Nitesh avait grandi en commandant. Nitesh avait grandi en étant celui qui décidait, qui laissait entendre ses caprices comme des ordres à suivre, des ordres qu’on ne pouvait pas laisser sans réponses - des ordres auxquels on se pliait sans jamais les contredire. Nitesh avait été ce prince qu’il aurait dû être quelques années plus tôt, héritant d’un pouvoir qui ne lui avait jamais appartenu de prime abord, qui l’avait obtenu. Un pouvoir qu’on lui avait laissé de par son rang, de par son sang.
Alors Nitesh savait se faire commandant - Nitesh savait comment se faire entendre.

Il était également en mesure de comprendre les autres, de les ressentir comme s’ils étaient ses propres émotions; il était capable de les comprendre si aisément, à se demander comment c’était possible. C’était la raison pour laquelle il avait choisi la psychologie - c’était la raison pour laquelle il avait demandé à être l’assistant du psychologue. Parce que son pouvoir lui permettait de mieux cerner les problèmes, de mieux les gérer - parce que Nitesh avait toujours voulu aider les autres et rendre leur vie plus facile. C’était le but de toute une vie - une existence versée dans son prochain, sans la moindre considération envers la quantité qu’il donne, sans jamais demander à recevoir.

Tout en s’approchant du cabinet, il pouvait entendre la voix d’un surveillant aux intentions aussi inquiètes que trop désagréables aux oreilles de Nitesh. Un peu plus près, il peut entendre; cette fois-ci; des pleurs. « Ça suffit. »
La voix du jeune homme avait porté, franche, presque étonnamment froide. Non, il n’aimait pas qu’on bouscule les personnes qui attendaient pour un rendez-vous, même si celui-là venait dans l’urgence. Même si la personne était inquiète pour celle qu’elle surveillait. Même si. Aucune raison n’était suffisante aux yeux de Nitesh pour justifier de bousculer ceux qui attendaient.

Il n’avait pas tardé à se rapprocher des deux personnes tout en ouvrant la porte du bureau. « Murphy, tout va bien. Tu peux entrer dans le bureau. » Il lui tendit la main pour l’aider à se relever tout en lançant un mauvais regard au surveillant. « Il y a des façons de poser des questions, et l’obligation n’en est pas une. » Haussant les épaules et en soupirant, il avait reporté son regard sur la jeune femme. On lui avait dit que Murphy avait décidé de se faire du mal, et que c’était la raison pour laquelle elle se trouvait là. Pour autant, il n’allait très certainement pas la juger ni faire des conclusions hâtives. Il avait besoin de comprendre - comprendre ce qui avait provoqué. Peut-être qu’il n’y avait pas de raison, tout de même. Il n’y avait peut-être pas de raisons et ce ne serait pas grave.

Nitesh voulait l’aider. C’était le but premier des initiatives, aider. Nitesh avait toujours voulu aider les autres, il avait toujours voulu leur offrir des solutions ou, au moins, les apaiser.
Ça avait toujours été ce qu’il voulait faire. Ça avait toujours été ce qu’il tentait. Aujourd’hui encore, c’était le but poursuivi alors qu’il attendait que Murphy attrape sa main et qu’ils allaient dans le bureau, loin de ce surveillant ne possédant pas la moindre délicatesse. C’était fort décevant.

Quand sa voix portait, implacable, il était rare qu'on ne se taise pas, au moins quelques secondes, pour comprendre ce qui venait de se passer, ce qui avait été dit. Même lorsque Nitesh s'adressait à un supérieur.
Il n'avait pas grandi dans la peur de plus haut que soi, dans l'effroi du retour de flammes; non. Il avait grandi dans l'imposition de ses idées qui lui avaient toujours paru bien plus importantes que les autres quand il était jeune.

Aujourd'hui, Nitesh avait grandi, évolué. Il savait écouter, appréhender autre chose que son opinion - mais il savait aussi tirer partie des apprentissages de son éducation lorsque ça lui semblait nécessaire.
Comme maintenant, comme avec ce surveillant - pour lequel il n'eut même pas un seul regard, préférant davantage se concentrer sur la jeune femme.

C'est un doux sourire compatissant qui se dessine sur ses lèvres. Nitesh n'a pas connu le désespoir et la détresse; pas ainsi, pas aussi violemment. Non, il ne l'avait connu qu'au travers des autres. Et sans méchanceté, il préférait cela ainsi - pas certain de pouvoir l'encaisser si ça provenait de son propre coeur.
Dans son manoir, bien entouré des servants, de ceux s'occupant de lui - de son fidèle Sohan, Nitesh avait été protégé, bien entouré, toujours bercé tranquillement. Il ne connaissait rien de plus que la vie dans laquelle il avait évolué; épargné des difficultés du bas-peuple comme ses parents l'appelaient.

Mais lui, lui voulait connaître;
Tout connaître - et aider, tendre la main comme il le faisait présentement en fermant derrière eux la porte du cabinet, sans jeter le moindre regard au surveillant.
« Pour le moment, oui, Murphy, je t'assure, tout ira bien. » Il s'était approché du bureau, lui avait fait signe pour qu'elle prenne place sur la chaise. Si elle souhaitait demeurer debout, il n'y aurait aucun problème; mais il fallait qu'elle sache avoir le choix.

« Je suis Nitesh Acharya, et non, je ne suis pas encore psychologue » - ou psychiatre, parce qu'il ne savait pas exactement vers où il voulait se diriger - « Je suis son assistant. Tu veux bien me dire ce qu'il s'est passé ? »

Il avait toujours ce sourire doux. Toujours cette douceur dans sa voix, dans ses gestes - dans tout ce qu'il faisait alors qu'il n'était pas trop loin d'elle. Il se demandait ce qui s'était passé et même avant qu'elle ne dise quoi que ce soit, il essayait de savoir comment il pourrait l'aider. Comment il pourrait apaiser les tensions, apaiser son coeur tourmenté - comment il pourrait faire en sorte qu'un sourire sincère apparaisse sur son visage.

Il était comme ça, Nitesh. Il s'inquiétait pour les autres - toujours, encore et toujours; s'inquiéter et essayer de faire en sorte que leur quotidien soit un peu plus doux, un peu moins fade. Essayer de les aider même quand ceux-ci refusaient d'être aidés, parce que pour lui, ce n'était pas acceptable de baisser les bras. Alors parfois, parfois, il se brûlait un peu les ailes au passage, mais c'était pour la bonne cause, alors ça ne le dérangeait jamais.

Ça ne le dérangeait pas - quand son coeur battait si fort qu'il semblait chercher à s'évader de sa cage thoracique par des moyens barbares; quand des souvenirs flous de nuits perturbées restaient collées à son palais. Ça ne le dérangeait pas de craindre la nuit comme un arachnophobe craignait les araignées.
Tant et aussi longtemps que Nitesh pouvait être utile, pouvait aider et apaiser le coeur des autres, il pouvait tout supporter. Il en était persuadé. Il pouvait tout supporter tant qu'il réussissait son but.

« J'aimerais t'aider. »