Seul au fond du noir, le visage éclairé par les lueurs de quelques bougies, tu étais debout à affronter ton miroir. Reflet d’un homme faible, qui n’avait pas su progresser à la hauteur de ses capacités, tu frappais les murs du dojo d’une droite colérique. Le sang coulant sur ta paume, les muscles tremblants, tu laissais la sueur s’étaler sur tes joues en guise de larmes.
Le corps vacillant, le regard empli par une détermination sans faille, tu enchaînais les mouvements gracieux tout en créant une lance avec ton sang. Tu entamais une danse dont tu étais le seul créateur, le seul connaisseur. Sans césure, tu fis virevolter ton arme, tranchant le vide avec férocité.
Malgré tes efforts, malgré les heures d’entraînement acharné, depuis quelques mois tu stagnais. Tu n’arrivais plus à avancer, à évoluer, tu étais bloqué à un niveau que tu jugeais insuffisant. Tu en souffrais, ça t’ébranlait et surtout tu avais du mal à concevoir un avenir sans cette force que tu devais acquérir.
À bout de souffle, torturé par le rythme effréné de tes pulsions cardiaque, tu marquas une courte pause. Lentement, tu te baissas pour attraper une bouteille d’eau avant de la coller à tes lippes. Tu venais en prendre quelques gorgées avant de l’abandonner au milieu de la salle.
Les yeux clos, l’esprit vide, tu écoutais, tu sentais. Tu travaillais tes sens, tu reposais tes nerfs et après un temps dans le silence, tu entendais les sifflements du vent. Tu percevais les feuilles qui se faisaient entraîner, leurs roulements, presque leurs rotations. Tout se dessinait, prenait place dans ton esprit étriqué.
Dans un mouvement vif, tu te redressas. Doucement, tu laissais tes poumons s’emplir d’oxygène. Des veines imposantes venaient orner ta peau et rapidement, tu arrivais à suivre le flot de ta circulation sanguine. Sans succès tu essaies de le ralentir, de l’accélérer, mais ce n’était pas encore à ta portée.
Déconcentré par ton échec, tu perdis le fil et bien vide tu cédas à tes émotions colériques. Tu lacéras le mur de coup-de-poing, laissant tes bras se teinter d’une couleur pourpre. Tu consolidas le liquide, pour former des griffes, puis un fouet avant de laisser tacher le sol.
Tu te laissas glisser le long du mur. Ta vision se perdit dans le noir un moment, avant de se poser sur les bougies qui n’avaient plus beaucoup de cire. Tu soufflas bruyamment, tout en songeant à ton entraînement déplorable.
Au milieu de la tranquillité de la nuit, un rythme parasite se faisait entendre. Une personne curieuse approchait et rapidement, aux sons de ses pas, tu compris qui était à l’origine de cette cacophonie. Un visage froid, tu te relevas pour t’orienter en direction du bruit. Des gouttes de sang tombaient une à une sur le sol et sans peur, d’une voix rauque, tu brisas le silence.
— Yo Ariel, tu voulais me voir ?
Tu étais prêt à entendre ce que le nain te voulait. Même si ton allure et ton visage froid pouvaient en effrayer plus d’un.
Ça faisait plusieurs nuits que j'entendais du bruit au moment de me coucher. J'hésitais entre Elio et Karna au début. Genre, j'imaginais bien Elio faire une baignade nocturne, et j'imaginais tout autant Karna s'aventurer dans le linceul de la nuit. Au fil des nuits, j'ai conclu que c'était sûrement Karna. À force d'entendre le bruit, j'arrivais peu à peu à le localiser, voilà pourquoi je pensais que c'était mon coloc' glacial.
Je ne savais pas trop quoi penser de Karna. Dans mes souvenirs, on ne s'était jamais retrouvé réellement seul, si ce n'était qu'en coup de vent. Il semblait assez silencieux et froid, mais d'un autre côté, étonnamment, il paraissait accessible. Une certaine chaleur se dégageait de la glace. Je m'étais toujours dis qu'un jour, il y aura une occasion de l'approcher et d'apprendre à le connaître. Bah ouais, j'aimerais me lier d'amitié avec tous mes colocs ! C'était déjà fait avec Elio, merci à notre affinité aquatique.
Cette nuit n'échappait pas à la règle, j'entendais encore Karna sortir de notre dortoir. Peut-être que c'était le bon moment pour faire le premier pas ? Je ne savais pas quoi faire, est-ce que j'allais le déranger ? C'est bizarre de suivre quelqu'un quand même, non ? Hmmmm...
C'était trop, j'en avais assez de réfléchir. Ma curiosité était à son paroxysme, je ne voulais plus hésiter et après quelques instants, j'avais décidé d'enfiler une tenue sportive légère et d'attacher mes cheveux pour suivre les traces de la grande perche.
J'étais sorti, en faisant le moins de bruit possible pour le bien de mes chers colocataires qui dormaient.
Malgré l'heure tardive, il faisait bon. Ça se sentait clairement qu'on approchait de l'été ! Que c'était agréable. J'étais tout souriant, je me sentais tout léger ! En même temps, ces derniers jours ont été pas mal libérateurs pour moi. J'étais presque en paix avec moi-même. Je ne remercierai pas assez les professeurs qui m'ont soutenu durant cette période bien sombre. Je pense notamment à Isaac, qui a été un réel soutien psychologique, et à Monsieur Mun, qui m'a entraîné avec sérieux.
À force de suivre les traces laissées par mon voisin, je me suis retrouvé devant le dojo. À cette découverte, je tirais ma plus belle tête blasée, tellement que ça ne me surprenait pas. Accompagné d'un léger soupir, je me suis faufilé dans les feuillages de l'entrée de la salle d'entraînement.
Malheureusement, faute de ne pas être un espion ou un assassin chevronné, je me suis fait vite remarquer par ma cible. Le voyant s'approcher de mon spot, je sortais de ma cachette, les mains en l'air, le sourire en coin, pour montrer patte blanche.
Le sourire tomba assez vite. Je faisais face à un Karna effrayant. Si je ne connaissais pas son pouvoir, je me serais cru dans un film d'horreur. Même en sachant cela, on pouvait nettement voir une esquisse d'inquiétude se dessiner sur mon visage angélique. Sur l'instant, je reculais timidement d'un pas. C'était probablement l'œuvre d'un réflexe naturel.
Après avoir repris le dessus sur moi-même, en inspirant longuement, faisant tomber les rideaux de ma vision, et en expirant, le voile sur mes yeux levé, Karna pouvait voir mon assurance à travers mon regard calme, cachant une tempête déchaînée dans mes pupilles.
Salut Karna, pour être honnête, ça fait plusieurs nuits que je t'entends partir comme un voleur du dortoir et j'ai été curieux. Me grattant le crâne, puis en réarrangeant mes cheveux, suivi d'un haussement d'épaule, je déclarais solennellement. Mais maintenant que je suis là, pourquoi pas te rejoindre dans ton entraînement, tu pourrais m'enseigner les arts martiaux ! Je profitais pour poser une main franche sur l'épaule de mon interlocuteur. Tu pourras aussi en profiter pour te confier, tu as l'air obsédé par tes entraînements ces derniers temps, qu'est-ce qui te motive à te surménager ainsi ?
Ajoutais-je avec un sourire sincère.
C'était le moment pour crever l'abcès, de nouer des liens plus forts. J'avais un très bon feeling pour cette soirée.
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