Cela faisait déjà deux ans.
Dans l’ombre, le loup avait renforcé sa meute, son armée. Sa nation.

Ses propres armes.

La discrétion, maître mot dans l’esprit de ce grand scientifique. Par une coopération temporaire, il s'octroyait le temps nécessaire pour réaliser ses objectifs. Par un silence docile, il se permettait de croître. Cette trêve, il ne l’avait accepté que par dépit, par obligation, et par manque de ressources. Grâce à la violence engagée par le gouvernement, de nombreux natifs avaient décidé de se lier à lui, de porter la puce comme gage de fierté, de revanche. Lui qui avait souhaité créer une armée dans le but de se défendre de cette attaque, finalement, celle-ci lui avait été bien plus utile que prévu. Peut-être était-elle inévitable, et peut-être avait-elle signé sa victoire. Il avait certes perdu un combat, mais l’issue de la guerre ne saurait plier en sa défaveur à présent.

Le début de la fin. Le début d’une nouvelle ère, et la fin de l’oppression.
Il avait eu assez de temps pour parvenir à une réussite. Une première victoire, susceptible de changer le destin de toute une population.

Andrew eut décidé de la rénovation du château de Parlevent pour son emplacement stratégique. Loin des yeux indiscrets, il pouvait installer sa propre panoplie de surveillance tout autour de son quartier général et débuter ses activités, aux côtés de quelques fidèles qui s'avèrent encore aujourd’hui bien utiles - Ayden Wood, Artesia Krömer, Liones Callahan et bien d’autres lui offraient des yeux et des oreilles bien plus loin qu’il ne l’aurait imaginé. Il était entouré, protégé, il ne manquait plus qu’une puissance suffisante pour espérer toucher du bout du doigt cette lueur qu’il avait toujours vu au bout du tunnel : le début de la Révolution.

Pensif, il déposa son verre de Dalmore sur le bureau et se mit à le faire tourner machinalement de ses phalanges. Ce soir encore, la nuit serait longue. Il avait beaucoup de choses à vérifier, à mettre en ordre dans ses locaux souterrains. L’on toqua furieusement à la porte et il releva les yeux vers celle-ci.

— Entrez, dit-il d’une voix monotone, presque usée.

Un homme poussa la double porte et s’invita dans la pièce, parsemé de gouttelettes de sueur. Paniqué, pressé, il avoua :

— Ils ne sont plus là. Les chambres sont vides et les gardes inconscients, dit-il confus, essoufflé.

Andrew ferma les yeux d’un air désabusé et laissa échapper un bref soupir, avant de porter sa main à son front, comme pour se masser en prévision d’une migraine éventuelle. Agacé, sa mâchoire se crispa et il se mit à serrer les dents, tentant de réfléchir à une solution rapide, efficace. Après quelques secondes, il s’exprima :
— Amène la caméra et connecte-la. On passe au plan B, ordonna-t-il à celui qui lui faisait face, le menton bas.

— Tout de suite Monsieur, acquiesça le jeune homme avant de courir vers son objectif.

Il partit bien vite pour ne pas irriter davantage le maître de maison et revint en quelques minutes seulement. Pendant ce temps, Andrew s’était levé et faisait face à la baie vitrée, tournant le dos à son homme de main. Il était donc temps pour lui de se protéger, à nouveau ; ou bien plutôt, d’attaquer le premier.

Le jeune homme alluma la caméra et la plaça devant le bureau de Carter, avant de lui faire signe que tout était en place. Andrew hocha la tête et, d’un pas nonchalant, s’asseya de nouveau sur son fauteuil de cuir ; il posa les deux coudes sur le bureau, releva le menton et croisa ses phalanges entre elles, sous son visage. La caméra s’alluma et il n’eut plus qu’à sortir l’as de sa manche. En ville, la totalité des écrans projetant publicités et bandes-annonces laissèrent place au visage de Carter, une annonce prioritaire qui ne manquerait pas d’en effrayer plus d’un...

— Chers citoyens, nous interrompons vos programmes pour une annonce de la plus haute importance. Nous venons d’être informés que de dangereux forcenés présentant des aptitudes se seraient « évadés » en panique, selon plusieurs témoignages, de la Tour d’ivoire, quartier général du gouvernement. Nous ignorons encore la raison pour laquelle celui-ci ne nous a pas prévenu d’un éventuel danger, nous conseillons aux habitants de ne pas chercher à obtenir des réponses pour le moment et nous pensons que la priorité reste à la sécurité. Les individus se seraient enfuis dans diverses zones, c’est pourquoi nous vous prions d’être vigilants. Civils, rentrez chez vous et protégez vos enfants. Dotés, votre aide nous serait bénéfique quant au fait de calmer ces autres dotés visiblement perturbés ; dépêchez-vous, et soyez prudents. Ils peuvent être n’importe où. Merci de votre attention et surtout, restez sur vos gardes, annonça Andrew Carter sur tous les écrans de la ville.

Coupez. La caméra s’éteignit dans la foulée, le jeune homme s’empressa de débarrasser le matériel et de laisser le maître de maison seul à sa réflexion. Dès que le son du loquet de la porte se fit entendre, celui-ci arbora un sourire satisfait.

La guerre est déclarée.