Renaissance blues on me dit qu'elle veut pas de moi
Mais je m'en cogne être un homme faire le type
Rien laisser paraître allez vous faire foutre
Elle est différente
Elle comprendra
Cœur en platine blues
Le bruit des pas sur le béton encore humide, sur les flaques de la veille qui n'ont pas encore eu le temps de s'évaporer puis les échos de voix qui traversent ses oreilles, martèlement incessant comme une punition divine à laquelle Selji ne peut pas échapper, comme si les remords et les regrets n'étaient plus suffisants à éteindre son cœur, il fallait que les aboiements de la ville fracassent le cocon si fragile dans lequel auparavant elle pouvait s'enfermer.
Regret soudain d'une technologie trop avancée, ne plus pouvoir éteindre l'appareil à son oreille pour n'entendre que le silence du monde puis les battements dans sa poitrine.
Lorsque sa personne s'arrête devant l'immense hôpital, Selji prend une grande inspiration, un rappel, on doit voir que tout va bien, que la prothèse s'assimile bien avec son corps, qu'elle n'est pas dysfonctionnelle, que les tissus n'ont pas de soucis, que le moral suit. Alors les écouteurs dans la poche, le téléphone dans l'autre Selji passe à l'accueil, elle donne ses papiers, discute comme elle en a l'habitude, avec une aisance bien trop déconcertante à laquelle elle n'aurait pas cru auparavant, avec laquelle elle n'aurait jamais réussie à s'ouvrir. Mais les gens changent quoi qu'en disent les puristes, les gens évoluent et s'ils ne changent pas c'est que le temps a su être clément mais parfois pour survivre on a pas vraiment le choix. Alors ses yeux se perdent un peu dans la grande salle autour d'elle, puis on lui indique la salle d'attente, que ça risque d'être un peu long, qu'il y a du monde mais que ça finira par arriver, qu'il n'y a pas à sans faire.
Mais elle, elle ne s'en fait pas, si ça prend du temps ça lui va parce qu'elle n'a rien à faire aujourd'hui, rien qu'observer les autres autour d'elle, voir les malades défilés, ceux qui ont sûrement eu la vie plus dure qu'elle et c'est comme un marteau qui frappe ses côtes, qui lui coupe le souffle lorsqu'elle se surprend à se dire qu'
en fait sa vie est pas si mal, qu'elle devrait arrêté de déprimer pour aussi peu, que c'est lâche d'agir comme ça, d'utiliser sa peine aussi tragiquement.Son dos retrouve l'un des sièges et sa poitrine se soulève au rythme de son pouls défaillant, des passages furtifs d'enfants, d'adultes et de vieillards, un trop plein d'empathie soudain et putain, qu'est ce que ça lui fait mal dans la poitrine, sous son épiderme là.
Comme si sa punition était peut-être bien plus cassante que le simple bruit incessant autour d'elle, c'est peut-être ça, finalement ressentir la peine des gens, parvenir à être empathique comme les gens l'ont étaient avec elle sans qu'elle ne parvienne à le rendre vraiment.
Puis un retour à la réalité, Selji appuie sa tête contre le mur blanc derrière elle et parcourt finalement les chaises autour d'elle, une tête qu'elle reconnaît. Ses mains se crispent et son pouls s'emballe à nouveau, sa gorge se bloque et sa salive remonte avec toutes les aigreurs possibles.
Alors elle tourne vivement la tête comme si elle ne l'avait pas vu, comme si Esther n'était pas là, que c'était un fantôme du passé qu'elle aurait rêvé d'oublier. Pourtant elle est là, et son monde à Selji il s'effondre, tout ce qu'elle a longtemps esquivé revient à elle, comme une espèce de fatalité récurrente à laquelle elle n'échappera
jamais.
Et puis les derniers souvenirs sont douloureux, parce que les regrets ont été amers, probablement plus que pour ses autres amis sur qui elle a su rapidement passé la page, mais Esther, Esther. Un creux à combler qu'elle n'a jamais su réellement emplir, Selji a appris à vivre avec, à regarder son portable, passer entre les messages jusqu'aux photos d'antan, celles de mirages encore trop frais.
Perdue entre une réalité trop fragile et des souvenances trop angoissantes, Selji souffle, essayant de reprendre un semblant d'oxygène dans ses poumons, elle laisse sa longue chevelure lui cacher les joues let le front orsqu'elle se penche vers l'avant, que ses coudes s'appuient sur ses genoux, comme anesthésiée.
Merde.