Une fois n’est pas coutume, le troisième amphithéâtre de l’académie Swish est devenu la salle de cours d’Oliver, pour quelques cours un peu plus particuliers que ceux qu’il présente d’habitude. En effet, disposant de certains récits historiques que lui a envoyés son père, ainsi qu’une collection personnelle d’éléments sur la mythologie nordique, il s’est dit que c’était une bonne occasion d’en faire profiter ses élèves, du moins ceux que ça intéresserait un minimum. Les gêneurs sont rarement tolérés dans son cours, donc en demandant à l’administration l’autorisation d’utiliser un des amphithéâtres, il s’est assuré que ces derniers soient écartés de son cours pour la journée. Oliver est bien conscient que sa réputation de prof varie selon les personnes qui en parlent: c’est un tyran au cœur de pierre pour ceux qui lui sont hostiles, c’est un bon prof à l’écoute pour ceux qui s’investissent dans ses cours.
Justement, aujourd’hui est la remise des copies du dernier examen d’histoire de la classe D, un bilan mitigé pour la plupart, rien de surprenant. Toutefois, bien que certains se soient amusés à tricher et ont été punis d’un zéro en conséquence, d’autres personnes ont réussi à faire des efforts, surtout une qui a retenu son attention. Esther Lesath. Une élève qu’il a l’habitude d’avoir dans ses cours depuis un bon moment, plutôt du genre à ne pas attirer son attention car elle se contente du strict minimum pour ne pas être rétrogradée en classe E.
Le cours touche à sa fin lorsque la sonnerie retentit, la voix d’Oliver se fait donc entendre juste après:
“Vous pouvez y aller, n’oubliez pas de venir récupérer votre copie à mon bureau pour avoir votre note.”
Il se retourne tranquillement pour nettoyer le tableau quand sa voix se fait entendre une fois de plus:
“Mademoiselle Lesath, je vous prie de bien vouloir rester à votre place, j’ai à vous parler.”
L’intonation de sa voix laisse percevoir que ce n’est pas une option, c’est un ordre direct de son professeur et nul doute que ça n’a rien de rassurant. Pourtant, lorsque le professeur d’histoire se retourne, après avoir fini de nettoyer, son regard n’est pas méprisant, ni même agressif, il n’affiche aucune émotion particulière. Lorsque tout le monde a quitté la salle en ayant récupéré sa copie, le silence s’installe peu à peu dans le grand amphithéâtre soudain très vide, ne laissant résonner que les bruits de pas d’Oliver qui a la copie d’Esther en main alors qu’il vient jusqu’à elle.
“Savez-vous pourquoi je vous ai demandé de rester, Mademoiselle Lesath?”
Son air sérieux reprend un peu le dessus, comme pour la sonder, pour savoir si elle a la moindre idée de ce qui peut bien le pousser à lui parler seul à seul ainsi. Il attend patiemment la réponse alors qu’il tient la copie de la jeune femme de sorte à ce qu’elle ne distingue pas sa note, et vu comment il la fixe, ça risque d’être dur de loucher sur la copie pour tenter de savoir.
Ces derniers temps, la fatigue se faisait sentir de plus en plus souvent. Esther n’aurait jamais cru que rester attentive et prendre des notes représentait une telle somme de travail. Certes, sa moyenne était en nette progression mais son énergie elle, commençait à se faire la malle. Allait-elle un jour trouver un rythme de croisière qui lui permettrait de ne plus bûcher comme une acharnée ? Elle n’en avait pas la moindre idée.
L’histoire particulièrement, était l’un des cours qui lui demandait le plus de ressource, toutefois, rien n’était pire que les mathématiques – sa bête noire. Malgré les efforts du professeur passionné, cette noble matière n’avait aux yeux d’Esther, rien de passionnant. Cependant, il fallait admettre que, depuis qu’elle commençait à s’intéresser à autre chose qu’au sport, ses notes et sa moyenne avait l’air suffisante. Elle était à présent à même de comprendre les bucheurs, qu’elle avait jusqu’ici observé d’un œil critique. Comme quoi, quand on veut, on peut … Enfin, surtout avec des encouragements et de la motivation.
Elle avait soigneusement pris note, son écriture même semblait apprécié sa nouvelle façon de faire. Fini les pâtés et les dessins partout, des titres et de la matière structurée ponctuait ses notes. Encore un peu – genre du de la couleur – et elle était sûre qu’on les lui demanderait … La sonnerie retentit et elle constata qu’elle avait même pas vu l’heure passer. Elle engouffra ses notes dans son bloc de cours et jeta ce dernier dans son sac. Comme d’habitude, elle était l’une des premières à avoir fini de ranger ses affaires et elle s’apprêtait à sortir avec sa copie quand le professeur la retint. Qu’avait-elle fait ? Rien bien sûr. Bon peut-être qu’elle avait reçu de l’aide pour son devoir, mais ce n’était pas interdit, si ? Et puis, comment pouvait-il bien le savoir, elle n’aurait qu’à nier en bloc. D’un geste nonchalant, elle reposa son postérieur sur sa chaise et observa les autres étudiants quitté la classe sans un regard pour la pauvresse.
Elle observa la silhouette du professeur derrière son bureau, prenant soin d’essuyer les notes qu’il avait prises. Le calme était revenu dans la salle et le silence lui semblait pesant. Elle était stressée et elle ne désirait qu’une chose, partir. Enfin, il vint jusqu’à son niveau, avait-il un air sévère, goguenard ? Elle n’en savait rien, elle ne percevait en lui le moindre indice quant à ses intentions.
- Savez-vous pourquoi je vous ai demandé de rester, Mademoiselle Lesath ?
« Pas le moins du monde » songea-t-elle. Elle espérait afficher une mine détachée et elle planta son regard dans le sien. Après tout, elle avait déjà essuyé pas mal de sermon, un de plus ou un de moins ...
- Pas du tout … J’ai tout rendu à temps, non ?
Lança-t-elle à tout hasard. Après tout, c’était pas impossible qu’avec la quantité de travail à fournir, elle ait oublié quelque chose, peut-être était-elle d’une corvée quelconque ? Avait-elle fait une bêtise dernièrement ? A part la soirée où tout avait dégénéré et pour laquelle elle avait déjà largement eu sa dose de punition, elle ne voyait. Après tout, sa crise d’adolescence semblait derrière elle …
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