Aileas ne sait pas vraiment ce qui a pu motiver les révolutionnaires à venir à elle quelques semaines après son rétablissement. Elle a toujours l’air en pétard depuis son réveil, c’est sans doute un indice suffisant ; mais surtout, ça lui importe peu : on lui a dit exactement ce qu’elle voulait entendre et quoiqu’elle ait lourdement râlé de se faire pucer comme un putain d’animal, elle n’a pas tergiversé longtemps.
Peu de temps après, c’est avec impatience qu’elle a traversé la forêt artificielle, broyé le lit de feuilles sous ses talons compensés, froncé le nez devant le gigantesque château de Parlevent lourdement équipé et surveillé, l’air de dire : « Ça s’emmerde pas ici. » L’endroit est vertigineux et elle se félicite de n’avoir jamais été gênée par la sensation d’être à poil. Elle est à peu près certaine que les types aux gueules de pitbull à l’entrée lisent dans ses pensées, aussi tapisse-t-elle son esprit de belles cochonneries. Elle regarde tout ce qui est à portée de ses yeux, puis on lui explique gentiment qu’on va lui faire faire le tour du propriétaire avant le début de la réunion. Certains rouages secrets de l’ancienne académie de Swish lui apparaissent alors clairement – en découvrant les dortoirs réservés à la classe X à laquelle elle n’a jamais appartenu, les initiés qui s’entraînent dans les jardins… Certains visages lui sont connus. Et c’est presque vexant de songer que tant de choses lui ont échappé jusqu’à maintenant.
Elle n’en dit rien, naturellement. La curiosité la pousse même à presque bien se tenir pendant la réunion qui rassemble les nouvelles recrues, les jambes nonchalamment croisées, à jouer avec une maille abîmée de son bas résille. On leur rappelle les idéaux révolutionnaires, tout ce qu’il est possible d’entreprendre pour consolider les rangs, et elle sent un gros soupir lui gonfler la poitrine. Ce n’est pas tout à fait qu’elle s’ennuie, plutôt qu’elle voudrait tout, tout de suite. Manifestement, on ne peut pas prétendre tout faire péter d’entrée de jeu ; du reste, qu’a-t-elle à offrir de plus ? pas grand-chose, pour le moment, et c’est un peu frustrant. Il y a quelque chose de contre-nature pour elle à rester assise là à écouter sagement ce qu’on lui dit. Quand on leur annonce pour finir qu’ils pourront chacun être pisté par accompagné d’une sorte de « révolutionnaire référent », Aileas tire la tronche : elle n’a vraiment pas besoin d’être prise par la main.
Elle se lève, prête à demander avec la meilleure volonté du monde comment se rendre utile, mais alors que le groupe se disperse, elle l’aperçoit enfin. Comme si elle n’avait jamais perdu ses mauvaises habitudes, elle se plante devant elle, toujours aussi intrusive, et la dévore des yeux avec un sourire goguenard aux lèvres, de toute évidence franchement surprise de la trouver ici. « Merde, Liones, c’est vraiment toi ? » s’étonne-t-elle avec un début de rire dans la voix – mais ç’aurait été trop beau de s’en tenir là, n'est-ce pas : « Hors de ta piaule ? Le pif ailleurs que dans tes bouquins ? » Elle prend un air faussement inquiet et consterné à la fois : « T’es sûre que tout va bien, t’es pas au bord de l’évanouissement ? » Puis elle esquisse encore un pas vers elle. Pour l’avoir côtoyée – plus souvent de force que de gré – à l’académie, elle sait que Liones est parfaitement capable de l’ignorer et de passer son chemin sans rien dire. Aussi lui signifie-t-elle simplement qu’elle n’a pas l’intention de lui lâcher la grappe. C’est qu’elle a mille autres questions à lui poser, mille autres façons de lui casser les oreilles et de « rattraper le temps perdu », comme disent les niais.
Cela faisait maintenant quelques jours que Liones se trouvait au château, venue prêter mains forte pour préparer ce qui serait une journée d'initiation pour de nouveau membres. Une réunion à laquelle elle participerait de loin comme d'habitude, préférant laisser la lumière à ceux qui sauront mieux qu'elle s'exprimer sur le pourquoi et le comment de la révolution. Ceux qui sauront rendre attirant des discours qui transportent pourtant la vérité, cruelle, mais nécessaire à l'établissement d'une paix durable, d'un monde libre. A la dérive dans les couloirs elle croise quelques visages qu'elle arrive maintenant à reconnaître sans mal. Un presque exploit pour la demoiselle solitaire. Mais pour le bien être de la meute c'était un exercice auquel elle devait se plier, car ils avanceraient tous ensemble vers cet idéal qui leur est commun.
En avance, elle s'installe dans un coin de la salle pour écouter des choses qu'elle a déjà entendu trop de fois à son goût, mais elle avait assurée qu'elle serait présente cette fois-ci. Que possiblement, elle se présenterait comme une référante pour ceux qui le souhaitent. Si elle ne doute pas d'elle, ni de ses capacités, elle doute toutefois d'être aussi pédagogue qu'Andrew ou d'autres, pour guider les initiés sur la voix du loup. Ses iris violets parcourent la salle, détaillant quelques une des nouvelles recrues qui semblaient arriver toujours plus nombreuses. Restait maintenant à s'assurer de la fiabilité de leur engagement et de leur capacité à se montrer utile lors de la tempête qui s'annonce. Un soupir discret franchit ses lippes alors qu'elle patiente cette réunion interminable, lui rappelle la toute première, le jour où elle a reçu son uniforme. Ce manteau en cuir noir, orné d'un X et cet odieux pantalon noir qu'elle porte maintenant sans rechigner quand il le faut.
Le temps file au gré des paroles prononcées et cette réunion touche à sa fin. Alors la brune se redresse, prête à partir comme elle était arrivée. Mais c'était sans compter sur une silhouette familière parée d'excentricité et d'une langue franche et aiguisée dont le premier mot fleuri vient lui chatouiller les esgourdes de manière bien moins agréable qu'un bonjour. Elle relève les yeux vers son interlocutrice, le faciès fermé alors que ses remarques glissent sur elle comme la pluie sur un tissu imperméable. Elle ne semblait guère avoir changé depuis le temps et ce n'était pas pour lui plaire. Son regard accroche le sien sans sourciller alors qu'elle hoche légèrement la tête.
"Bonjour, Aileas. C'est bien moi."
Elle l'avise, l'observe des pieds à la tête en se demandant ce qui avait bien pu la mener elle, ici et à douter des méthodes de recrutement de certains. Car il ne s'agit pas là d’enrôler n'importe qui. Si en tant normal, elle aurait passé son chemin, arrêtant ici son échange avec l'écossaise. Elle voulait être sûre de ses motivations. Qu'importe que ce comportement soit motivé par quelque chose de personnel ou de viscéral, si elle pouvait l’évincer, elle ne se ferait pas prier. Aussi sans prendre la peine de répondre à autre chose qu'à sa première question, elle lui renvoie la balle.
"Qu'est-ce que tu fais ici ?"
Elle se prépare déjà à une réponse déplaisante, connaissant le phénomène qui lui faisait face. Elle ne voyait guère ce qui pouvait la motiver mis à part son petit plaisir personnel. Elle ne comprend pas non plus pourquoi elle vient toujours s'accrocher à elle dès qu'elle en a la moindre occasion. Elle est sûrement la preuve que même après de grands chamboulements, certaines choses restent immuables, qu'importe ce qui peut se passer. Elle espérait juste qu'en deux ans, elle ai trouvé un substitut à aller enquiquiner à longueur de temps.
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