Rien à faire, elle lui manque. Affalée dans le canapé de l’espace commun de sa chambre, Esther attend une réponse qui, vraisemblablement, n’arrivera jamais si elle ne se décide pas à envoyer encore un message. Elle angoisse à l’idée de passer pour une forceuse, ou pour une collante ; il faut dire que ces derniers temps, Selji n’a répondu qu’à la moitié de ses messages, et encore. Est-ce parce qu’elle a trop honte de s’afficher avec la D qui a perdu la face dans la dernière bataille qu’il y a eu au bar ? Faut dire, les choses ont dégénéré tellement vite, en plus, elle se souvient à peine de ce qu’il s’est passé après le coup qui l’a assommée. Elle soupire et tape ledit message. Ensuite, pendant une minute interminable où son doigt est suspendu au-dessus de la touche d’envoi, elle décide de l’envoyer, tant pis si ça vraiment désespérée, son amie lui manque.




Dernièrement, elle est très confuse quand il s’agit de la jeune femme et elle pense vraiment que la voir pourra enfin l’aider à tirer les choses au clair. Alors, elle espère que ce message sera l’un de ceux auquel son amie voudra bien répondre. La jeune femme regarde son écran jusqu’à ce que celui-ci s’éteigne. Dépitée, elle le dépose sur la petite table basse et allume la télévision pour zapper. Elle tenterait bien une échappée en vrai mais toute seule ce ne serait pas très fun, même si à plusieurs, cela rend les choses compliquées. Nouveau soupir, nouveau check du téléphone, toujours rien. Si ce n’est les programmes abrutissant devant lesquelles elle éteint son cerveau. Que fait Selji en ce moment pour ne pas répondre ? … Mystère.

Les yeux dans le vague, la jeune femme regarde la télévision son la voir. Elle pense, navigue dans ses pensées, très bientôt, elle sera en C, alors peut-être que son amie aura moins honte de la fréquenter … Ce ne sont que de petit progrès pourtant, les échelons seront gravis et elle n’aura plus d’excuse pour la fuir. Parce qu’une fois Esther en A, Selji n’aura plus de raison de la fuir pas vrai ? En tout cas, c’est ce dont elle essaye de se convaincre, les yeux à présent rivés sur le plafond.

Enfin, un bruit la tire de ses réflexions, c’est la porte ça, elle reconnait. Elle pensait pourtant avoir la chambre pour elle ce soir, les autres avaient des choses à faire et elle n’avait pas cherché à en savoir plus. Et quand elle se redresse, c’est une voix qu’elle reconnait bien qui s’adresse à elle. Esther écarquille les yeux, elle s’attendait à être ignorée une fois de plus, pas à ce que Selji débarque sans crier gare. Malgré tout, sa poitrine se gonfle de bonheur et le ton acerbe de la plus petite des deux n’y changera rien.

Esther est surprise bien sûr, elle devrait s’insurger devant ce que dis sa brune de copine mais, en fait, elle est bien trop contente de la voir de toute façon. De plus, il est trop tôt pour avouer que, même si elle a accepté ce projet en étant poussé par quelqu’un d’autre, c’est aussi pour se rapprocher de Selji qu’elle entreprend les changements de classe. Mais comment aborder le sujet sans passer pour une fragile ? Elle n’avait pas encore trouvé … Alors autant se taire.

- Si tu répondais plus souvent aussi … Lâcha-t-elle un peu boudeuse dans un souffle.

Sa mauvaise humeur était feinte, elle se redressa et lui fit signe de la rejoindre. Elle hésitait même à lui sauter dans les bras mais avant tout, elle doit lui faire une importante confidence, si elle ne lui dit pas avant les autres, Selji le prendrait certainement mal.

- Si tu savais répondre, j’aurais préparé des trucs ! J’avais envie de t’annoncer quelque chose mais là, j’ai que dalle pour faire la fête … Dit-elle plus pour elle-même. Je ne sais pas trop, tout ce que tu voudras ! J’ai la chambre pour moi seule … D’ailleurs, j’ai acheté des masques de soin pour la peau, ça te dit ?

Bah, tant pis après tout, quand ça doit sortir, il faut que ça sorte ! Le grand moment arrivait à grand pas et ils avaient décidé de ralentir légèrement le rythme afin d’être en forme pour le jour J. Son amie se dirige ensuite vers sa chambre comme si c’était chez elle, et elle avait bien raison. Cela ne troublait Esther en rien et elle lui emboita pas le pas, trop heureuse de pouvoir lui raconter ce qui se passe en ce moment dans sa vie.

- Tu sais, dans 4 jours, je passe en C !

Enfin, si elle réussissait l’examen toutefois, mais maintenant, il ne représentait dans l'esprit de la jeune femme qu'une formalité et ce, probablement jusqu'à la date fatidique. Alors elle attend, elle guette sur son amie une réaction, sera-t-elle contente ? Fière de ces progrès ? Mais d’abord, pourquoi Esther voulait-elle tant la reconnaissance de Selji ?

Esther accueillit la pique avec un sourire et sa seule réaction fût de lever les yeux au ciel. Elle savait que Selji avait le don de tirer à balle réelle, c’est ce qui lui plait tant d’ailleurs chez elle. Dans ces moments-là, elle la ressentait entièrement et surtout, elle l’acceptait. Cela avait toujours mis du piment dans leur relation et il en faudrait bien plus que cela pour qu’Esther s’éloigne. Il fallait bien avouer que jusqu’ici, Esther n’avait pas brillé par son envie de progression, la motivation n’avait jamais été au rendez-vous, mais en rencontrant Nate, les choses avaient changées et elle avait eu envie de progresser, de pouvoir être encore plus fière et surtout, d’être fière au côté de Selji, une fois qu’elles seraient au même niveau. C’est pourquoi, elle avait du mal à comprendre l’étonnement qu’elle sentait dans sa voix quand son amie lui demanda si elle voulait aller en A ; son visage s’empourpra et elle se perdit dans sa réponse.

- Bah oui, je me suis dit que ce serait pas mal d’être … Dans la même classe, tout ça. Lâcha-t-elle en haussant les épaules.

Pour Esther, il s’agissait de la dernière chance pour inverser, ou plutôt faire évoluer leur histoire. Parfois, elle avait l’impression que Selji s’ouvrait un peu à elle, mais le lendemain, elle ne lui donnait aucun signe de vie, parfois pendant des semaines. Cette attitude avait beau agacée la sportive, elle ne pouvait se résoudre à lui en vouloir, encore moins quand enfin, elles avaient l’opportunité de profiter d’une soirée ensemble.

Quand son amie s’allongea, un léger silence plana entre les deux jeunes femmes. Qu’est-ce qu’elle avait du mal dans cette tension, elle cherchait quoi dire, faire mais les mots ne parvenaient pas à franchir ses lèvres. C’était parfois tellement compliqué de comprendre à quelle vitesse l’esprit de Selji pouvait être loin d’elle … C’est pourquoi, Esther se sentie soulagée quand elle reprit la parole pour lui poser pas mal de question. Était-ce bien Nate qu’elle appelait « l’autre là » ? Elle choisit de ne pas y porter plus d’attention que cela, préférant laisser la bonne ambiance !

- Oui, j’ai révisé avec Nate, il me motive … Même si c’est trop bizarre de devoir squatter dans la chambre de Lee … Je ne sais pas comment vous faites ! Lança-t-elle en guettant sa réaction.

Allongée, son amie fixait résolument le plafond, ce qui n’aidait pas du tout Esther à comprendre si oui ou non, elle allait trop loin. Il fallait avouer que son premier contact avec Lee avait été plus qu’étrange. Elle secoua la tête, elle ne voulait penser à rien de tout ça, et surtout pas en dire trop. Elle ne voulait pas que la conversation prenne trop tôt une pente qu’elle regretterait et par conséquent, elle revint à des considérations bien plus superficielle.

- Tu sais normalement, je ne laisse que les coiffeurs toucher à ça, mais si c’est toi, ça me ferait vraiment plaisir.

Sur ces mots, la sportive s’en alla chercher tout ce dont elle avait besoin pour coiffer et prendre soin de son amie. Mais après quelques pas seulement elle sentit les mains et les bras de Selji l’attirer contre elle. Malgré la force de la jeune femme, ses gestes étaient emplis d’une douceur sans nom. C’était précisément ce genre de moment qui poussait constamment Esther aux doutes. Elle prit une longue inspiration et se blottit légèrement contre elle pour profiter de cet instant paisible qui pourtant, lui donnait envie de s’arracher les cheveux tant elle ne savait plus sur quels pieds danser. Après une longue minute, elle se tourna vers son invitée pour la forcer à se confronter. Alors, elle ne pouvait plus s’empêcher de laisser sortir cette bombe … Elle avait tellement besoin de savoir :

- Selji, qu’est-ce que je suis pour toi, à la fin ?

Elle saisit doucement les mains de la brune et se tourne pour planter leurs regards l’un dans l’autre. Elle la serrait peut-être un peu trop fort que pour sembler réellement aussi calme qu’elle voulait l’afficher. De toute façon, elle n’ignorait pas que si elle voulait s’enfuir, elle ne pourrait de toute façon pas l’en empêcher. Et les yeux dans les yeux, elle attendit que sonne le glas des révélations.

Dans sa poitrine, Esther sentait son rythme cardiaque accélérer. Elle savait bien qu’elle mettait les pieds dans le plat mais il était trop tard, bien trop tard à présent pour reculer. Les mots lui avaient échappés, c’étaient peut-être des mots de trop ou les mots qu’il fallait. En tout cas, elle serait bientôt fixée. Ses yeux bleus se perdent dans le regard océan de Selji et elle se sent submergée par des émotions contradictoires. Entre curiosité et fuite, elle ne savait pas trop encore de quel côté penchait la balance. Dans ses mains, elle sentait les spasmes de son « amie » prise au dépourvu par sa question. C’était rare pour Esther de la voir si décontenancée, à ces yeux, la brune avait toujours été un symbole même d’assurance et de self-control. Si elle n’était pas aussi concernée, elle aurait presque été amusée de la voir paniquer grâce à de simple mot.

Après une attente qui semblait interminable aux yeux de la sportive, le temps décida de reprendre son cours à l’instant où elle sentit ses lèvres près des siennes. Ce n’était pas un baiser, mais presque. Esther écarquille un peu les yeux. Elle ne s’attendait pas à ça, peut-être même que cela rend les choses encore plus ambiguës pour elles. Après cet instant, elle ressentait la réaction de la plus petite comme un rejet. C’était, à ses yeux, violent et incompréhensible.

- Qu’est-ce que tu veux à la fin ? Tu regrettes parce que tu t’es rendue compte d’un truc ?

Esther voyait bien dans les regards fuyant de Selji qu’elle cherchait déjà à s’échapper. Envolés, les beaux projets de soirée chill entre copine. Elle sentit la tension monter d’un cran encore entre elles en lâchant ses mots, mais elle ne pouvait plus s’empêcher de laisser parler le cœur qu’elle avait au bord des lèvres. Cette relation chaud-froid, distance-proximité ne lui convenait plus et elle voulait le faire comprendre. Elle la laissa faire son numéro en croisant les bras, ses yeux auraient pu lancer des éclairs tant la situation l’énervait. En observant le visage alarmé et empli de doute de son amie, elle savait qu’elle n’avait pas d’autre choix que de s’adoucir … Comme si elle pouvait faire autre chose face à elle de toute façon.

Elle sentit que ses mots pouvaient sonner de manière dure et regretta de les avoir prononcés devant l’attitude de sa complice de toujours. Elle prit une grande inspiration et la rejoignit en quelque pas. Esther s’accroupit en mettant un genou à terre et posa ses mains sur les genoux de Selji qui s’était assise sur sa chaise de bureau.

- Selji, … Parle-moi. Susurra-t-elle à sa hauteur en cherchant son regard entre ses doigts. Si tu ne peux pas être honnête avec moi, si t’essayais de l’être avec toi-même ?

Visiblement, elle n'était pas prête en entrer de nouveau en contact avec la future C. La sportive laissa planer un long silence avant de confier sa propre idée dans un soupir.

- Moi ça ne me dérange pas …

Les paroles de son amie arrivaient à peine à son oreille qu’Esther tirait la grimace. Les phrases commençant de cette façon … Elle ne savait que trop bien comment elles finissaient. Il n’était pas encore là mais elle savait que le « mais » ne tarderait pas à suivre. Amère, elle se rendit bien compte qu’en cherchant à tout prix les réponses à ses questions, un point de non-retour avait été franchi entres elles. Aurait-il fallu faire comme si de rien était ?

Elle observa Selji se lever et s’extirper de son étreinte. Elle la suivit avec quelques secondes de latence. Elle se sentait comme un chien ayant fait une bêtise dont la punition n’allait pas tarder à arriver. Inéluctable. Retarder les choses ne servait à rien, il fallait arracher le pansement d’un coup sec, vif, douloureux.

- Mais ? Lança-t-elle acerbe en précipitant sa chute.

Elle croisa les bras sur sa poitrine. Tout sa concentration filait dans sa jambe pour réprimer un tic nerveux, taper du pied de manière énervée ne changerait pas les choses pourtant la tentation était si forte. Les lèvres pincées, elle accueillit le fameux mais avec une dignité qu’elle ne soupçonnait même pas chez elle. Dans sa tête, les questions et l’incompréhension tourbillonnait furieusement.

Depuis toujours et comme d’habitude, elle ne sait pas ce qu’attend la jeune femme qui lui tourne encore le dos. Doit-elle l’attraper, la laisser filer ? Ne jamais savoir sur qu’elle pied danser la perturbe énormément, quelque part, elle s’avoue à elle-même qu’elle est fatiguée de tout ça. Elle a passé l’âge du jeu du chat et de la souris non ? Elle remarque soudain qu’elle était crispée et elle se décide à prendre une grande inspiration.

- Je ne te comprends pas Selji … lâche-t-elle avec seulement de la tristesse dans la voix.

Enfin, son amie se retourne et lui adresse un au revoir digne des plus grande Drama Queen. Esther lui dirait bien que ce n’est rien, qu’elle s’y attendait mais la douche froide est trop violente pour qu’elle réagisse plus que ça, sa dernière phrase n’aura pas tiré les réponses qu’elle attendait, il est sans doute trop tard et elle ne veut pas empirer le désastre de cette soirée alors, un pincement au cœur, elle la laisse partir. La porte de la chambre se ferme puis celle qui donne sur le couloir.

Esther se rappelle enfin comment respirer, elle s’allonge et couvre ses yeux de son bras. Dans quelques jours, quelques semaines, elle trouvera les mots justes, peut-être. En attendant, mieux vaut ne pas tenter le diable. Un dernier soupir lui échappa.