Bref, on est confinés. Pas que j’ai peur, mais j’avoue que je ne suis pas non plus très rassuré à l’idée d’être en potentiel danger de mort, et tout ça par ma faute. Ma tête lors de l’annonce expliquait tout mon ressenti, les yeux écarquillés, les mains qui tremblent… J’en revenais pas. Que notre escapade au Vortex ait été complètement ruinée par des inconnus encapuchonnés, d’accord, mais qu’en plus tout le monde soit au courant d’un secret que certains s’étaient efforcés de garder depuis la création de l’académie, et tout ça à cause de cette opération foireuse ? J’avais envie de mourir… De m’enterrer quelque part, et de ne plus jamais en sortir. Si on est confinés aujourd’hui, c’est parce que l’académie n’a plus d’autre choix pour nous garder en sécurité. Ce qui veut dire qu’on est grandement exposés, et potentiellement ciblés par ces inconnus.

Si quelqu’un en souffre, ça sera ma faute. De simples étudiants prenant le risque de s’exposer dans le but de « sauver » l’académie, c’était sympa comme idée, au départ. Et tout allait bien… Jusqu’à leur arrivée. Alors, quoi qu’il arrive, je m’en voudrai. Je sais que je ne devrais pas, et tout le monde nous répète que ce n’est pas grave, qu’on a voulu bien faire. Mais je ne peux pas m’empêcher de penser que, quelque part, j’aurais pu l’en empêcher. Moi et les autres, on aurait pu s’abstenir et, si j’avais pu contrôler davantage mon pouvoir, peut-être que j'aurais pu tous nous téléporter ailleurs. Si seulement je savais en faire quelque chose, de ce truc... C’est pourquoi j’ai décidé de redoubler d’efforts, avec Esther. Je lui ai tout raconté, et je lui ai demandé de mettre les bouchées doubles pour arriver en C. Parce qu’avec toutes les lacunes que j’ai, j’ai plus le temps de dormir. S’ils reviennent, je serai prêt à les envoyer bouler aussi vite qu’ils sont apparus, et ils ne toucheront plus à un seul cheveu de mes amis. C’est non négociable.

Sauf qu’avec tout ça, j’ai délaissé Lee, qui l’a visiblement très mal pris il y a un mois. En passant tout mon temps aux côtés d’Esther, à réviser, m’entraîner, travailler, j’ai complètement oublié de lui donner de mes nouvelles et j’étais injoignable. Alors depuis, j’ai pris mes affaires pour m’installer dans sa chambre illégalement. J’ai toujours ma chambre avec le club de science, mais on va dire que je le boycott depuis que je suis venu ici, avec mes valises. Maintenant, quand Esther et moi on a besoin de réviser, je lui demande de venir ici. Et ça se passe bien depuis un mois, on squatte un peu, beaucoup, mais on travaille, et en même temps je passe du temps avec Lee. Pour le coup, j’ai géré la rentabilité. Mais maintenant qu’on est confinés, étant donné qu’Esther et moi on se retrouve presque tous les soirs pour travailler… Bah on se retrouve tous les soirs pour travailler, mais chez Lee. Et plus aucun de nous ne peut sortir pour prendre l’air ou, si les deux s’engueulent, ils sont obligés de faire avec. Ça risque de se compliquer un peu, cette histoire.

Pour le moment, rien à signaler. Avec Esther aujourd’hui, on bosse surtout sur les techniques que l’on devra présenter à l’examen. Une sorte de mouvement secret qui nous ferait sortir du lot, ce n’est pas obligatoire mais c’est surtout pour leur en mettre plein la vue. On a aussi décidé de faire nos devoirs d’anglais, parce que j’aimerais les rendre à temps, pour une fois… On est là, assis sur des coussins posés sur le sol, avec nos feuilles éparpillées un peu partout, en pleine concentration. Mais il est déjà dix-huit heures, alors Lee ne va pas tarder à arriver. Le couvre-feu, bien qu’il le déteste, je suis sûr qu’il est heureux de pouvoir rentrer et me voir squatter sa chambre…

— J’ai aucune idée pour ma technique secrète. Mon pouvoir est trop simple pour pouvoir en créer, ou alors j’ai aucune imagination… et j’ai pas l’habitude d’y penser, aussi, je marque une pause et fixe le plafond, pensif. Tu crois que mon coup du « Portal 2 » ça suffit ? Tu sais, le truc que je fais quand je mets deux portails et j’enferme quelque chose dedans, puis ça fait un passage infini. Tu te rappelles le boulet de Clyde ? Je l’ai enfermé dedans, et j’ai attendu qu’il perde sa vitesse pour le retirer. T’en penses quoi ?

Un pouvoir comme ça, ce serait trop bête de ne pas l’utiliser en reprenant les techniques des jeux vidéo. C’est la base. Je plonge mes prunelles dans les siennes, bien que perdues dans un songe. Depuis notre rencontre, Esther et moi ne nous sommes jamais quittés, pas vraiment du moins. Pourtant, je n’ai pas l’impression de m’être tant rapproché d’elle. C’est comme si quelque chose m’en empêchait. J’aime la proximité, la complicité, et quelque chose manque entre nous. Pourtant, elle est si gentille, elle s’est engagée dans quelque chose qu’elle n’imaginait même pas au départ, tout ça pour moi - ou parce qu’elle est trop sensible à la nourriture, aussi. Lorsque je me rends compte de la nature de mes pensées, je peux sentir le sang me monter aux joues, et la chaleur de celles-ci quand Esther semble le remarquer. Je baisse les yeux, gêné.

Je ne peux pas lui dire que j’aimerais être plus proche d’elle, ça sonnerait bizarre et surtout, je ne serais pas capable de l’exprimer correctement. Et elle va croire que je tombe amoureux, et je vais me décomposer. Je l’écoute simplement me répondre, je hoche la tête, faisant mine d’écrire mon idée sur un bout de papier, comme pour ne pas l’oublier. Après tout, je ne sais pas mentir, alors autant éviter le sujet.

Heureusement, la porte s’ouvre et Lee pénètre dans la chambre. Je relève subitement la tête avant de lui lancer un sourire éclatant.
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