Doucement, écoutant le clapotis de l'eau, elle se laissait porter par le faible courant de la piscine du pensionnat. Elle profitait de la quiétude environnante. Le samedi matin tout était calme, les étudiants trop occupés à profiter de leur première grasse matinée de la semaine. Le moment idéal pour sortir lorsqu'on ne veut croiser personne... ou presque. En effet, quelques autres élèves tiraient profit de la matinée pour occuper les lieux : des étudiants matinaux - ou contraints de l'être - occupés à faire disparaître les traces de la soirée étudiante de la veille ; des motivés, sportifs, qui enchaînaient les brasses dans leur coin, ignorant l'adolescente à la dérive. Il semblait même y avoir un garçon dans un coin, qui lisait à la lumière des néons. Est-ce qu'il séchait la corvée ménage ou appréciait-t-il simplement le lieu pour se perdre dans un livre ? Sonny n'allait pas lui demander.
Le contact de l'eau était agréable, mais la sensation finissait par être gâchée par l'odeur de chlore, à laquelle elle ne s'habituait pas. Ça n'avait rien à voir avec le parfum iodé de la mer qui lui était si familier chez elle. Dans cette piscine souterraine, éclairée seulement par de puissantes LED, l'adolescente avait une impression d'artificialité qui finissait immanquablement par la mettre mal à l'aise. Un côté « faux » qui lui rappelait ce qu'elle avait quitté pour venir à Swish. Certes, sous le dôme, elle vivait dans de meilleures conditions, elle n'avait plus besoin de se cacher, mais elle avait quand même un peu le mal du pays. Ce n'est pas évident de quitter toute sa famille à seulement 12 ans. Peut-être que, la prochaine fois, si elle privilégiait la plage, elle se sentira mieux.
Mais stop ! Le but de venir nager n'était pas de se perdre dans des idées noires. Il s'agissait de se détendre. Le bien-être, tout ça. Et franchement, pour ça, la piscine fonctionnait nettement mieux que les tutos yoga qu'elle avait pu voir sur SwichTube. Au lieu de la relaxer, elle s'était sentie stupide à se mettre en « cobra » ou en « feuille pliée ». Comment les yogistes espéraient avoir l'air crédible avec des noms de position pareils ? Bref, le yoga, c'était naze. Et sur ces bonnes paroles, il était temps de sortir de l'eau avant de ressembler à vieux pruneau. Elle était trop jeune pour avoir des rides !
En s’agrippant à l'échelle pour quitter le bassin, Sonny dut saluer son sens du timing. Elle avait à peine mis un pied sur le premier barreau que des bruits de courses résonnèrent dans tout l'espace, suivi de peu par un groupe de trois adolescents qui plongèrent sans plus de cérémonie en faisant la bombe. Enfin... Deux firent la bombe, la troisième se rata et fit un plat terrible qui lui valut les moqueries de ses amis.
Avant qu'ils ne se sentent d'humeur farceuse, Sonny s'empressa de quitter la pièce pour rejoindre les vestiaires et se changer. Elle retrouva rapidement le casier où elle avait rangé ses affaires et entreprit de se sécher vigoureusement avant toute autre chose. Elle n'avait pas envie d'attraper froid pour découvrir qu'elle se couvrait d'épines à chaque éternuement. Brrr. Rien que l'idée la faisait frissonner. Préoccupée par sa tâche, elle ne fit pas attention aux murmures à proximité, ni aux ricanements qui suivirent alors qu'elle commençait à enfiler son vieux t-shirt rapiécé. Dommage. Si elle avait relevé la tête, elle aurait pu remarquer que cette fille à l'air narquois et aux cheveux beaucoup trop lumineux faisaient d'étranges gestes en sa direction. Mais non, le temps que Sonny émerge du col de son haut, la fille s'était éclipsé un peu plus loin.
Tandis que l'adolescente s'apprêtait à quitter les vestiaires pour retourner glander sur son ordinateur, elle entendit soudainement un grand crac et une série d'imprécations.
Le crac, elle le comprit vite, venait de son t-shirt qui venait de se déchirer de l'aisselle jusqu'à la hanche. Comment ? Elle ne mettait que des vêtements larges et aucune épine ne semblait responsable de l'accroc cette fois. Et puis...
« Mais quoi ? Qu'est-ce que c'est que ? Ahhhh, mais il se passe quoi ? »
Rapidement, ses propres cris rejoignirent ceux du vestiaire alors que deux... qu'une paire de... que la puberté l'avait brutalement... frappée ?
Elle avait des seins.
Deux. À elle. Sur son corps. Son corps personnel.
D'où est-ce qu'ils sortaient ?
Paniquée, et en mode hérisson, Sonny se précipita vers un miroir qui était tout à coup vachement moins haut qu'avant. Et là, à son grand effroi, elle se rendit compte qu'elle avait changé. Genre beaucoup. Genre elle était super vieille. Elle avait au moins 30 ans !
Rares étaient les moments où la torpeur t'envahissait. Encore plus rares étaient les instants où tu n'avais envie d'absolument rien faire... Peut-être que tu aurais dû écouter ton corps pour une fois, plutôt que de laisser ta psyché endiablée t’entraîner dans une autre activité, de détente, certes.
Parée de tes affaires, tu avais décidé de prendre du bon temps à la piscine du pensionnant. De quoi relaxer tes muscles endoloris par un quotidien acharné où tu ne t'accordais que trop peu de repos. Même en cet instant, alors qu'une sieste t'aurait fait le plus grand bien, tu n'avais pu te résoudre un simplement laisser les heures filer. Dans tout les cas, comme à chaque fois, cela finirait par une grasse matinée bien trop généreuse pendant le week-end qui suivrait.
Naturellement, tu t'apprêtais à te changer dans les vestiaires prévus à cet effet, faisant fit de l'ambiance générale et du monde ambiant. Tu n'étais pas vraiment là pour discuter ou te faire des amies, simplement là pour te détendre
Nichée dans tes affaires que tu tentais de retrouver dans un sac beaucoup trop chaotique, tu fus interrompue par des cries et une agitation qui manquait de naturel. Cet endroit était censé être un lieu de calme, pas une sauterie pour des attardées ne sachant fermer leurs bouches !
Perplexe, tu arquais un sourcil avant de regarder autour de toi. T'étant volontairement isolée dans un coin, tu ne pouvais voir qu'une femme, certainement du personnel entrain de se... fixer dans un miroir. A n'en point douter, elle paraissait bien être surprise par ses propres formes. Encore une folle s'étant perdue en chemin ? Ce n'était pas vraiment ce qui manquait ici...
Enfin. Tu étais d'un tempérament sympathique ce jour-là, et tu t'approchais d'elle d'un pas assez léger mais concerné. Elle était plus vieille que toi, bien plus même ! Mais elle ne rivalisait pas avec ta carrure disproportionnée.
- Euh... Vous allez bien Madame ? Je vous ai entendu crier.
Tu n'étais pas très habile des mots, encore moins lorsque cela consistait davantage à prononcer des paroles et à ne pas gueuler. Enfin... Très vite, tandis que tu la regardais de bas en haut dans des vêtements bien trop petits pour elle, tu tournas la tête pour te diriger vers la source d'autre crie...
Bon sang, mais qu'est-ce qui était entrain de se passer ?! Laissant la malheureuse vieille derrière toi l'espace de quelques instants, tu vins à emprunter un autre embranchement pour voir d'autres personnes dans des états tout aussi confus. Seule une jeune fille semblait s'amuser de tout ça, provoquait-elle cette situation d'une manière ou d'une autre ? Ni une ni deux, tu n'étais pas du genre à réfléchir avant d'agir alors que tu vins à empoigner sa main d'un mouvement rapide.
- C'est toi qui provoque tout ce bordel ?!
Apeurée, voilà qu'elle se mit à rire avant de laisser transparaître de ses mains une légère lueur qui se dissipa bien rapidement. Surprise, tu lui lâchas le poignet qui suffit à la malotrue pour s'enfuir des vestiaires sans quémander son du. Haussant les épaules, tu retournais voir donc si la dame que tu avais abordé tantôt était toujours choquée pour tu ne savais quelle raison.
Évidemment, sur le chemin, tu ne daignais presque pas remarquer que le monde semblait s’agrandir de manière exponentielle à mesure que tu avançais. Au niveau de la femme, voilà que tu faisais la moitié de ta taille d'origine ! Levant la tête, perplexe, les pensées encore embrumées par les évènements avec la jeune fille, tu ne t'accordais même pas le luxe de te rendre compte de ta propre situation.
- Vous allez mieux ?
Une voix beaucoup plus fluette, des vêtements tombant naturellement. Tu étais passée d'une adulte de dix huit ans de deux mètres à une enfant de cinq ans tout au plus rivalisant à peine avec le mètre. Te rappelant que jeune, tu étais bien plus petite que la moyenne de ton âge ironiquement.
Ce n'était pas particulièrement rare, ces moments où l'agitation la déroutait. Et tout aussi fréquents les moments où le calme et le contrôle de ses émotions lâchaient au profit d'une violente poussée d'épines. Et si c'était plutôt le stress ou l'appréhension pure qui la tourmentaient quotidiennement, les frayeurs passagères ou les colères aiguës n'étaient pas étrangères à ces épieux ligneux acérés qui la perçaient alors de toutes parts.
Aujourd'hui, au-dessus d'un lavabo qui lui arrivait d'ordinaire au plexus et contre lequel cognait soudain son bassin, ses mains aux doigts beaucoup trop longs et garnis de piques tâtaient un visage méconnaissable avec acharnement, écorchant par fébrilité les arrêtes inconnues de ce visage vieilli. Elle avait les lèvres de sa sœur et les arcades de son frère ! Ça ne pouvait pas être une blague, c'était trop réel ! Et son vêtement béant sur une poitrine qu'elle ne se connaissait pas et qui alourdissait sa posture, et ces hanches trop larges qui avaient fait craquer l'attache de sa jupe …
Aujourd'hui, avec ses épines jusqu'à vingt bons centimètres dont elle était garnie, Sonny ressemblait plus que jamais à un porc-épic affolé.
Aujourd'hui, avec ses épines qui maintenaient en place ses vêtements déchirés, Sonny embrassait plus que jamais son idéal grunge.
« C'est incroyable ou j'rêve !? »
-Vous allez mieux ?
« Pardon ? »
La voix fluette faillit la faire défaillir. Elle se pensait seule et soudain sa situation prit de toutes autres proportions. Quelqu'un l'avait vue. Elle n'était pas arrivée depuis deux semaines qu'elle allait déjà passer pour hystérique. Par réflexe elle se retourna d'un bloc, bras devant elle en protection, paumes hérissées, vers le mètre de cheveux crépus. Ah non il y avait une enfant sous cette tignasse de feu. Une enfant qui la fixait avec des yeux mordorés plantés dans un visage sombre. Comment une petite fille d'environ quatre ans pouvait-elle avoir plus de charisme qu'elle ? C'était injuste !
Mais alors que Sonny observait la témoin de toute son angoisse, elle se rendit compte d'une chose fascinante : ses vêtements étaient en tas à ses pieds. Elle s'était concentrée sur la masse capillaire avant le style vestimentaire, à vrai dire. Mais du coup, est-ce qu'elle aussi avait changé d'âge ?
« Oh. Oui. Oui tout va bien haha ! »
Elle savait le faire. Elle en avait l'habitude. Alors Sonny tenta de se calmer et de faire régresser les pointes à l'intérieur de son corps. Ça ne marcha pas si bien que ça puisque quelques unes commencèrent à se détacher et à tomber en grappes au sol. Seules celles sur sa nuque et ses épaules restèrent dressées et larges. Elle était nouée.
« Tout est parfaitement normal chez moi haha ! Et toi petite ? »
Quoi ? C'était pas comme ça qu'on parlait aux enfants ? Et puis il valait mieux feindre la normalité dans un premier temps et comprendre ce qu'il se passait dans un second temps. Quand cette enfant ne sera plus là pour la dévisager avec tant de chaleur. C'est comme ça que font les vieux de trente ans, non ?
Accueil
Lunyx