Soupir de l’hiver,
Qui geint entre tes vêtements,
Sourire de l’air,
Qui se glissent à l’intérieur.

Le froid balaie les espoirs,
La froide nocturne,
Elle aussi n’a que faire,
De tes attentes chaleureuses.

Tu restes seul perdu,
Dans la nuit étoilée,
Dans les éléments hivernaux,
Le vent, la pluie, la neige,
Et les frissons glacés.

Tu n’attends que le déclin
De l’ennemie
Du soir
Des vents quotidiens.

L’hiver. Elle l’observait. Le moindre faux pas. La moindre fatigue. Elle zieutait de ses yeux gelées, de son bleu glacé ou alors de ce blanc givrant.

Adam jeta un coup d'œil par la fenêtre. Tout était calme là-dehors. Si paisible, et pourtant, pour lui, ce calme était synonyme de mort. La saison des fraîcheurs était sa pire ennemie, c’était sa Déesse de la Mort. Après un instant de silence, à ne rien faire, il retourna à sa pratique routinière : prendre sa lampe torche, examiner une dernière fois les écrans de sécurité et fermer la porte derrière lui.

Froid. Si gelé. Il sentait déjà son corps se durcir sous les ténèbres arctiques. Il avait encore le temps. Quelques minutes, peut-être une trentaine, ou une quinzaine. À vrai dire, le temps qu’il pouvait rester était encore flou et il n’était pas prêt à découvrir les limites de ce système si impitoyable.

Il lança le jet de lumière à droite et à gauche, cherchant la moindre souris, qui aurait pu lui faufiler entre les doigts. Les pièces étaient fermées et il n’avait pas besoin de les rouvrir pour observer le contenu. Un simple coup d'œil dans le cadran fenêtré lui permettait de se faire une idée. Un regard sur la montre : 4h49. Voilà déjà onze minutes qu’il était parti.

Il frissonna et remonta le col rembourré de sa veste. Il longea une dernière fois un des couloirs et après avoir fait le tour, il retourna à son poste.

Son poste de travail était assez prêt de la grande porte d’entrée de l’école. Un point stratégique pour les agents. Ils leur fallaient toutefois perdre quelques minutes pour accéder aux escaliers annexes, en cas de problème. Mais ce n’était pas très grave, l'escalier central faisait tout aussi bien l'affaire.

En ouvrant la porte, une vague de chaleur en sortie. Il avait aménagé la pièce pour lui fournir tout ce dont il avait besoin (c'est-à-dire de la chaleur). Il y avait un radiateur électrique, qui pouvait monter jusqu’à 40°C. C’était largement suffisant pour une si petite pièce. En réalité, elle était grande. L’agencement actuel réduisait déjà de moitié la possibilité de mouvement : de nombreux écrans, liés au caméra extérieur et intérieur de l’école, étaient posés habillement sur les murs, un grand bureau en angle droit prenait également beaucoup de place, en plus d’une chaise moyennement confortable.

Main sur la poignée, Adam n’eut pas le temps de pénétrer dans les lieux qu’il entendit un mouvement à l’arrière.

« Hum ? »

Précisément, cela faisait huit jours qu’il était arrivé, et cinq jours qu’il occupait le poste d’agent de sécurité. Ce travail était bien l’un des premiers qu’il avait connu, et celui dont il était le plus à l’aise.

Il aurait pu garder en vue les écrans pendant des heures sans cligner de l'œil, ou enchaîner ses nouveaux cours et son travail sans s’arrêter, s’il l’avait voulu. L’esprit humain, toutefois, a ses limites que même son étrange corps ne peut y faire. Alors sur de courtes périodes, des quarts de service, comme il l’appelait, il prenait la garde et surveillait les infractions commises ou tout autre situation qui requérait sa présence.
 
Il avait été témoin de petits grabuges, plus de jours que de nuits, comme des disputes entre élèves dès que le jour était levé ou des vols de culottes. Oui, une drôle d’affaire. La nuit, en autre, était nettement plus calme.
 
Mais pas cette nuit.
 
Adam aperçut, au coin d’un couloir, quelques figures ombrageuses disparaître en direction des couloirs, dans un vacarme épouvantable. Il était facile pour lui de reconnaître le statut de ces personnes : des élèves, éméchés certes. Pour cette simple raison, il décida de ne pas s’alarmer et d’aller voir plus tard l’état de la situation. Histoire qu’ils soient rentrés sains et saufs dans leur dortoir respectif.
 
En vérité, la principale raison qui l’empêcha de les suivre et…
 
Un autre élève, il supposa.
 
Tout droit sortie d’un effroyable hiver. Il pouvait sentir la brume gelée autour de son corps, comme la vapeur arctique autour d’un glaçon. Pendant un court instant, il avait voulu lui demander s’il allait bien. Il se ravisa. Il n’avait pas besoin de lui demander, bien parce qu’il pensait que cela n’aurait pas été très utile (et il ne lui aurait pas répondu, surtout).
 
L’état vaseux de ce lui était pour le moins désastreux. En le laissant se rapprocher, Adam pouvait clairement sentir l’odeur de l’alcool dans sa joute verbale et un parfum atypique qui lui collait à la peau, comme la fumée de la cigarette qui reste dans le pli des habits et de quelque chose de herbacée, ou similaire à du pin qu’on avait brûlé au briquet. Il avait bien une idée, mais il ne s’avança pas.
 
Il avait froid. Ça, c’était une chose dont il pouvait être sûr. Et passivement, il ne bougea pas. L’être rentra dans son cercle, s’ajustant près de lui. Après un moment de silence, à observer la créature s’approcher, de son ton grave, il s’exprima.
 
« Viens te réchauffer. »
 
Il jeta un coup d'œil à sa montre : 4h56. Dans quatre minutes, il terminait son quart de travail.
 
Adam pénétra dans la pièce réchauffée. En réalité, il n’était pas vraiment autorisé à laisser une personne non-habilitée à l’intérieur. Mais au vue de la situation, ce n’était pas si grave. Rien ne l’était. Il pourrait, à la fin de son service de jour, le raccompagner à sa chambre.
 
« Reste ici au chaud, et je te ramène dans ta chambre après. D’accord ? »
 
Ton grave, mais doux, Adam observait le visage pâle de l’élève.
 
« Comment tu t'appelles ? »

D’abord scruté, observé sous la moindre des manières, Adam resta paisiblement à sa place. Les gens le trouvaient parfois trop calme, trop flegme, trop paisible. Il se disait qu’en d’autre circonstance, un tiers aurait été mal à l’aise par cette situation  - ça n'arrivait pas tous les jours qu’un insolent se permettait autant de regard. Lui, au contraire, ne trouvait rien de très gênant à ça, peut-être parce qu’il était trop libre, dans sa manière d’agir. Les gens devenaient frustrés sous ce manque de réactions, sous le manque de mots : frustrés et agacés. Pourquoi demander tant de manières de réagir ? Pourquoi certains semblaient plus à l’aise face à de longues explications, face à l’idiotie et au mensonge ? Peut-être pour se rassurer, pour trouver la faille chez l’autre, pour le juger sur ce qu’il dit, surtout. Pour se convaincre que la personne en face est humaine, imparfaite, comme eux.
 
La langue pouvait être traîtresse. Et Adam ne trahira jamais ses mots.
 
Adam et sa splendide ataraxie.
 
Après être vu comme un esclave sur le marché aux enchères, voilà que le brave lui faisait une invitation effrontée. Adam pouvait comprendre les sous-entendus. Il les mettait rapidement à l’écart. Le bénéfice du doute.
 
Il passa ses yeux dehors. Le vent soufflait contre les branches dégarnies et la fraîcheur de l’hiver avait déjà transpercé dans le bois mort des arbres. Si froid. Il réfléchit un moment. Il n’avait plus besoin d’être inquiet par la température extérieure, les autres n’avaient pas cette chance, tous n’étaient pas loti de telles manières à passer confortablement les rudes mois.
 
La tête se releva et son regard se perça dans le grand personnage. C’était simplement pour dormir, passer une nuit au chaud.
 
« D’accord. »
 
Il accepta. Semblait-il qu’il avait froid, et Adam ne se dérangeait pas à “réchauffer” les autres. S’il pouvait rendre leur donner du confort, ce n’était pas si important. Il lui avait donné une réponse reposée, mais il ne pouvait pas s’empêcher d’être surpris sous la soudaine action de ce camarade. Pourquoi ce baiser ? Il posa une main sur son front.
 
Le suivant des yeux, Adam le voyait déjà s’écrouler sur le sol. Avec le peu de place, il se demandait s’il arriverait à étendre confortablement ses jambes. Il était si grand que ce serait sûrement impossible.

Puis, il se présenta. En quelques mots, Adam savait qui il était, en quelle année il se trouvait et qu’il était en classe E. Il se rappelait que le système scolaire était important et que la mise en place des classes était un moyen de jauger les élèves. Il se demandait si c’était une bonne idée de répartir ainsi les efforts et de les catégoriser (au lieu de les valoriser et de les motiver). Il ne s’aventura pas plus loin sur cette pensée.
 
La créature s’assit entre temps sur la chaise et commença à se débattre dans ses vêtements, se glissant hors d’eux. Il aurait voulu l’aider, mais il semblait qu’il se débrouillait très bien sans son aide. D’un geste concis et résolu, Adam tourna la molette du radiateur. Il eut un cliquetis familier et un éclair surgit à l’intérieur : il venait de l’éteindre.
 
« Je viens d’arriver, quelques jours depuis. »
 
Est-ce que cette réponse lui convenait ? Cela semblait important pour qu’il lui redemande. Et vu l’état, c’était encore plus curieux qu’il se rappelle de ce qu’il a dit quelques minutes plus tôt.
 
En parlant de minutes, Adam entendit les cliquetis mécaniques de sa montre. Il était maintenant 5h02. Les autres agents avaient dû prendre leur poste aux autres offices de l’académie, et son remplaçant viendrait sûrement dans une trentaine de minutes. Il était temps de le ramener à sa chambre, car s’il pensait qu’il était capable de dormir ici, ce n’était pas le coin le plus confortable.
 
Avant qu’il ne puisse faire quoi que ce soit, il sentit une présence autour de sa cheville, une masse s’enroulait progressivement. C’était un grand serpent, aux couleurs mélangées de bruns différents, de teintes foncées et de plus claires. Et s’il n’y avait pas la lumière des écrans, il aurait pu apercevoir les lueurs de ses écailles briller dans la nuit. En autre, la bête était impressionnante, ce n’était pas nécessairement à cause de la taille (bien qu’elle y faisait quelque chose), mais les serpents étaient une créature crainte, menaçante.
 
Heureusement, il n’y avait que lui et Adam, et aucun des deux ne possédaient cette peur.
 
Au contraire, il la laissa le posséder, se balader sur la surface vivante, contre sa peau. Sentir la tiédeur de son corps écaillé était tout de même une expérience étrange, mais pas dérangeante. Avec habileté, il passa une main contre le cou de la créature reptilienne. De sa douceur coutumière, la grande stature se souleva et son corps sortit avec une progression lente et soigneuse de sous son vêtement.
 
« Ton pouvoir ? »

Dans la pièce, on pouvait entendre le ronronnement sifflé, bercé au rythme des respirations. Adam percevait ces sibilations percer à travers les fines lèvres de ce camarade et au détour d’une respiration, du serpent. Apaisant, ça l’était. Elles s’alternaient au silence, comme les respirations endormies d’un bébé, calmes et harmonieuses.
 
Avec aisance, il guida la longue et massive créature jusqu’à la voie de son maître. Sa peau douce rapa dans un frottement similaire au papier, il pouvait sentir la tiédeur le quitter et il s’imaginait que le python déversait à nouveau sa température vers celle de son maître, pour se rendormir dans les marques tatouées.
 
C’était une expérience si confortable. C’était ce qu’il pensait. Peut-être était-ce visible sur son visage, car il exprimait un sourire vague, un visage attendri.
 
Changement d’accent dans les paroles. Il y avait quelque chose de serpent dans la manière dont il agissait sa langue, dans la manière dont il parlait, roulant sur sa phrase. C’était bref, mais parfaitement audible. Une particularité de sa capacité ?
 
« Un beau pouvoir. »
 
Lee semblait regarder quelque part. Et Adam suivait la source qui avait provoqué son attention. Il regardait les écrans, avec attention. La nuit était profondément calme. À part cette apparition si soudaine de Lee (et très sûrement de ses camarades), cette nuit serait restée paisiblement calme.
 
Téméraire personnage, Adam se troubla sous ce nouveau contact. Imperceptible, mais il sentait son corps tressaillir. Il ne s’attendait pas à ce genre de manières. Pourtant, il n’y voyait pas de problèmes. C’était juste si soudain. Il n’avait pourtant pas oublié, l’origine de ce manque de retenue, de cette recherche de chaleur, et il s’en rappelait encore mieux à ce contact si frais.
 
« Allons-y. »
 
Adam se décala également de l’étreinte, que Lee rompit le premier, avec bien difficulté.  Il commença par ouvrir la porte, tandis que le maître des serpents récupérait son trésor perdu. Quand il entrouvrit, il ne put s’empêcher de frissonner sous la vague de vent.
 
Il resta là, un court instant, comme un abri protégeant les gens de la pluie. Il réfléchit aussi. Ici, à Swish, il était content que les températures soient tempérées. Dans un mois, tout du moins, il pourrait prendre des mesures plus libres et se pavaner dans la fraîcheur de la saison. Actuellement, avec des degrés atteignant les 6 à 3, il ne pouvait même pas en rêver.
 
Un autre tsunami de gel s’infiltra à l’intérieur et réduisit à néant ses propres réflexions.
 
Il sentit une lourdeur sur ses épaules, et s’aperçut que Lee avait posé une couverture sur lui. Il le remercia d’un sourire, dans un silence accoutumé.
 
« Adam Webber. »
 
Il s’arrêta un court instant, agrippant cet objet qu’il lui tendait. Il passa un petit moment sur l’interface éclairée, et ne manqua pas de soupirer sous cette appellation. C’était un soupir amusé, qui se soulève parfois au détour d’une chose imprévue et cocasse. Ses doigts tapèrent plusieurs fois dessus et après avoir entré son numéro, il lui rendit.
 
« Si tu as besoin d’aide. »
 
Il ne continua pas sa phrase. Il n’en avait pas besoin.
 
Adam referma la porte de l’office avec la trousse de clé qu’il avait à sa taille. Elles étaient les passe-partouts de l’école et pouvaient ouvrir une grande variété de portes.
 
En quelques grands pas, Adam commença à marcher vers l’intérieur de l’académie. Il alla sur la droite, en direction des dortoirs. Après quelques minutes, au lieu de tourner une nouvelle fois à droite, il s’arrêta à mi-chemin devant une porte.
 
« Attends-moi, je fais vite. »
 
Il ouvrit une porte (qui n’avait pas été verrouillée) et pénétra à l’intérieur. Ce poste était un autre office de sécurité et il y avait un autre gardien.
 
« Ah, Adam ! Tu as terminé ?
— Oui. Les clés.
— Merci, gars. Tu peux les poser sur la table. Allez, dors bien, il te reste pas beaucoup, mais assez pour faire une sieste, hein.
— Merci. »
 
Un sourire sur le visage, Adam s’éclipsa assez rapidement. Il reprit la route normalement, silencieux comme un mort. Mais une expression sereine se berçait sur son faciès.

Le temps d’une sieste. En sortant de la pièce, Adam regarda l’heure sur sa montre. Il était 5h17. Le temps passait rapidement, il s’en rendit compte. Une sieste. Est-ce qu’il aurait le temps pour ça ? Les cours prenaient à huit heures. Il réfléchit, les yeux en l’air, comme s’il cherchait quelque chose à travers le plafond. Peut-être bien. Il était, de toute manière, parti pour sommeiller un petit moment, au moins pour réchauffer Lee, rendre sa courte nuit aussi agréable qu’il pouvait.

Il avait déjà décidé du lieu où ils allaient rester : sa chambre. Au moins, il était sûr qu’ils n’auraient pas de problèmes de froid. Le plancher était chauffé avec un système à eau (incorporé ingénieusement sous le sol), et il avait également un matelas, une grande couverture à double épaisseur et des coussins confortables, tous, chauffants. Le lit en lui-même - et il regarda le grand personnage qui se trouvait maintenant devant lui - était assez grand pour contenir la bête.

Il lui sourit. Lee venait tout juste de changer de manière de… marcher. C’était une conduite dangereuse, pour son camarade, il ne suffisait que d’un mauvais pas ou d’un choc pour qu’il ne parte à la renverse. Ainsi, le voilà à reculons, et Adam faisait des pas plus courts, par prudence, s’il devait intervenir.

« Tu vas tomber comme ça. »

Sous l’apparition de l’appareil, Adam se gratta le visage. Les photos le rendaient gêné. Ce n’était pas tant le fait d’être photographié qui le rendait tendu. Inconsciemment, le manque de souvenirs, avec sa famille, avec son entourage, avec sa tante, l’avait fait grandir dans l’embarras de créer des souvenirs. Tout simplement. Stupide. Il fallait le dire. C’est pour ça qu’il ne disait rien. Il regrettait en quelque sorte les occasions manquées avec sa tante, où il aurait pu garder à jamais l’instant d'avant.

Il fixa les grandes jambes du présent soulaud. Peut-être qu’il ne tomberait pas ? Il semblait avoir un bon équilibre et un bon appui de jambes. Malgré tout, par précaution, Adam continua sa démarche rapide et couvrit le chemin par de petits pas. Une, deux. Une. Deux. Une, deux, trois !

Ah ! Dans un réflexe, son corps s’exécuta. Il sauta vers l’avant, balança sa main vers la nuque de la créature enivrée. La masse lourde l'entraîna dans un mouvement bousculé et ils roulèrent un instant. Adam reprit rapidement ses esprits et il se retrouvait au-dessus de l’autre, parfaitement satisfait. Il riait, à coeur joie, comme un enfant frivole. Adam ne put que l’accompagner dans cette joute joviale et sa gorge se noua de rire.

Après un autre instant, il retira sa main qui était restée derrière sa nuque et agile comme un chat, il se remit sur ses pieds. Son camarade se mettait soudainement à chanter. L’engouement de la situation, la soudaine musique, et aussi à cause d’une ivresse certaine l’avaient rendu chanteur d’un théâtre extra-terrestre. Adam souriait, et quelques pouffements amusés se noyaient entre ses lèvres. Il ne comprenait pas un traître mot de ce qu’il braillait, mais il reconnaissait l’origine de cette mascarade musicale.

Il tendit sa main, invitant Lee à l’attraper, à s’aider pour se relever.

« Tout va bien ? »