Solveig aimait bien Liones. Ce n’était pas spécialement parce qu’elle était belle, tout le monde ici était beau, d’ailleurs elle en venait même parfois à se demander si elle était la seule moche du campus. Non, c’était parce que Liones était pratique. Elle avait un esprit simple. Non pas qu’elle soit stupide, non, loin de la, mais il était facile de lui parler. Elle n’avait pas d’émotions superflues, Solveig pouvait simplement dire ce qu’elle pensait avoir peur de se dessiner sur son visage du dégoût, ou de la colère. Liones était mono-expression la plupart du temps, et ça, ça lui facilitait la tâche à un point inimaginable. Bon, on ne pouvait pas tout lui dire non plus, c’était un être humain sous son gros bouclier. Mais comme Solveig était du genre pragmatique, ne pas copiner plus que ça lui convenait, tant que le problème était résolu.

Son problème était qu’elle ne connaissait rien à la bonne marche de la société. De la haute société, genre quel couteau utiliser dans quelles circonstances, comment s’habiller, et même sa façon de se tenir. Il n’était pas question de devenir un monstre de bonnes manières, mais si elle pouvait ne pas se ridiculiser quand elle aurait son beau diplôme, quand elle commencerait à rechercher des pistons pour son avenir, ce serait un bon début. Ce genre d’enseignement n’était jamais superflu, Solveig avait l'intention de pouvoir se fondre dans n’importe quel milieu. Elle se fichait de l’avis des autres en général, mais avait conscience de ce qu’on attendait d’elle. Contrairement à tous ceux qui se cacherait derrière cette excuse pour ne pas progresser, la russe voulait apprendre, pour justement démontrer qu’elle pouvait s’en passer. La nuance était fine, mais parfaitement perceptible.

Alors elle était là, bien habillée, pour commencer son cours de bonnes manières. Après, elle se changerait, mettrait un jogging et des baskets pour apprendre à sa camarade les rudiments du combat, mais elle n’y était pas encore. C’était leur routine du samedi matin, commencer par les bonnes manières, et finir par se taper sur la tronche - gentiment bien sûr, le but n’étant clairement pas de se blesser. Pour le coup, Solveig ne saurait dire ce qui était le plus dur. Le sport, elle connaissait bien, c’était le fait de faire attention à ses paroles et à sa tenue qui la mettait le plus mal.

Alors elle était là, les cheveux lavés pour la première fois de la semaine, dans une tenue féminine. Solveig était en robe, en robe, et avait dû se raser les jambes. L’horreur. En se regardant dans le miroir, elle avait eu envie de s’arracher les yeux. Elle était presque belle. C’était horrible. Elle ne voulait pas être belle, on voyait ses formes. Elle ne voulait pas être belle, attirer le regard alors qu’elle avait toujours vécu dans l’ombre. La russe avait l’impression qu’un Spotlight était braqué sur elle. Sur sa couronne de cheveux tressés, sur ses bijoux délicats.

   

Des plis ? Ou ça ? Pourquoi ? Comment ? Solveig sentit la honte lui monter au joues. Sa peau devenir écrevisse. Elle voulait se cacher, fuir, dégager, ou frapper Liones pour lui faire oublier l’image honteuse qu’elle devait avoir de son corps. Sentant ses poings se serrer instinctivement, la sauvage se força au calme. Inspira brusquement, pour ne pas prendre ses jambes à son cou. C’était trop dur, trop violent. Ce monde lui était inconnu, et il lui fallut une sacrée dose de courage pour supporter le regard de sa camarade de classe sans broncher. Elle ne se rendit compte qu’elle avait fermé les yeux qu’une fois que Liones lui toucha la joue. Sursautant, la russe croisa les bras sur sa poitrine, légèrement sur la défensive. Mais l’autre n’y fit pas attention, et l’invita à se poser à ses côtés.

Solveig regarda autour d’elle tandis que l’autre lui tournait le dos. Voyant que personne ne la regardait, elle lui emboîta le pas. De quoi elles allaient parler ? Solveig garda le dos droit. Contrairement à ce que croyaient la plupart des gens, cette station ne lui était pas inconfortable, le sport dessinant ses muscles. Muscles qu’on pouvait voir sous sa robe.

Solveig était musclée par ses séances de sport intensives. Ses bras, ses jambes, ce n’était pas très beau, un peu éloigné des standards qu’on lui balançait autrefois à la télé. Trop d’abdos, pas assez de charme. Elle se demandait ce qu’elle fichait là, et où étaient ses pulls chéris. Elle ne serait jamais une vraie femme, était ce vraiment la peine d’essayer ? Solveig sentait que le combat contre elle-même était compliqué. Et pourtant, elle se posa sur le banc, à côté de Liones, sa version personnelle du loup dans les contes de Charles Perrault.

Parler, dire quelque chose pour casser ce blanc. N’importe quoi, c’était dur de sociabiliser. Solveig, avec sa mère castratrice et son passé d’ado refoulée n’était pas préparée à ce genre de choses. Elle se mit donc à sourire nerveusement, et à trifouiller sa couronne de cheveux.

- Euh… ça va ?