et ses phalanges qui serrent puis relâchent l'étreinte sur l'épaule plus large sous ses doigts Selji regarde l'écran qui n'affiche que des défaites, jamais les mêmes symboles, toujours les mêmes couleurs qui éclatent aux visages mais qui ne sont pas celles que l'on veut voir alors un souffle las s'échappe de sa gorge et Selji reste debout, s'accoude à son éclanche puis baisse ses prunelles plus foncées que celles d'Isaac dans les siennes, drôlement surprise d'entendre parler "du front" elle ne le voyait vraiment pas faire la guerre et c'est là que Selji se sentait bête d'avoir eu des aprioris aussi idiots et surtout complètement à côté de la plaque c'est juste un rire qui s'évade dans l'air, parce que boire du piment ça doit être rigolo et elle l'imagine à la peau rouge qui s'échauffe, le gosier qui crie et les yeux qui pleurent mais peut-être que la bière au piment ne piquait même pas et qu'encore une fois, Selji était vraiment à la ramasse
Elle trouvera sa place sur mon lit ne t'en fait pas. Et pas besoin, ils ont forcément un coin où tu peux échanger des récompenses, doit bien y avoir des peluches...
un haussement de sourcils et une attitude désinvolte, elle se remet prêt de lui, fixe l'écran prête à voir à tout moment la victoire se faufiler et enfin voir le visage d'Isaac briller ! mais...
une demie heure de passée et seulement un verre en plus dans l'estomac, Selji a beaucoup bougé entre les machines, les serveurs, son fauteuil pour finalement, avachir son buste contre le dos d'Isaac, sa joue logé contre ses mèches blanches, elle renifle et se penche sur le côté pour le voir et relève les yeux vers le ciel comme réponse elle ne sait pas, Selji n'en sait rien, parfois elle a énormément de chance et c'est comme si la vie lui souriait enfin, qu'elle pouvait faire ce qu'elle désirait que le monde lui tendait les bras et parfois, c'était le contraire, un étau qui se refermait autour de sa poitrine pour l'achever pleinement dans un espoir trop imposant prête à répondre, c'est un serveur qui s'approche et tend des cocktails -offerts apparemment par la maison car ils sont nouveaux et que chaque personnes doit être correctement accueillis Selji fait les gros yeux et s'empare de la grande boisson fraîche, les gouttes qui s'écoulent sur ses doigts elle trempe alors ses lèvres et grimace soudainement, un goût plus fort que ce à quoi elle s'attendait qui vient lui brûler la langue jusque son œsophage, elle vient s'asseoir auprès d'Isaac et cogne son poing près de la machine avant d'en voir le signe finalement vainqueur et les pièces qui s'en écoulent
Enfin tu gagnes... Et c'est la vie. Je suis un enfant des Dieux nordiques, c'est pour ça ! C'est super fort au fait...
Selji rumine et en reprend une gorgée, toujours la grimace sur le visage, elle vient remettre les pièces pour relancer la machine et regarde un peu autour d'elle, des petites gorgées qui viennent se faufiler entre ses babines les gens ici s'amusent ça c'est certain, ils discutent et rigolent fort, d'ordinaire elle aurait trouvé ça bien trop fort mais encore une fois, l'ambiance était trop festive ! et puis la norvégienne cherche quelque chose à raconter tout en faisant tinter les glaçons contre le verre, mâchonnant et croquant ceux qui s'en était échappés une histoire, des histoires, vraies ou fausses elle ne sait pas ce que Isaac recherche, mais elle en déduit qu'effectivement, c'est peut-être une parcelle de ce qui lui arrive au quotidien qu'il veut entendre alors elle éclaircit sa voix puis avale une énorme gorgée tout en lâchant un long râle, agitant sa frimousse dans tous les sens jusqu'à taper des pieds sur le sol
Berk berk beeeerk... Mais ! J'ai une histoire.... Quand j'avais onze ans je suis rentrée de l'école pour retourner chez mes parents et tu vois, ma grand-mère elle peut pas me voir en peinture par contre elle adore un copain. Va savoir pourquoi, il est pas plus mignon que moi pourtant.
Selji marque un pause, réfléchit et hausse les épaules -le whisky monte un peu plus vite cette-fois ci, mélangé aux précédents verres c'est tout son corps qui bouillonne mais surtout ses joues, comme après une séance de sport trop carabinée alors elle souffle, glisse ses jambes entre celles d'Isaac et relève son verre contre le sien en souriant
Enfin bref, je disais ! Elle peut pas me voir, donc elle m'a avoué que si j'allais nager dans le lac à minuit lors des aurores boréales, j'aurais la chance de faire apparaître le Dieu des chèvres
ses yeux qui se coincent dans ceux d'Isaac et la mine presque blasée, Selji ravale la fin de son verre, presque habituée au goût elle ne grimace que peu, repose le verre et appuie son coude sur le rebord en acier de la machine, le menton collé dans sa paume
Je l'ai fait. Je savais même pas nagé, c'est le voisin à moitié boiteux qui m'a récupéré et quand j'ai expliqué la raison on s'est moqué de moi. T'imagines ?
Selji se penche vers l'arrière en gloussant bêtement, si sur le coup elle avait été agacé, quand elle pense à cette histoire elle en rigole, alors c'est en pivotant sur son siège qu'elle lance encore la machine mais cette fois-ci le compteur ne s'affiche pas gagnant et elle fait une petite moue accompagné d'un soupir de désespoir dramatique
Comme souvent dans sa vie, voilà qu’Isaac perdait la notion du temps. Fusse-t-il seul à errer au bord de sa fenêtre à observer une nuit sans lune ou prisonnier de l’abondance d’un casino, le temps demeurait son ennemi le plus viscéral. Le jeune homme redoutait ses instants où il perdait le fil, où les grains du sablier s’écoulaient entre ses doigts incapables de les garder dans sa poigne. Un sentiment fugace lui fit l’effet d’un poignard entre les côtes.
Il connaissait cette sensation, celle de vivre un moment si agréable qu’il en devenait déjà nostalgique. Là où toutefois la plupart des gens ignorerait un ressenti du genre, Isaac l’accueillait avec anxiété. Le pauvre avait peur qu’on lui retire ce qu’il amassait, peur de perdre ce qu’il finissait enfin par gagner.
Plutôt que d’apprécier l’instant, il s’inquiétait d’en voir la fin.
Dans la vie comme avec cette maudite machine, sa malchance était de pair avec son malheur. Ainsi, s’il ne parvenait pas à aligner plus de trois symboles différents, c’était sans doute car il était également incapable de passer trois jours sans qu’une pensée ne le tire dans les méandres de ses mauvais travers.
Jamais il ne cesserait de s’étonner de la simplicité avec laquelle la tristesse pouvait rattraper les gens. D’à quel point un moment chaleureux pouvait se nimber de regrets, à quel point l’on pouvait être proche de la crise alors même que la fête battait son plein.
Dans l’insouciant espoir d’un jour trouver remède à ces mauvaises habitudes qu’étaient les siennes et qui rendaient ses insomnies encore plus pénibles qu’elles ne l’étaient, Isaac décida pour le moment d’enfouir tout cela. Une fois de plus.
Un sourire un poil crispé s’afficha alors sur son visage neutre. Il essayait d’inviter Selji à s’exprimer alors qu’il en était lui-même incapable.
Peut-être que comme un médecin pouvait croire que son statut l’exempterait de la maladie, le psychologue voyait en sa profession une barrière symbolique aux problèmes qu’il combattait ardemment.
Ainsi était la croisade d’Isaac ; apporter la solution sans jamais en bénéficier. Cela lui convenait.
« Haha, je te taquinais, ne t’en fais pas. » Incertain de ses propres mots, il semblait en vérité assez peu convaincu. Taquinait-il vraiment lorsqu’il était question de ses lunettes ? Ces petits binocles faisaient partie de son identité, il était cependant du genre à prendre tout à la dérision, à exagérer une broutille jusqu’à la rendre amusante. Il finit enfin par acquiescer.
« En vrai, elles te vont presque mieux qu’à moi. » Finit-il par concéder, un poil rageur. Toutefois, un compliment n’était jamais gratuit. « Presque, j’insiste bien. »
Le temps faisant son office et les scores étant de plus en plus positifs, Isaac se rapprochait dangereusement de l’obtention de la peluche, tant qu’il en oublia un petit peu le reste. Sa nature de compétiteur l’empêchait de prendre à la légère un défi, fusse-t-il le plus impertinent possible.
L’étudiant offrit toutefois à l’histoire de Selji toute la discipline et l’écoute qu’elle méritait, n’en ratant pas une miette. Ses sourcils se fronçant sous l’existence supposée d’un dieu des chèvres, il jeta des regards en coin vers la conteuse improvisée, se demandant sérieusement si elle n’était pas en improvisation totale.
« Un dieu des chèvres ? » Répéta-t-il à quelques reprises, comme si c’était la chose qu’il avait retenu de cette histoire – d’ailleurs assez tragique. « J’imagine que faire confiance à ses aînés est une qualité, mais là quand même… Y’a même pas de rapports entre les lacs et les chèvres… Et puis, pourquoi à minuit ? Au moins, un bon samaritain t’a sorti de là. C’est assez cruel en vérité. »
Tant de questions qui restèrent sans réponses. « Pourquoi elle te détestait tant, cette grand-mère ? » comme une cerise sur le gâteau, Isaac en rajouta cependant une.
La mélodie de la machine saluant ses victoires répétées entreprit alors de monopoliser un peu de son attention. Pendant une poignée de secondes, l’étudiant repartit dans sa bulle, sur le point d’obtenir assez de jetons pour les échanger contre une belle peluche. C’était sa mission, et il allait bien la remplir – au grand dam de son garde-manger et de ses escapades nocturnes, toutefois.
Il fallut un petit tintement de glaçons pour l’extirper de ses pensées et de ladite bulle d’efforts.
Des glaçons ?
« Y’a pas de glaçons dans le champagne… » S’était-il dit à lui-même d’une voix de détective, avant de tourner la tête vers Selji et d’enfin comprendre pourquoi elle arborait une mine écœurée depuis plusieurs minutes maintenant. Voilà donc pourquoi elle se tenait si bizarrement.
« Mais. » Une main alla saisir le verre vide de la jeune fille, l’orientant ensuite vers les narines du russe. En fin limier, il remua le nez avant de le lever vers sa voisine, les yeux tant écarquillés qu’ils s’échappaient de ses fameuses lunettes. « C’est du whisky ça, pas du champagne ! »
Alerte. La situation passait de ‘ légèrement incongrue ‘ à ‘ potentiellement dévastatrice ‘. Pivotant vers Selji, Isaac récupéra les jetons dument acquis et se leva. Maugréant dans sa barbe imaginaire, il se maudit d’avoir raté quelque chose d’aussi évident.
« J’ai assez pour t’acheter une jolie peluche, tu pourras prendre celle que tu veux. » Dit-il en agitant les jetons dans sa poigne, avant qu’une légère céphalée ne fasse battre ses tympans. Le manque de sommeil combiné à l’effort mental ne lui réussissait pas. Ou bien peut-être était-ce les…
Combien de coupes avait-il bu, déjà ?
L’étudiant haussa des épaules. Après tout, il était du genre à bien tenir l’alcool. D’une œillade, il remarqua d’ailleurs que l’adolescente avait récupéré un verre de ce divin nectar pour lui. Trop obnubilé par le jeu, il l’avait totalement oublié. Conscient que le laisser à portée de Selji était désormais périlleux, il s’en saisit d’une main et descendit le contenu d’une longue et unique gorgée.
Ce casino lui avait tout pris, de son temps et de son argent. Ce n’était qu’une juste revanche d’épuiser son stock de boissons gratuites.
Nonobstant. A ressentir la douleur et l’immense chaleur qui remontait le long de son œsophage comme d’un volcan en éruption, Isaac comprit qu’il ne venait pas d’avoir sa plus brillante idée.
Il souffla longuement.
« J’me suis peut-être un peu surestimé là… » Dit-il d’une voix éteinte, éreintée par la liqueur qui griffait les parois de ses cordes vocales. Il s’exprima d’une voix grave, comme s’il avait enchaîné l’équivalent de vingt paquets de cigarettes. « Allez, on va échanger les jetons ? Tu me dois une conversation, je te rappelle. Tu sais déjà quelle peluche tu veux ? » Soudainement plus détendu, il posa un instant une main amicale sur l’épaule de Selji pour qu’elle l’accompagne dans sa marche.
Responsable malgré la tempête, il prit le temps de zieuter son état, d’être certain qu’elle ne tombe pas et que l’alcool ne lui fasse pas l’effet d’une bombe à retardement. Il ne fallait pas laisser ce moment devenir un mauvais souvenir.
ça s'enfume et ça titube presque, Selji commence à sentir la chaleur bouillonner et elle se remercie d'avoir enfilé une robe pareille -autrement elle aurait déjà hurler qu'elle avait chaud et qu'elle allait mourir mais lorsque ses yeux s'accrochent à des filles plus loin, Selji elle renifle, elle sent la touffeur se diriger vers son estomac puis c'est des trucs auxquelles elle pense, elle y pense sérieusement, elle qui prétend aimer cette personne -certaines choses ne lui ont jamais effleurer l'esprit contrairement à lorsque ses yeux se posent sur cette fille en particulier à l'école et c'est avec le propre air qu'elle aspire qu'elle vient s'étrangler dans un souffle trop court l'alcool lui fait trop penser et elle divague, perdue sur le flot de ses songes mais c'est plus facile de réfléchir avec le nectar des dieux qui parcourent ses veines, l'assemblage de ses os qui viennent craquer lorsque son râble se dresse dans son entière longueur ses mains viennent serrer ses cuisses, toujours emporter par les émois plus loin et c'est la gorge qui se noue, comme une salve ouverte à la mer et qu'on laisserait y pénétrer les vagues incandescentes de sentiments trop refoulés, des non-dits qui persistent depuis trop longtemps, logés dans les tréfonds des abysses inatteignables compte tenu des œillères que la jeune femme se met, refusant d'admettre une vérité qui lui pend pourtant au nez puis le néant, le néant qui sillonne sa tête durant quelques secondes, son visage qui retrouve celui d'Isaac elle reprend la conversation en bout de route, remet les mots dans l'ordre et hausse le ton lorsqu'il évoque le fait que croire ses aînés a une certaine limite et que là, elle est peut-être allée trop loin, mais peut-être n'a t-il pas tord Selji est un peu crédule sur les bords c'était une vérité incontestable mais avec le temps, elle avait appris avec le temps à savoir lorsqu'on mentait, du moins sur certains sujets, sur d'autres, elle restait toujours assez candide, mais prête à répondre aussi sèchement que possible pour exprimer son mécontentement quant à son jugement, c'est une autre question qui vient s'embourber et Selji hausse les sourcils, corrode sa lèvre inférieure entre ses incisives et tape la jambe d'Isaac
J'étais juste pas assez bien, pas aussi bonne que ma mère à son âge.
ses épaules suivent un mouvement las, désinvolte, moqueur sa grand-mère elle s'en moque Selji, elle ne la considère pas comme un membre de sa famille mais plutôt comme un poids dont elle ne peut pas se débarrasser, une maladie accrochée à sa peau qui la ronge lorsqu'elle la croise, contre qui elle ne peut rien prononcer qu'elle ne peut qu'entendre même si ses mains se plaquent contre ses oreilles et qu'elle essaie de n'entendre que sa propre voix, sa voix qui voudrait résonne dans sa tête mais il n'en est rien, il n'y a que les mots cruels qui reviennent toujours qui viennent gratter contre les parois de ses pensées, qu'elle finit par écraser d'une simple poignée de main et revenir en Norvège est devenue une torture dont elle a pourtant besoin, ne serait-ce que pour en sentir les frissons des terres enneigés et du souffle coupé dans les hauteurs des hauts lieux mais il n'y a pas à dramatiser la situation, le moment est amusant, le lieu n'est pas à la tristesse ni à la mélancolie des heures passées, alors le corps svelte de la jeune fille s'élève et elle entoure son bras autour de celui d'Isaac qu'elle regarde engloutir le verre d'une traite, les yeux ronds, complètement outrée d'une telle descente puis c'est un rire qui jaillit de sa gorge, elle ne peut s'empêcher de bêtement se moquer de lui, puis elle le suit tout en souriant, soudainement plus que joyeuse -ravie d'une soirée avec lui Isaac c'est un bon type, il est peut-être un peu à l'ouest, pas vraiment à l'aise mais c'est simple de s'ouvrir à lui
Tu vas être aussi torché que moi.
la voix qui tiraille dans un ton railleur, elle le bouscule légèrement tout en titubant, le tenant fermement pour qu'il ne s'échappe de son emprise -même sous alcool sa force est là, voir peut-être même plus qu'à l'accoutumée alors elle fait attention à ne pas trop forcer, à ne pas appuyer sur certains endroits et surtout à ne pas glisser à errer entre les allées de machines, ils finissent par apercevoir le lieu tant convoité là où l'on échange ses jetons, là où tous les rêves sont possibles et où une énorme peluche phoque trône alors ce n'est plus seulement la tête dans les étoiles mais aussi les yeux qui s'en remplissent, elle attrape la manchette d'Isaac et pointe du doigts sa convoitise
Là ! Ça ! Je ve-veux ça ! Et je te raconte après tout ! Viens viens !
les mots qui s'emmêlent malgré elle, c'est son corps qui s'emporte jusqu'au guichet et là voilà qui réclame le jouet et tend la main du jeune homme pour en déverser le contenu et tend ses propres jetons sortis de la banane autour de sa taille finalement, enfin un vrai but à cette soirée si amusante, les bras qui entourent le petit animal rembourré, Selji le serre plusieurs fois en se dandinant un peu trop, le corps qui pencherait presque à 90°, elle s'arrête à l'extérieur du bâtiment pour sentir l'air frais faire frissonner sa peau, soupire et inhale l'air avant de lever les yeux vers son acolyte en souriant
Merci pour la p'luche. J-je dirais à peeeeeeersonne que tu m'as pas surveillé et que j'ai un peu boive...bu....c'est pareil...
ses doigts arrête au départ sa robe qui virevolte au grès du vent mais après avoir correctement regarder ses jambes frêles, c'est un morceau noir qui apparaît à mi-cuisse, elle a un short alors il n'y a aucun risque, tout est sauf puis elle s'assoit sur le banc devant le casino, étend ses jambes et chantonne des mots en Norvégien avant de regarder Isaac, remémorant les fragments de ce qui s'est déroulé sous ses yeux un peu plus tôt Selji ne sait pas comment en parler, comment mettre le doigts sur ce qui chiffonne son cœur, trop habituée à repousser l'échéance des émotions
Je crois qu'j'aime un garçon, mais... Quand...Je regarde... Une fille... Je te dirais pas qui, sinon après voil-àà.... C'est unnn peu pareil maaaaais ! Mais.... J'appuie sur le mais monsieur...
Selji soulève son index et plie le reste de ses doigts, se cambrant vers son interlocuteur les sourcils froncés, il fallait bien qu'il comprenne ses mots, parce qu'elle, elle s'y perdait
Genre, pour les deux c'est pareil mais...Peut-être..Bien que... Y en a une que je préfère...S-sentir dans mes bras...Peut-être bien.... Et en général... Quand même les filles elles sont plus belles non ? J'veux dire, les garçons ils ont quoi eux hein ? HEIN ? Enfin, toi ça va... T'es mignon...
Selji recule d'un cran et repose son dos contre le dossier, enfonçant son nez dans la douceur de la peluche, complètement perdue dans ce qu'elle croyait vouloir, ce qu'elle croyait désirer jusque présent les regards équivoques vers les filles n'ont jamais éveillé ses soupçons, parce qu'elle s'en moquait mais aujourd'hui à force de se rapprocher des autres, à ne plus les fuir comme la peste, les choses changent et Selji n'en peut plus de tout nicher dans un coin de sa caboche
Tout ça pour un phoque. Wow. Il ne savait que dire.
Les épaules se baissent, le sourcil se tord. La convoitise était parfois plus importante que la satisfaction, désirer quelque chose était parfois plus agréable que de l’obtenir. Se languir de mettre la main sur l’objet d’une lubie était une promesse d’adrénaline et d’impatience, l’acquérir était cependant porteur de déceptions.
Une fois le désiderata satisfait il ne restait qu’une longueur en bouche, une amertume qui laissait un vide dur à combler. Comme le cœur du chasseur vibrait pendant la traque, le cœur d’Isaac grimaçait une fois l’objet en sa possession.
A bien y réfléchir, sa partie préférée avait été celle passée à enchaîner les échecs, à rire de son malheur et à plaisanter avec Selji. Comme pour un anniversaire, l’important n’était pas de déguster le gâteau mais de célébrer avec les êtres aimés.
L’étudiant ne perdit cependant pas son sourire. Selji semblait avoir développé un amour inconditionnel envers ce phoque, qui était-il pour la juger. Ses efforts n’auront pas été vains, l’adolescente semblait comblée, c’était tout ce qui importait.
« Comment ça je ne t’ai pas surveillé ? J’suis en train en ce moment même. » Avait-il dit alors qu’il se laissait gentiment traîner par le bras çà et là. Après tout, c’était bien vrai. Il ne s’était pas tenu à plus de deux mètres de la jeune fille depuis son entrée dans le casino.
« Je t’ai même évité le coma éthylique en me sacrifiant. » Il comptait effectivement accompagner l’étudiante dans ses rasades, ne serait-ce que pour lui éviter de sombrer un peu trop dans le flou.
Sentant l’air frais et salvateur qui remontait le long de ses mèches et faisait trembler son échine, Isaac se mit à ricaner. La fraîcheur de la nuit était agréable, la lumière du réverbère assez chaude pour qu’il se laisse choir sur le banc à côté de son accompagnatrice.
Appréciant le léger concert que la norvégienne lui offrit, il prolongea son écoute pour dédier une oreille attentive à sa première confession. Comme à son habitude, Isaac assimilait le savoir sans laisser transparaître un quelconque jugement sur sa face. D’un silence religieux, il offrait à son interlocutrice la place nécessaire pour qu’elle s’exprime sans gêne, puis prenait son temps pour répondre.
Deux doigts allèrent soutenir son menton tandis qu’un rire lui échappa et brisa sa posture. Il ignorait si c’était l’alcool ou son attitude, mais Selji lui paraissait immensément sympathique, adorable. Quelqu'un qu'il souhaitait protéger d'elle-même et de ses mauvais travers, qu'il voulait voir épanouie.
« C’est amusant, tu ne trouves pas ? A quel point l’on peut être fort pour se trouver des défauts. » L’alcool rendant sa mâchoire engourdie, il fallait faire quelques efforts pour le comprendre. Articuler n’était plus chose facile. A la base, il s’était même dit qu’il n’était pas pertinent de réagir à ce qu’elle avait dit plus tôt, mais la liqueur l’avait désinhibé, ôté la frontière qu’il imposait à sa franchise et à sa spontanéité. Ainsi, plutôt que de répondre directement à ce qu’elle venait de lui dire, il revint en arrière et s’arrêta sur cette histoire de valeur.
« Quand je me compare aux autres, j’arrive toujours d’une façon ou d’une autre à les trouver meilleurs que moi. Plus intelligents, plus compétents, moins coincés, plus classes avec les lunettes. » Il haussa d’une épaule. Ce qu’il disait ne l’attristait pas, il s’en amusait plutôt maintenant.
C’est presque comme s’il avait réussi à passer outre cette étape cruciale de la vie.
« Mais au final, est-ce que c’est vraiment le cas ? » Demanda-t-il. « Plutôt que de regarder, prends le temps d'observer. Personnellement, je ne crois pas qu’il y ait beaucoup de gens véritablement plus heureux que toi et moi, ou moins incertains, ou plus compétents. Au final on essaye tous de naviguer et de garder la tête hors de l’eau. Ce que je veux te faire comprendre, c'est que tu n'es pas la seule à penser ainsi, à refouler des choses, à souffrir en silence. Ne laisse juste pas ces choses occulter ce qu'il y a de bien en toi. »
Il croisa des bras derrière sa nuque, s’amusant à faire monter et descendre ses lunettes le long de l’arête de son nez. Les joues rougies par l’alcool et le froid, de la condensation s’échappa de sa poitrine.
« L’idée c’est pas tellement de mériter l’attention d’autrui ou d’être assez bien pour quiconque, c’est d’offrir le meilleur de ce que tu es. Parce que tu ne seras jamais meilleure que lorsque tu es toi-même. A quoi ça sert de rendre les autres admiratifs si même toi tu ne prends pas le temps de te regarder, de te voir vraiment ? »
D’un léger sourire, il calma sa voix pour la rendre plus douce, presque fraternelle. Croisant des jambes, il bâilla un moment. Cela avait l’air de rien, mais ce bâillement contribuait à cette aura d’accalmie et de tranquillité qui émanait d’Isaac, comme si rien n’était vraiment grave, comme si chaque problème avait effectivement sa solution.
Tout allait bien.
« Je trouve ça plutôt cool ce que tu dis. Pas le fait que tu me trouves mignon, bien sûr, mais le fait que tu arrives à mettre des mots sur tes préférences. C’est important. Je trouve aussi que les filles sont plus belles en général, mais j’pense surtout qu’il faut aimer la personne avant d’aimer ce qu’elle représente. Alors que tu trouves un homme ou une femme joli, ça ne change pas grand-chose tant que t’arrives à trouver quelqu’un joli, si ? Sûrement même qu'il y autant d'hommes et de femmes qui te trouvent jolie en retour, d'ailleurs. » Conclut-il d'un petit pouffement de rire.
Le bout de ses phalanges occupé à valser dans un rythme anarchique, il faisait de son mieux pour chasser l’engourdissement qui atrophiait ses muscles. En bon professionnel qu’il espérait devenir, il s’obstina ainsi à rester sérieux, encore quelques minutes.
« C’est normal de se poser toutes ces questions, surtout à ton âge. A dire vrai, je connais beaucoup de gens qui se la poseront toute leurs vies. Le fait que tu penses déjà avoir trouvé une réponse est encourageant, ça montre que tu es plus mâture que prévue, malgré ton amour pour les peluches moches. » Ca y est, c’était dit.
« Ne cherche pas à calquer tes préférences à celles des autres, tu es la seule à savoir comment tu dois vivre tes amours, ressentir tes émotions. Sauf en termes de peluches, là vraiment tu dois faire un effort. »
ses pensées ne sont qu'un amas de fragments désorientés qui se chevauchent, ne laissant qu'un bourbier immenses de souvenirs impossibles à remettre en place, à savoir le vrai du faux, ce qui s'est réellement passé et ce que Selji a vraiment aimé durant tout ça ses yeux essaient de rester ouverts mais la lourdeur de l'alcool qui circule dans son sang lui donne envie de somnoler, alors elle se redresse en étirant ses lombaires et ses trapèzes inférieurs avant de se lever du banc, son nouvel animal de compagnie dans le creux de ses bras Isaac n'a pas grand chose à envier aux autres, quand Selji le regarde elle lui trouve des qualités innombrables -mais son majeur défaut reste qu'il est un garçon, peut-être qu'autrement, elle aurait vu en lui quelque chose de plus attractif, d'aimant mais c'est le son qui perce hors des murs, les échos de voix qui claquent dans la nuit noire et les néons qui n'illuminent qu'un seul et même chemin par lesquelles les âmes farouches fuient, Selji, elle observe ces gens s'évaporer comme s'ils n'avaient jamais été là, qu'ils n'avaient été que de simples fantômes, des figurants pour une nuit dorée
Ce serait un peu... Malvenu de notre part non ? Si on ne se trouvait pas des défauts...
un léger sourire sur les lèvres, Selji vient déposer la peluche sur le banc auprès d'Isaac et l'écoute toujours d'une oreille attentive, bien qu'un mot sur deux sautent et qu'elle n'est pas toujours sûr d'en saisir tout le sens, de ce qu'il essaie de lui communiquer et en même temps, elle se dit que lui aussi doit avoir du mal à se faire comprendre, vu comme sa mâchoire se meut : difficilement et machinalement et puis ses paroles tintent aux oreilles de la brune, comme si ce qu'Isaac venait de lâcher avait complètement relâché la pression de l'alcool dans ses veines, que ce voile flou sur ses yeux s'était volatilisé et que maintenant, elle comprenait un peu mieux sa poitrine se gonfle d'air, dégonfle et c'est ses mains qui viennent agripper celles d'Isaac, qu'elle oblige à se lever pour tourner en rond sur le trottoir, manquant de le rater lorsque son pied foule le sol
C'est humain de se comparer et c'est dur d'arrêter de le faire tu sais. Et puis qui sait, peut-être que je crois avoir trouvé la réponse, mais s'il le faut elle est fausse... J'en sais rien en fait...
malgré les efforts incessants et la fougue que Selji met dans ce en quoi elle croit, ce sont toujours les effroyables amertumes qui s'abattent sur elle, les espoirs trop fleurissants qui s'envolent lorsque les autres se débrouillent mieux et que même la miséricorde ne veut plus de nous alors Selji serre doucement les mains d'Isaac qu'elle pose sur ses côtés -pas certain qu'il puisse aller plus bas, afin d'appuyer ses paumes contre ses avants bras à lui, divaguant dans la rue tout en le regardant un fin sourire qui rayonne sur son visage
Mais je retiens ce que t'as dit, tu devrais faire genre... Professeur de philo', ou alors genre... J'sais po'.
un râle et sa nuque qui flanche vers l'arrière, Selji se laisse pencher vers l'arrière, serrée entre les mains d'Isaac, elle observe le monde qui s'écoule toujours à cette lenteur déconcertante, cette lenteur qui parfois devient trop rapide, qui prend trop de place et qui ne lui laisse pas le temps d'avoir le temps puis Selji relève la tête, le regardant
Je t'interdis de critiquer mes goûts en matière de peluche, sinon je me gênerais pas pour critiquer ta future copine.
pas de pitié et un simple sourcil qui se recourbe, des mains qui reviennent retrouver la peau laiteuse du type, Selji retrouve sa droiture une soirée comme elle en avait rêvé, une soirée amusante et revigorante des voix qui se mélangent avec acidité, des mains qui se cognent et des corps qui s'emmêlent c'est une soirée comme Selji les aime
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