Solveig sentait la transpiration froide. Normal, elle avait fait du sport ce matin, et n’avait pas eu le temps de se doucher. Les petits footings dans le froid, ça ne pardonnait pas à ce niveau là. Mais elle s’en fichait. Okay, certes, c’était désagréable pour les autres, mais comme elle avait pris l’habitude de snober leurs regards condescendants, ce n’était qu’une question d’habitude. Nonchalamment, elle se gratta les cheveux, et, voyant ses doigts huileux, grimaça. Bon sang, il était temps qu’elle prenne le temps de faire un shampoing. Et peut-être aussi de changer de chaussures. Regardant ses tongs usées, son jogging troué, elle soupira. Ne se rendant pas spécialement compte qu’elle était la lie de la classe A.

Arrivée en cours, elle se plaça pourtant au premier rang. Premier arrivé, premier servi, comme on disait. Ce qui fit grimacer ses camarades de classe. Personne n’avait envie de l’avoir de dos, c’était un fait avéré. Solveig décida de ne pas changer ses habitudes : à savoir, utiliser son dictaphone pour tout enregistrer. Ce cours était un TD dont le sujet n’allait pas tarder à être révélé. Voyant les étudiants en art débarquer à la suite du professeur, la russe sentit la douille arriver.

“L’art dans le processus de guérison.”

Ah putain, un travail de groupe. On leur avait assignés des binômes, histoire de faciliter la chose et d’éviter le copinage. Solveig préférait ça plutôt qu’aller elle-même à la pêche, mais cela déplut à beaucoup. Comme tout le monde avant elle, on l'appela, et les présentations furent rapidement faites. Traînant des tongs, les mains dans les poches, elle alla se placer sur son bureau, faisant un minimum de place sur ce dernier pour accueillir la pauvre fille qu’on lui avait assigné.

- T’en fais pas, j’ai mémorisé tous les cours qui pourraient aider dans ce TD. T’as pas besoin de travailler. Je m’en occupe.  

Cela partait d’une bonne intention, celle d’avoir la meilleure note possible, mais son ton monocorde laissait plutôt songer qu’elle n’en avait rien à faire de l’autre, et que sa présence lui était plus déplaisante qu’autre chose.
   

     - Du concret, c’est ce que veulent nos profs. Mais bon, t’es en art, c’est pas comme si ça te parlait.

Solveig regarda le carnet. Il était hors de sa portée. Ennuyant, surtout quand on savait que la personne en face n’est pas de celles à agacer. La russe aimait les choses simples, prendre une feuille, écrire un devoir, avoir une bonne note. Mais son binôme ne semblait pas de cet avis, et voulait l’agacer en l’insultant. Solveig n’était pas du genre à se laisser faire. Elle voulait vivre sa vie, si possible sans violence, mais n’hésitait jamais à recourir aux même armes que ses adversaires. Quand on lui disait des mots durs, elle répliquait, quand on la frappait, elle rendait les coups.

Cette même fille avait encore son carnet en main, et voulait faire tout toute seule. Pas question. Son but était donc de faire cet exercice, mais pour cela, il lui fallait éloigner son binôme. Un problème, un obstacle, une solution.

Elle poussa de la main le stylo tendu par sa camarade. Pas question d’accepter ça. Elle avait les siens, tout de même, et un minimum de dignité. En plus, ces lèvres qui dissimulaient à peine un sourire, c’était vraiment de trop. Certes, elle était pas belle, okay elle ne prenait pas le temps de s’entretenir, mais merde, elle ne voulait pas être la coqueluche des A. Pas question d’avoir fait tant d'efforts pour finir souffre douleur.

- Mais dis moi, qu’est que tu fais en cours, à part mettre un peu de peinture sur une toile ?

Pas bonne idée. Pas bonne idée du tout. Elle ne voulait pas se fritter avec une fille capable de la plier en deux. Littéralement en deux. Et pourtant c’était bien partit pour. Même si son instinct lui hurlait de transformer son sac en béton pour le lui fracasser sur le crâne, elle décida de ne pas y céder. Soupirant, elle leva les yeux au ciel. Prenant une autre feuille, elle décida d’abandonner le combat, et de faire le travail de son côté, commençant à noter mécaniquement toutes les références qui lui venaient à l’esprit.

   

        Pas taper on a dit. Pas. Taper. Solveig soupira, et adressa un petit sourire dédaigneux à la norvégienne. Un sourire tordu, à l’image de sa propriétaire.

- Tu peux cracher tout le venin que tu voudras, j’ai jamais prétendu être intelligente.

Solveig rejeta la tête en arrière, et tapota sur sa feuille blanche. Elle continua d’écrire sa liste de références. Elle fronça les sourcils un instant, puis commença à y ajouter des citations qu’elle trouvait intéressantes. Marmano dans sa barbe, ne visant personne en particulier.

- En attendant, peut-être que je ne réfléchis pas, mais je fais exactement ce que les profs attendent de moi. Je connais les définitions, pourrais te réciter des passages entiers de livres. Certes, un enfant de six ans peut le faire, mais un enfant de six ans ne sera jamais à ma place, en classe A.

Selji contre-attaqua en parlant d’audio-visuel, et la russe haussa des épaules, leva les sourcils. Elle n’était pas du genre à s’intéresser aux programmes artistiques, n’y les sous-classes qu’on pouvait y trouver, et cela se voyait clairement sur son visage. Puis, sa binome parla du bordel sur sa tête, tient-tient. La blonde grinça des dents, mais continua d’écrire sans discontinuer. Avant que sa camarade ne perde patience, et lui arrache sa feuille des mains, ne la lui rendant qu’ annotée d’une pique gratuite.

Solveig passa la langue sur ses lèvres, les doigts crispés sur sa copie maintenant chiffonnée. Sans réfléchir, elle transforma la feuille avec son pouvoir. Du coton pensa t’elle, et aussitôt, une petite serviette de toilette la remplaça. Armée d’un grand sourire, la blonde la prit, se frotta le front, les cheveux avec, avant de lui redonner sa forme première. Un devoir, maintenant plein de transpiration, et de sébum. Un sourire suffisant ornant maintenant son visage, elle ne tint pas compte de la fatigue tant elle était contente d'elle-même. Sans préavi, elle la fourra dans les mains de la norvégienne.

- Crève.

   

 Sans prévenir, Selji lui attrapa la chevelure. Aie. D’une voix pas du tout commode, elle lui annonça les choses en grand. Attrapa sa feuille pleine de sébum, et la lui carra en travers de la bouche. La russe, par la force utilisée et à cause de ses gencives sensibles, sentit ces dernières commencer à saigner. Elle grimaça à cause de la douleur, n’arrivant pas vraiment à réfléchir. Merde, ainsi prisonnière, son instinct lui cria de s’écraser. De fuir, de retourner à des jours où elle n’avait pas de pouvoirs.

Un camarade passa, mais la norvégienne lui indiqua que tout allait bien. Ce répit permit à Solveig de reprendre ses esprits. Elle avait des pouvoirs. Elle avait de la force, et un caractère qui n’était pas permissif. Selji attrapa le papier entre ses dents, et le lui retira. Pouvant ainsi voir l’état de ses pauvres gensives rendues vives par ce contact non désiré.

- Je reviendrais en A tout aussi vite le minimoy.

Ouais, parce qu’il y avait un truc qui lui faisait plus peur que Selji, que les plus grands caïds de ce lycée. Il y avait un truc qui lui faisait plus peur que d’être détestée, malmenée, délaissée. Sa mère. Putain. Sa mère, et ses enseignements à la dure. Ses réveils à cinq heures du matin, ses regards désapprobateurs, son ton si doux qu’il en devenait dur. Nan, sérieusement, jamais Solveig ne prendrait le risque de la contrarier. De lui montrer que toute l’éducation qu’on lui avait prodigué était vaine. Inutile.

L’autre répliqua qu’elle était une peste ? Quoi ? Non ! C’était pas vrai, elle était une bonne élève, quelqu’un de gentil, un peu solitaire. C’était elle qui avait commencé. C’était elle qui était en tort. Énervée par cette parole, Solveig décida de répliquer. Donnant à l’autre, sans s’en rendre compte, raison à son sujet.

La main sur sa pochette en carton, Solveig pensa à du béton. Et alors que l’autre lui reprenait la chevelure entre ses doigts, la russe la lui abattit en travers de la tête. Cinq centimètres de pure solidité en travers de la gueule. Ça allait faire mal. Heureusement, ses cheveux étaient assez gras pour ne pas donner trop de prise à son adversaire. Solveig réussit, d’une torsion du dos, à se détacher. Bon, il fallait dire que le coup aidait pas mal.

La dalle de béton lui échappa des mains, et se cassa non loin de la table. La russe grimaça. Putain, il y avait trois jours de cours dedans ! Il allait falloir qu’elle trouve quelqu’un pour l’aider, quelqu’un pour lui donner ses notes. Attrapant un règle de trente centimètres sur la table, elle s’éloigna brusquement de la norvégienne. Pointant cette dernière comme une épée, alors même qu’elle commençait à s'essouffler.

- Je veux juste finir ce devoir rapidement. On bosse ensemble ou je demande à changer de binôme ?

Un problème. Une solution.

   

- J’aime pas me faire insulter par les merdeuses.

S’excuser ? La russe grimaça. Selji était une paria. Entre elles, c’était un littéralement un combat de domination, celle qui perdait serait la plus détestée de tous. Celle qui n’avait pas su gagner, celle qui valait moins que l’autre. S’excuser, c’était dégringoler encore plus dans l’échelle sociale des A. Ce devoir en valait-il le coup ? Solveig tenta d’y réfléchir. C’était compliqué, avec toute cette adrénaline qui courrait dans ses veines. Elle pouvait le faire, question de volonté. Pendant les quelques secondes interminables qui s’écoulèrent, Solveig récapitula les faits dans sa tête.

1) On l’avait collé avec le minimoy pour un devoir
2) Le petit monstre était teigneux et avait essayé de l’insulter
3) C’était partit pour un free-fight
4) Le devoir n’allait jamais être fait

Autour d’elles, la russe sentait l’excitation monter. Un rapide coup d'œil lui confirma ce qu’elle savait déjà. Les regards les plus proches étaient tournés vers elles, dans l’attente qu’elles se mettent sur la tronche. Dans l’attente que le professeur revienne, et les punissent, sûrement avec plus de devoirs à rendre pour la prochaine fois.

Solveig laissa tomber sa règle à terre, leva les mains en l’air. Le fait que sa camarade fasse une gentille démonstration de force n’y était bien sûr pas étranger. La blonde n’avait qu’une envie, terminer son devoir, et faire des origamis pour se calmer de cette journée. Perdre ce combat, chuter dans l’échelle sociale, ce n’était finalement peut être pas si grave. Sentir l’air ainsi se réchauffer l’avait dégouté.

Un problème : comment faire son devoir maintenant que toute tentative de paix semblait vouée à l'échec ? Une solution : s’excuser, s’écraser, malgré le fait que cela lui déplaisait. Solveig se jura de le lui faire payer. Elle ne savait pas encore comment, ni quand, mais ça se ferait un jour. Serrant les dents, elle soupira.

- Je m’excuse pour avoir littéralement voulu te tuer devant la classe entière.

S’approchant, elle donna un brusque coup de pied dans son ancienne chaise, qui se brisa sous l’impact. Merci les joggings matinaux, et les muscles qu’elle entretenait jour après jour. D’un regard morne, la russe dévisagea Selji. Refusant d’entrer dans le jeu de tous ceux qui, autours d’elles, semblaient déçus qu’elles ne se tirent pas les cheveux et roulent par terre. Certes, elle venait de s’excuser, de s’écraser, mais elle espérait que ce petit tour de force lui permettrait de ne pas finir au fond du trou. Qu’il lui permettrait de garder un minimum de dignité.

Elle regarda Selji durant de longues secondes, la dévisagea en se disant que c’était dommage. Sa camarade était belle, pas comme elle. Elle aurait pu se faire une place, plutôt que de devenir une paria. Mais bon, l’adolescente ne savait pas tout. Il y avait peut-être une raison à sa chute. Dans tous les cas, elle ne voulait pas savoir. Selji était une chieuse de première, et visiblement, elle la détestait. Qu’elle prenne un ticket et fasse la queue. Soupirant à nouveau, elle se détourna, prit une chaise avant de se placer à son bureau.

- Bon, on le fait ce devoir oui ou merde ?

Elle ne voulait pas rester ici une minute de plus que nécessaire.


   

Demain ? Mais à ce rythme, elles allaient y passer aussi hein. Parce que tout le monde semblait avoir bien avancé, sauf elles. Pas question de se laisser distancer, pas question de se laisser aller. Puis l’autre mit l’accent sur un point particulier, et Solveig grimaça.

C’est compliqué. De sociabiliser. Surtout avec les sales gosses dans ton genre qui croient qu’ils peuvent bully les autres parce qu’ils ont trois grammes de pouvoir.

Elle avait toujours été seule, la plus jeune de sa classe, la plus forte du groupe, la plus détestée par ses petits camarades. Avec sa mère castratrice, et son cruel manque de temps libre, Solveig n’avait jamais vraiment pu se faire d’amis. Le temps aidant, elle avait décidé de ne pas en avoir besoin. S’était emmurée derrière une couche de protection. Ce triste constat d'elle-même lui brisa le cœur, mais elle ravala sa voix tremblante, ses envies de pleurer, pour garder un minimum sa dignité.

-T’es une peste Selji.

Oui, Selji la faisait chier. Oui, sa présence lui était compliquée, mais c’était avant tout parce que la jeune femme était son reflet. En moins crade, en moins détestable. Selji, c’était l’autre paria qui était belle, qui était intelligente. La paria avec une force surhumaine, qui pouvait se sortir de sa situation si elle s’en donnait un peu la peine. Ça, oui ça, c’était difficile à digérer. Alors, elle lui disait ce que l’autre lui avait craché au visage, un instant auparavant. Mais loin d’être agressive, Solveig avait sourit. Un compliment, une étrange marque de respect. Elle reconnaissait sa supériorité sans pour autant s’écraser. La guerre était déclarée.

Sans plus de cérémonie, elle attrapa la pochette que Selji avait mis à sa disposition et chercha les feuilles correspondantes.

- Si on veut viser la bonne note, il faut parler de Jean Dubuffet. Il faudrait aussi qu’on mette quelque part la collection de Jacques Soisson. On pourrait aussi caser du Freud, avec son truc sur la symbolisation. C’est ce que le prof veut en tout cas.

Impossible de lui expliquer comment elle le savait. Solveig observait les gens, décelait sans trop comprendre comment les petits signes. Un sourire, un mouvement de bras, c’était ainsi qu’elle avait de bonnes notes. La russe ne sortait pas des sentiers battus, et faisait toujours ce qu’on attendait d’elle. Ça payait bien en général. Malheureusement, la plupart de ses binômes n’en faisaient qu’à leurs têtes, ils ne comprennaient pas son copier-coller.

[déso si je dis de la merde, j’ai pris la page wiki art-thérapie et j’ai pioché des noms au hasard xDDD]

   

www Solveig en avait marre. C’était compliqué, surtout avec Selji qui ne pensait qu’à la corriger. Elles s’agaçaient mutuellement, et n’avançaient plus depuis un bon moment. Mais c’était important. Alors, quand sa camarade lui proposa d’abandonner le devoir, la première réaction de Solveig fut de l’épouvante. Abandonner ? Pas possible. Non, impensable même. Elle ne voulait pas. Elle voulait le finir vite et bien, avoir une bonne note. Rester dans les premiers.

- Non. On n’a même pas fait la moitié. On ne le terminera jamais si on s'arrête.

La russe continua d’écrire, et reprit la ou elle s’était arrêtée. Mais ce n’était pas une bonne idée, elle voyait bien que Selji était fatiguée. Cinq minutes s’écoulèrent, mais le devoir n’avançait déjà plus. C’était frustrant. Pourquoi sa camarade ne pouvait t’elle pas continuer d’étudier, comme elle ? Avoir sa capacité de concentration ? Mais penser à cela ne ferait pas avancer le problème. Au contraire, dans ce genre de cas, ce serait contre productif. Soupirant, elle reposa finalement son stylo.

- Je t’accorde deux heures.

Et comme pour souligner ce fait, elle sortit son smartphone et mit une minuterie. Pas question de lui accorder plus de temps à flâner. Déjà qu’elle allait se sentir coupable de ne pas travailler, alors passer plus de temps que prévu dehors. Cette simple idée lui donna des sueurs froides. Jetant son dos contre le dossier de sa chaise, elle leva la main en désespoir de cause. Le professeur la vit, mais avant qu’il ne puisse en placer une, Solveig cracha de façon monocorde, pas vraiment convainquante.

- Monsieur. J’ai mes règles. J’ai mal au ventre.

Voyant sur sa tête qu’il ne comprenait pas vraiment ou elle voulait en venir. Elle soupira, et se désigna du doigt. De la main, elle se tint le ventre, et pinça des lèvres pour faire semblant d’avoir mal.

- Je crois que je vais m’évanouir à cause de la douleur. Selji peut m'accompagner à l’infirmerie ?  
- Euh…
- S’il vous plaît.

Le professeur bredouilla, mais accepta finalement. Sans attendre plus longtemps, la Russe rangea ses affaires. Alors qu’elle allait sortir, un petit malin lui fit un croche-pied, et elle s’écrasa par terre, sous le rire hystérique des autres élèves. Son sac s’ouvrit par terre, relâchant tout leur travail.

- Bah alors la moche, on est maladroite ?

Solveig se releva, et se figea dans une attitude de colère muette. La salle entière se tut, se demandant si elle allait frapper le jeune homme, ou laisser couler. Solveig savait qui il était, et connaissait son pouvoir. Si elle répliquait maintenant, elle serait en fâcheuse posture. Lui, son truc, c'était plus à distance. Pas de quoi fouetter un chat, mais suffisamment fatiguant pour qu'elle réfléchisse sérieusement à ne pas le frapper.

Tournant sur elle même, elle regarda la salle entière, qui en retour, s'excitait silencieusement. Des requins. Solveig décida de ne pas y donner suite, pas ainsi, pas comme ça. Trop de regards, trop de jugement.

- J'espère que t'es fier de toi Arthur. Tu viens de frapper une femme sur le point de s'évanouir.

Son sourire s'effaça, Solveig haussa un sourcil et sans attendre de réponse, ramassa les feuilles à terre.

   

www - Ce ne serait pas productif.

Mais sacrément jouissif. Solveig ne s’y était pas attendue. Elle n’avait pas compris ce qui c’était passé, et pourquoi sa camarade l’avait défendu. Ne se battaient-elles pas quelques instants auparavant ? Elles n’étaient pas amies, elles ne se connaissaient même pas. C’était peut-être parce qu’elles étaient toutes les deux des parias. Solveig était restée dans l'incompréhension. Et allait sûrement le rester encore longtemps, vu qu’elle ne se voyait pas poser des questions indiscrètes sur ce sujet.

Mais déjà Selji en remettait une couche. Lui disant qu’elle n’était pas si laide. Ce fut au tour de la russe de tomber par terre, de se cacher le visage entre les bras. Elle ne voulait pas aborder le sujet, elle ne voulait pas avoir cette conversation. Elle se trouvait laide, trop musclée, si peu féminine qu’elle en était une honte. Pourquoi faire des efforts ? Elle était si mal à l’aise quand elle essayait. Au moins, avec un pull trop grand, elle pouvait cacher ses formes. Avec des cheveux gras, on ne voyait pas son visage.

- Je veux pas en parler.

Solveig soupira, et releva la tête. Regardant Selji, se forçant à la détailler. Alors quoi ? Elles avaient fait la paix ? Elles étaient amies maintenant ? Solveig ne savait pas trop, au moins, elles semblaient être sur un terrain d’entente. C’était mieux que rien, compte tenu de ce qu’elle possédait déjà.

- A charge de revanche. Nos pouvoirs ont une bonne synergie.

Parce qu’il fallait continuer, Solveig hésita un petit moment. Elle ne savait pas si elle pouvait dire ça, et ne savait pas vraiment comment l’autre allait y réagir. La russe n’avait pas peur de passer pour quelqu’un imbu d’elle-même, mais cherchait ses mots pour quand même nuancer ses propos.

- Parce qu’on ne réplique pas, la plupart des gens oublient que nos pouvoirs ont une force de frappe supérieure à la leur. En réalité, il suffirait qu’on s’énerve pour créer un carnage sans précédent. Mais bon, encore faut-il s’énerver...

Ce qu’elle ne disait pas, c’était que parce que Selji l’avait aidée, elle était prête à partir en croisade contre ceux qui la harcelaient. Elle se fichait des gens, assez pour refuser de répliquer à leurs provocations. Mais chaque problème avait sa solution, et si celui du minimoy pouvait être résolu par la force brute, et bien, elle l’aiderait. Elle avait une dette après tout, même si elle ne l’avait pas demandé.

Selji lui avait pris la main, sans demander. C’était la première fois que quelqu’un s’imposait ainsi, et rien que pour ça, la Russe voulait l’aider. Malheureusement, elle ne pouvait pas faire grand chose. L’autre étant déjà en classe A, la conseiller sur un devoir était inutile. Ne restait plus que la bagarre. Après tout, le sport était la seule chose dans laquelle elle excellait vraiment. Quinze ans de taekwondo, ça ne s’oubliait pas comme ça. Non, c’était stupide. Ridicule. Sa mère l’avait mieux élevé que ça. Solveig enfouit son visage à nouveau dans ses bras. Soupira, avant de finalement se relever.

- Oublie… c’est stupide.

   

   Solveig détourna le regard, Selji ayant tapé dans le mille sans s’en rendre compte. Ou peut-être était-ce le but recherché. La russe resta un long moment pensive sans répondre. Pas assez belle, pas assez intelligente. Elle se rappela les paroles de sa mère. Ces coups de poignards, chaque fois qu’elle lui disait qu’elle voulait arrêter. Qu’elle en avait marre d’être si fatiguée. Elle détourna le regard, cherchant un mot, n’importe quoi, pour tenter de se justifier.

- Tu sais, je suis née en Russie, mais j’ai été élevée dans les meilleures institutions chinoises. Je ne devrais pas être ici. Ce n'est pas ma place.

Elle tapa sa tête contre son mur. Son avenir avait été tout tracé, faire partie de l’élite, occuper un poste important. Faire honneur à ses parents. Mais elle était là, en médecine. Faire du sport à côté pour oublier le fait qu’elle était une imposture, pour se défouler de cette frustration.

- Mais j’ai même réussi à foirer ça.

Elle se désigna dans son ensemble, puis regarda Selji. Oubliant la conversation sur la vengeance. Ce serait inutile après tout. Solveig ne voulait pas qu’on contacte ses tuteurs, elle ne voulait pas faire de vagues. Son rêve étant de passer entre les gouttes, de disparaître dans la masse.

Mais sa camarade semblait déterminée à essayer de ne pas la laisser sombrer. Pourquoi lui prendre les poignets ? Pourquoi la forcer à regarder ? Solveig rougit légèrement, détourna les yeux. Elle n’aimait pas le contact. Surtout le contact de femmes plus belles qu’elle. Et Selji l'était, indéniablement. C’était sa faiblesse, et sûrement la raison pour laquelle elle ne se détacha pas. Laissant la norvégienne s’éloigner d’elle même.

- Pas maintenant. Je ferais des efforts pour l’occasion.

Solveig prit une feuille de papier carré dans son sac, et commença à la plier sans plus se soucier du reste. Elle en avait toujours sur elle. Le papier était pratique pour créer des choses, et cela la détendait. En quelques instants de concentration, elle atteint l’objectif désiré. Un petit ours rugissant. Plaquant ses deux paumes dessus, Solveig en fit un jouet en bois d’une rare finesse. Qu’elle lança à sa nouvelle amie.

- C’est cadeau. S’il te plait, ne dit rien de ce que je viens de te dire aux autres.

Elle se leva sans trop comprendre pourquoi, gênée par son geste, par ses paroles. Solveig se gratta les cheveux, peu habituée à être l'objet de discussion.

   

- Laisse, c’est pas grave.

Une façon simple d'abandonner un combat perdu d’avance. Solveig ne voulait pas s’expliquer, elle ne voulait pas donner les raisons de son manque de confiance en elle. C’était trop douloureux d’en parler, d’y réfléchir même. La russe préférait fuir les questions qui ne mettait pas à mal sa fierté. C’était plus simple. Plus facile à appréhender.

- C’est mon pouvoir. Et je suis en A.

Une façon détournée de dire qu'elle aimait les origamis, qu'ils la détendaient, quand le reste du monde semblait sur le point de l'absorber. Solveig haussa les épaules. Gratta ses cheveux gras, soupira. Elle ne voulait pas faire de séance photo, et avait essayé de changer de sujet. Mais Selji la regardait, attendait. La russe ne pourrait pas y couper, elle le savait. Et par pur esprit de contradiction, elle ne pouvait dire non.

- Ok ramène ton cul, on va les faire ces putains de photos. Mais je te jure que si c’est moche, je les déchire moi même.

Grognant un peu, pour la forme, Solveig se dirigea vers la sortie. Son sac en bandoulière, son gros pull volant dans la brise. Une fois dehors, elle se regarda dans une vitre, se détesta. Devenir ministre ? Ça lui donnait envie de rire. Elle n’était pas assez intelligente, pas assez impressionnante. Non, rester à faire du sport, cachée dans son coin, lui allait mieux. Si personne ne venait l’embêter, c’était tout bénef.

Pour essayer de faire bonne figure, la russe enleva son pull, remonta son pantalon à une hauteur convenable, dévoilant à Selji un marcel noir, sa carrure en béton armé. Elle se regarda à nouveau. Le fruit de quinze ans de taekwondo, de danse et de natation. Sa mère suivait à la lettre l’adage d’un esprit sain dans un corps sain, Solveig n’avait pas un gramme de graisse. Il n’était d’ailleurs pas question d’en prendre, ses parents le vivraient comme une trahison, déjà qu’elle leur mentait, elle ne pouvait pas leur faire ça.

Prenant un élastique, elle s’attacha les cheveux en queue de cheval haute, redressa les épaules pour toiser celle qui allait la photographier. Se tournant vers Selji, elle essaya de garder un air déterminé.

Une fois la séance terminée, Solveig ne détestait plus autant Selji qu’elle voulait bien l’admettre. Au contraire même. Mais pas question de lui dire, ou de lui faire savoir. A la place, elle lui montra son téléphone d’un air bourru, gênée par ce qui venait de se passer. Elle lui ordonna presque de rentrer son numéro, histoire qu’elle puisse avoir les photos. Uniquement les photos, elle insista sur ça. Une heure après, elle lui demandait déjà si c’était prêt.