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- Tu devrais apprendre l’espagnol.

Le ton était sans appel, la condamnation imminente. Solveig regarda le plafond, chercha une réponse. Il était tard, mais sa mère la croyait autre part, dans un autre fuseau horaire. C’était pour la tromper que la russe restait régulièrement tard à lui téléphoner.

- C’est la seconde langue la plus parlée au monde. Tu maîtrises déjà l’anglais, le chinois et le russe. Il est temps de passer à la vitesse supérieure si tu veux avoir un travail à l'international plus tard.

Que répondre à cela ? Solveig était prisonnière d’une relation toxique, et loin de chercher à y échapper, elle s’y réfugiait corps et âme, comme si c’était là sa seule chance de salut.

- Ça fait beaucoup, tu ne trouves pas ?
- Tu as des emplois du temps plus chargés. Tu te relâches ma fille ! Je n’aime pas ça !
- Maman, tu ne te rends pas compte ! Je n’ai pas le temps !

Oups. Le silence à l’autre bout était explicite. Solveig ferma les yeux, s'apprêtant au pire. Sa mère soupira, un soupir qui voulait tout dire. Un soupir de déception, de colère, qui la fit avoir à nouveau sept ans. Solveig se sentit rougir, comme si elle avait été trop loin.

- Tu vas dans des bars ! Et tu n’as pas le temps ?! C’est une blague ? N’essaye pas de nier jeune fille, je l’ai vu sur ton compte bancaire ! Ton père et moi avons sacrifiés du temps et de l’argent pour ton éducation, et tu vas dans des bars. Tu te dévergondes ! Tu devrais avoir honte !

Solveig ne répondit rien, sentit les larmes monter. Oui, la russe était une honte pour sa famille. Déjà parce qu’ils croyaient dur comme fer qu’elle était à harvard, puis ensuite parce qu’ils étaient persuadés qu’elle allait épouser un homme. Parce qu’ils ne savaient rien d’elle, et continuaient de régir sa vie comme si cette dernière était une partition. Le silence s’éternisa, avant que sa mère ne prenne un ton plus doux. Pour essayer de se faire pardonner ses propos.

- Tu crois que ça m’amuse de te dire ça ? Tu crois que ça m’amuse d’être la méchante, je fais ça pour toi !
- Je vais étudier l’espagnol maman.

Mais sa mère entendit les larmes dans sa voix, à défaut de voir celles qui coulaient sur ses joues. Le désespoir qui l'empêchait de respirer normalement.

- Non mais si tu ne veux pas. Je comprends, c’est peut-être trop dur pour toi. Je suis désolée de te mettre tant de choses sur les épaules…
- Non maman, ça va, je te jure. Je vais le faire.
- Très bien, on reparle de tes progrès la semaine prochaine. Ça va aller ?
- Oui maman, juré.

Mais soudain, une voix qu’elle ne connaissait que trop bien interrompit sa conversation. Selji. Solveig ne savait pas comment elle avait pu la reconnaître instinctivement, n’y même pourquoi l’envie de raccrocher au nez de sa mère se fit si tentante, mais le fait est qu’elle resta quelques secondes sans voix.

Selji était en costume. Un très beau costume d’ailleurs. Qui lui allait très bien. Trop bien. Les cheveux coiffés en arrière, avec du gel. C’était pas bon pour son petit coeur ça. Solveig papillonna des yeux un instant. Pourquoi était- elle en pyjama et en chaussons truites déjà ? Ah oui, elle s’était lavée une heure plus tôt. Ses cheveux propres séchant dans une serviette spéciale en coton, qu’elle avait enroulé autour de sa tête.

Cela n’avait duré que quelques secondes, mais sa mère reprit bien rapidement la parole.

- Très bien, maintenant parlons de ce 14 que tu as eu. Je n’aime pas cette note. Que s’est-il passé pour avoir un tel relâchement ?
- Maman, je dois te laisser. Je ne vais pas tarder à reprendre les cours. Je te rappelle ce soir.
- Ce n’est pas une ruse à cause de la honte que tu ressens j’espère ? Tu sais que tu ne pourras pas y couper.
- Je sais, mais là c'est vraiment urgent. Bisou je t’aime.

Et elle raccrocha, pour voir que Selji s’était encore rapprochée. Toute envie de pleurer avait déserté Solveig, remplacée par une réelle incompréhension. Sa nouvelle amie avait l’air un peu étrange. Pas dans son assiette. C’était de la douleur qu’elle voyait dans son regard ?

- Je déteste tes putains de photos, elles sont moches.

Pourquoi elle était aussi agressive ? Peut-être parce qu'à chaque fois, les conversation avec sa mère la laissaient à fleur de peau, triste. Mais déjà, la jeune norvégienne lui montrait sa main tâchée de sang. Solveig se sentit défaillir un bref instant, avant de reprendre contenance. Cela ne semblait pas grave à première vue, même si c’était impressionnant. Comment s’était-elle fait ça ? Pourquoi ? Quand ? La russe essuya les débuts de larmes qui avaient perlés sur les coins de ses joues, et se pencha vers le bras de Selji. Prenant garde à ne rien toucher.

- C’est pas joli joli mais je dois pouvoir arranger ça.


   

Selji était énervée, cela se voyait dans ses yeux qu’elle luttait pour ne pas la frapper. Solveig savait qu’elle n’avait rien fait de répréhensible, et même si c’était le cas, s’en fichait éperdument. Mais cette agressivité l'intriguait, assez pour qu’elle y réfléchisse sérieusement. Etait-ce sa main ? La raison pour laquelle elle portait une si jolie tenue ? La russe n’était pas du genre à réfléchir. Chaque problème avait sa solution, et si cette dernière était invisible, il suffisait de réduire les obstacles un par un pour en voir la sortie. Mais Solveig n’était pas qu’une brute dénuée de sentiments. Elle connaissait déjà la limite à ne pas dépasser. Savait se qu’elle risquait si elle allait trop loin. Ce soir n’était pas un soir comme tous les autres, réduire les obstacles pouvait attendre. Il y avait plusieurs objectifs en jeu, et le principal était de soigner son amie.

- Un jour je me ferais belle, et là on pourra dire que tes photos sont potables.

Mais déjà, la norvégienne lui demandait pour ses cours. Solveig ne comprit pas tout de suite ou Selji voulu en venir, et secoua la tête. Regardant ses chaussons truites, elle se gratta l’oreille. Ne sachant pas réellement quoi dire pour étayer son mensonge. Mais son amie lui tapota le chausson, et se laissa glisser contre le mur, n’attendant pas de réponse pour montrer à quel point elle était fatiguée.

- Entre, je vais te soigner.

Pour toute réponse, Solveig ouvrit la porte de sa chambre, et aida Selji à se relever. Lui adressant un petit sourire encourageant, elle entra dans son dortoir, et alla directement vers la salle de bain. Ouvrant le robinet du lavabo, elle en tira de l’eau claire, alla chercher du gros sel, et invita Selji à plonger ses mains dedans pendant dix minutes. Le temps d’aller chercher du matos dans sa chambre.

Dans sa chambre, elle fouilla dans le casier sous son lit, et en tira du désinfectant, des compresses, et une pince à épiler. Une quinzaine de minutes s’écoulant, elle fit sortir la main de Selji, et l’invita à s'asseoir sur le rebord de sa baignoire le temps qu’elle prépare deux ou trois choses. Prenant une lingette désinfectante, elle nettoya le rebord de l’évier, avant de déchirer l'emballage d’une compresse stérile, et de la placer sur la surface maintenant propre. Puis elle arrosa les pincettes d’une généreuse dose d’antiseptique, en même temps que ses mains puis regarda Selji.

- T’as de la chance le minimoy, je vais devenir médecin.

Posant la pince à épiler sur la compresse, elle attrapa la main gauche de Selji, celle qui n’était pas blessée, sans réfléchir. et la posa sur son épaule. Pour qu’elle puisse garder son équilibre, et la serrer si elle avait mal. S’arrosant à nouveau les mains de gel hydroalcoolique, elle attrapa la main blessée de Selji et se pencha dessus, pince à épiler en main.

- Allez, souffle un bon coup.

Sans plus de cérémonie, elle retira le premier éclat.

- Je devrais devenir ministre alors ? Ministre de la santé. Ça plairait à ma mère.

La russe rigola franchement, elle eut ce moment cristallin de pur amusement, comme si le temps, l’espace d’un instant, s’était arrêté. Comme si plus rien n’avait d’importance, comme si elle laissait enfin transparaître la vraie Solveig. Celle qui voyait que cette situation ridicule n’avait aucune logique. Que cet avenir incertain était bien dicté par une force au-delà de la sienne.

Mais bientôt, elle se concentra à nouveau, reprit ce sérieux qui lui était propre. Selji souffrait, et sans qu’elle ne comprenne réellement pourquoi, cette souffrance lui déplaisait. Surement parce que c’était une femme, Solveig avait toujours eut un faible pour elles, et ne s’en cachait pas. Même si elle ne l’éttalait pas non plus à la face du monde. Selji était Selji, un minimoy absolument détestable la plupart du temps, mais ça ne changeait rien aux faits. Solveig devait l’aider.

Alors, quand elle lui attrapa l’épaule, cogna son front contre le sien en jurant, Solveig ne put s’empêcher de sourire. Elle y avait été trop fort ? Et dire qu’elle n’avait extrait qu’un seul éclat. Son sourire s’étiola en voyant le visage de la norvégienne. Sans plus de cérémonie, la russe colla deux doigts à la carotide de Selji, observant l’horloge au-dessus de leurs têtes. A peine eut-t-elle terminé que sa compagne se roula en boule à ses pieds, dans un geste d’abandon presque total.

- Woh putain, tu nous fait quoi la ? Selji ? Merde !

Solveig regarda le plafond, essayant de ne pas penser à ce visage contre sa cuisse, à l’effet que cela faisait d’être aussi proche d’un autre être humain. N’obtenant aucune réponse, reposa sa pince à épiler. Se levant, elle alla chercher sa couverture, et la jeta littéralement sur les épaules de la norvégienne. Puis, faisait un nouvel aller-retour, lui posa sa tortue sur le torse.

- Cadeau. Maintenant tu te concentres sur elle, et sur le fait de pas lui faire de mal. Parce que si tu l'éclate, c’est moi qui t’éclate, comprit ? Je vais nous faire du thé, ne bouge pas.

Comme si elle avait compris qu’il lui fallait du calme, Solveig s’éclipsa. Ne revint que de longues minutes plus tard, deux tasses fumantes entre les mains, et un paquet d’autres médicaments entre les mains.

- Ouvre la bouche, c’est un spray que j’utilise d’habitude pour dormir. C’est à base de plantes. Prends de l’euphytose aussi. J’aime pas ce genre de merdes, mais il parait que ça a un effet placebo.

Lui attrapant brusquement la main, elle y mit six cachets d’euphytose, avant de lui tendre sa tasse de thé. Et de reprendre sa pince à épiler.

- Parle moi de tes dernières vacances, de ton copain, ou d’ un truc positif... on en a encore pour un petit moment. Sinon, tu peux juste me poser des questions sur ma tortue. Ca me va aussi.

   

- On s'échange des secrets maintenant ? C'est nouveau ça.

Solveig eut conscience d'être trop dure au moment même où elle prononça ces mots. Tout le monde n'était pas un ennemi à abattre, et Selji n'était pas du genre à utiliser ses secrets contre elle. C'est pour cette raison que la Russe décida de s'ouvrir, juste un peu. Juste ce qu'il fallait pour ne pas briser cette fragile amitié.

- Ma mère ignore ce délire...

Elle désigna tout ce qui l'entourait d'un vague geste de la main., un peu désabusée.

- J'ai pas envie de lui balancer à la tronche que je suis un monstre de foire.

Elle avait trop de choses à lui avouer avant. Son homosexualité, son mensonge concernant sa scolarité, ses idées noires et son envie d'abandonner. Si sa mère était capable d'en supporter davantage, et bien, elle aviserait. Pour chasser les larmes qui menaçaient à nouveau de monter, Solveig se concentra, enleva une autre écharde. Prit un ton amusé alors qu'elle continuait sur sa lancée.

- Figure toi que l'héritage du grand-père va tomber, et que je veux être sur le testament quand il va crever.

Toujours concentrée sur la paume de Selji, Solveig la plaça à la lumière pour mieux l'observer. Personne n'aurait pu dire en cet instant si elle était sérieuse ou faisait un trait d'humour. Pas même elle.

- On est tous des ratés dans la famille, mais mes abrutis de cousins ont fait l'erreur de l'étaler partout où ils passaient. Aucun amour propre, ça me dégoûte.

Solveig enleva un autre éclat. Bon sang, il y en avait beaucoup, c’était impressionnant. Mais sa tortue essaya d’en profiter pour se carapater. D'escalader la jambe de son amie. D’un œil expert, Solveig l’attrapa, lui fit un bisou sur la tête, et la reposa sur le torse de la jeune femme.

- Bref. Parle moi plutôt de ta famille, ce sera moins déprimant. Ils t'ont reniée après ton coming-out ?