la nuit est tombée sur la ville et si on lève la tête, on y voit les étoiles qui embrasent le ciel, qui l'embrassent et le rendent plus beau alors Selji dans son élan, elle s'arrête et lève le bout de son nez et admire le spectacle, les doigts serrant son appareil photo et d'un  coup
c'est la nostalgie qui la frappe comme un poignard dans le fond de son cœur, une once de tristesse qui lui traverse la gorge donnant un goût amer à la salive qu'elle tente de déglutir

  les nuits fraîches chez elle lui manque être libre comme l'air auprès de sa maman c'est peut-être le seul regret qu'aujourd'hui elle éprouve et que la Norvégienne essaie de laisser pourrir au fond de ses entrailles
parce que les regrets ça sert à rien, ils sont là et ils seront toujours là -autant alors les oublier et les laisser croupir  
et finalement c'est sa proie qui l'aguiche à nouveau, la tête qui s'abaisse pour oublier le spectacle au dessus de sa caboche, elle fonce et s'arrête derrière le mur d'une ruelle, elle regarde, lève son appareil et photographie sa cible : Lee, encore en dehors de l'école à des heures tardives et elle ne comprend pas son mode de vie
 mais la tolérance c'est ce qu'elle sait le mieux faire, Selji, alors elle n'en dit rien mais parfois c'est plus fort qu'elle, elle doit rappeler à son ami qu'il est bête d'agir comme ça, de se pourrir de pas vouloir s'en sortir

  Selji et Lee c'est un peu la lune et le soleil selon elle, deux êtres différents un peu complémentaires parce qu'au fond Selji, elle a beau repousser les autres à clamer qu'elle s'en moque
Lee il est là et ça fait du bien

Quel abruti.

des mots qu'elle soupire avec mépris, Selji elle s'approche toujours aussi discrètement -enfin c'est ce qu'elle croit, mais s'abaisser au milieu de la foule, sauter par dessus les bancs ou bousculer les autres c'est tout, sauf de la discrétion !
et là c'est le coup de grâce qui s'offre à elle : sa chute au milieu d'un groupe d'adolescents -elle se relève, réclame qu'elle n'a pas besoin d'aide malgré ses genoux écorchés et puis c'est avec engouement qu'elle continue son activité : suivre Lee
alors l'escapade continue pour Selji et elle s'adosse contre le mur dans une rue, regarde les quelques photos qu'elle a prise un peu ailleurs, jusqu'à complètement dévier sur les vieilles photos de certains camarades, d'elle, de Lee
d'un peu tout le monde finalement des gens à qui elle ne parle plus à qui elle parle parfois ou qu'elle bouscule
une grande partie des inconnus

puis Selji se redresse, tire sur son jogging pour l'ajuster et se penche sur le côté pour voir par où Lee va, mais impossible de le voir parce qu'il a disparu de son champ de vision !
et c'est avec panique que la jeune fille s'extirpe de sa cachette et regarde partout, s'avance vers le milieu du trottoir -impossible, il était juste là ! et merde !
   sans délicatesse Selji elle frappe dans la poubelle du bout de sa sandale -tant pis si elle se fait mal, maintenant, elle va devoir retourner à l'école toute seule !
alors par dépit Selji elle soupire, ronchonne et éteint son appareil photo' qu'elle laisse pendre contre sa poitrine puis elle essaie de scruter ce que font les gens -sortir la nuit c'est pas son truc elle elle reste dans sa chambre à lire des livres sur la mythologie, des contes ou encore à prendre des photos dans le couloir
être à l'extérieur après son heure de dormir c'est bizarre -mais de ce qu'elle en voit ce n'est pas désagréable, c'est même chouette de voir autant de gens célébrer ensembles de sentir la brise fouetter ses joues

Enfoiré de Lee. J'vais aller jeter son matelas dehors tient...

toujours et encore Selji grommelle et ajuste son gilet avant de sortir son portable, prête à envoyer des messages à Lee pour déverser sa colère sur le moment -complètement improbable qu'il se soit évaporer de la sorte ! elle n'y croit toujours pas..

le silence et seulement le cliquettement de ses ongles sur le verre de son écran
et puis un sursaut sur un souffle avalé, coupé
mais ce n'est que Lee qui l'attrape pour la tourner vers lui et se sont ses lèvres qu'elle pince machinalement avec ses incisives

Tu m'as fait peur abruti.. Faut pas surprendre les gens comme ça !

le ton qui s'élève et les plis de son visage qui se froncent, Selji s'agace mais lorsque Lee dépose son doigts sous son menton, ses sourcils se haussent et ce sont ses yeux qui s'implantent dans les siens
de vagues souvenirs qui te remontent dans la gorge et elle déglutit
 c'est dérangeant sans qu'elle ne sache vraiment pourquoi alors Selji elle soulève ses prunelles claires vers le ciel noir et avec sa main, englobe celle de Lee pour lui retirer son emprise sur son menton

Ils vont très bien mes genoux. Et toi pourquoi tu sors encore ? Tu ferais mieux de te concentrer un peu.

ses yeux s'abaissent vers les siens à nouveau -Selji elle est sérieuse, elle se répète souvent mais sortir comme ça la nuit, c'est dangereux, c'est pas sain
alors avec du courage -parce que mine de rien, devoir toucher quelqu'un ça lui demande beaucoup
ses phalanges viennent entourer les joues de Lee et les serrent puis tout sourire, lui secoue la tête en penchant la sienne au rythme de ses mouvements

Je veux bien un grand chocolat cependant. Tu devais voir qui encore ?

remise en marche, Selji prend les devants et cherche le fameux café des yeux -pour se repérer Selji n'est pas la meilleure, elle vient peu en ville et a toujours du mal à s'y retrouver malgré les années, c'est drôlement embêtant alors pour palier à ce problème
elle se sert en général de son téléphone mais pour ce soir, il y a Lee ! ce sera son gps personnnel
au bout de quelques pas la jeune fille s'arrête pour attendre Lee et pensivement
Selji regarde le ciel

le ciel est beau ici
mais le ciel chez elle est infiniment plus beau
plus merveilleux
plus incroyable
avec ses ondes boréales qui viennent le casser en deux
le fissurer pour en faire jaillir ses étincelles

Selji souffle du nez et abaisse le visage pour voir Lee
parfois elle se demande ce que les gens pensent
 ce qu'ils se disent ce qu'ils ressentent
Selji elle cerne mal ces choses là même lorsqu'on les lui fourre sous le nez
elle ignore et s'étale sur autre chose
s'enfonce dans sa propre misère

et puis elle ouvre la bouche en arrangeant son gilet pour le fermer jusque son nez

Tu penses que je peux ramener Framboise ?

un air sérieux, impassible lorsqu'elle observe son ami
Selji elle est sérieuse -le mal des montagnes, du pays commencent à lui faire chauffer le cerveau
alors pourquoi ne pas avoir sa chèvre ici !
faire son propre fromage et la promener en laisse parmi ses camarades
une sublime idée !

toujours un peu ailleurs toujours un peu à rêvasser les yeux qui se perdent dans les tréfonds de l'horizon c'est ses mains qui viennent serrer la veste que Lee dépose sur son dos et elle le regarde brièvement avant de détourner les yeux vers le grand café
chez elle c'est plus calme c'est comme une osmose entre elle et le grand froid
un lien indestructible entre elle et sa mère quelque chose de bien trop solide trop puissant
impossible à ronger impossible à briser
et pourtant
  pourtant tout de suite Selji elle a l'impression que tout va s'affaisser dégringoler se casser la figure et que dans tout ça
elle n'est que spectatrice de son propre spectacle    un spectacle qui ne lui appartient pas un spectacle   où elle a fini en troisième plan

   parce qu'elle ravale chaque ressentiments chaque émotions trop superflues trop redoutables
des choses qu'elle déteste et qu'elle ne veut pas dire Selji elle parle beaucoup mais ce n'est jamais d'elle c'est toujours des autres
 mais parfois elle souhaiterait pouvoir cracher au visage de Lee ce qu'elle pense de tout ça
ce qu'elle pense des autres ce qui lui travaille le cerveau les choses qui retournent ses organes et écrasent sa poitrine
mais Selji elle se contentera de simplement râler grogner et pester
 puis elle lui sourit et tournoie sur elle-même

Encore une fille j'imagine. Ou un mec...Je suis pas homophobe hein ! C'est la ou le  combien ? T'as une liste ? Y a des gens qui tiennent des listes mais c'est louche je t'avoue.

un hochement de tête et Selji s'enfonce dans le café puis s'arrête derrière le petit groupe qui commande et elle regarde Lee, un sourcil arqué
il n'a pas tord Lee, Framboise elle va s'ennuyer ici sans ses copines sans ses gros sabots dans la neige et le bec dans l'herbe... alors elle râle un peu et laisse sa tête tomber vers l'arrière s'avançant avec Lee
la même chose que d'habitude -un chocolat brûlant qu'elle avalera certainement d'une traite et dont elle finira par se plaindre "il a pas de goût j'ai pas profité !" et puis la même proposition que d'habitude
dormir dans le même lit un truc devenu banal maintenant
depuis des années qu'ils partagent souvent la même couchette et Selji qui se penche sur lui la nuit et qui parle de tout et rien
qui parle sûrement trop mais c'est comme si elle était à la maison
et ça fait du bien, de sentir autre chose que le froid
alors Selji lui attrape la main et la serre fermement en souriant

Ah ouai ? C'est quoi ? C'est Framboise ? Ou un sosie de Framboise ? Genre un chien déguisé en mouton ? Je suis pas très chien Lee.

la poitrine qui se bombe et la tête qui remue dans tous les sens -pas de chien ! puis c'est Lee qu'elle tire vers une table près d'une fenêtre et qu'elle lâche pour s'installer, à moitié avachie les jambes qui passent entre celles de son ami
les yeux qui parcourent la salle et son étage
Selji hésite un instant et lorsqu'elle regarde à l'extérieur elle inspire lentement le plus d'air qu'elle peut puis elle l'expire tout aussi lentement
s'empare du chocolat chaud lorsqu'il arrive et le serre vivement entre ses doigts
toujours aussi ailleurs toujours aussi perdue
Selji hésite encore et les dents qui pincent ses lèvres frénétiquement
elle lève finalement la tête vers Lee

J'ai envie de rentrer chez moi. J'ai l'impression d'étouffer ici.

l'estomac qui se retourne et les yeux qui s'abaissent vers la boisson, Selji recule un peu plus au fond de son siège et boit une gorgée de son chocolat
elle n'a plus très soif tout à coup
Selji elle veut rentrer chez elle ça fait si longtemps qu'elle n'a pas sentit l'étreinte des montagnes les embrassades des vents frais

... Je me plains pas hein. Juste, me tarde de voir Framboise quoi.

dédramatiser la chose, Selji lève les yeux vers Lee et sourit légèrement -Selji elle ne montre que rarement ce côté d'elle, un côté trop faible, trop mielleux, trop embêtant, trop dérangeant
parce qu'on l'a pas élevé comme ça et pourtant
ça devient pesant de ravaler toutes ses choses

les phalanges qui enveloppent l'entièreté de sa tasse blache, Selji la serre un peu -pas de trop, elle brise trop souvent des petits objets fragiles par inadvertance et ça inclut très souvent les verres
puis écoute attentivement ce que lui dit Lee pour la rassurer mais les mots ont du mal à passer
ils ne font que traverser les doutes de Selji et finalement, elle engloutit son chocolat encore brûlant d'une traite et souffle
l'impression que sa trachée est en feu et que ses organes sont en train de fondre et enfin
c'est la main de Lee qui vient lui caresser la tête
 et lorsqu'il recule pour se remettre correctement sur sa chaise, Selji grommelle un peu et se penche à son tour, les bras croisés sur la table

Tu me prends vraiment pour un chien... Mais pourquoi pas... Oublie pas tes trucs chauffants. Parce que deux semaines dans le froid tu vas finir congelé et ce sera toi le kébab, pas framboise.

un grand sourire taquin aux lèvres, Selji finit par se lever pour s'installer auprès de lui
Selji ne comprend pas comment il peut dormir avec des trucs pareils : la nuit quand elle est avec lui c'est comme si l'entièreté de son être se décomposer tant elle a chaud et pourtant
ça ne l'empêche pas de rester là
à essayer de grapiller le plus de place possible, à s'endormir sur Lee tant elle parle jusqu'à épuisement ou sur la couette au fond du lit parce que la chaleur devient trop étouffante
toutes les possibilités sont possibles -même le sol parce que parfois Selji elle remue tellement qu'en plus de frapper un camarade qui l'accueille avec bienveillance, elle finit par tomber : et ça ne la réveille pas le moins du monde
puis sans un mot de plus et avec délicatesse c'est l'appareil photo que la Norvégienne fourre entre les grandes mains de Lee et elle attend patiemment qu'il regarde ses nouvelles photos
elles n'ont rien d'extraordinaire parce qu'elles sont prises à la volée
 puis son regard se porte sur le visage d'un Lee qui a l'air plus posé qu'à l'accoutumé, plus calme, plus agréable
et parfois ça fait du bien
   du silence et une accalmie comme ça
une atmosphère plus détendue moins électrique

  un visage qu'elle fixe avant de regarder devant elle, de fourrer son visage dans le creux de ses bras, balançant ses jambes sur le sol
parfois Selji elle se sent seule même quand Lee il est là
parce qu'il comprend pas quand bien même il veut bien le faire croire
       
       il comprend pas à quel point les émotions négatives qu'elle accumule commencent à la ronger
à la rogner jusqu'aux os
  mais tout ça finira par sortir
d'une façon ou d'une autre


et c'est un bruit qui lui fait relever la tête, des gens bruyants qui pénètrent le café -brève trêve symphonique pour laissez place au brouhaha incessant des gens un peu trop biens dans leur soirée
alors Selji se dresse de sa petite longueur et le dos appuyé contre son dossier, elle regarde Lee et lui tape doucement la cheville avec sa sandale

Si je dors avec toi prête moi un débardeur et un caleçon. J'ai pas envie de passer par ma chambre...

Selji remonte ses manches parce qu'elle commence à avoir chaud ici-les chauffages et le surplus de monde tout ça commence à être embêtant
 puis ses yeux s'accrochent aux cicatrices sur ses mains, des trucs pas jolis dont elle a un peu honte et qu'elle cache en général

Tu penses que je devrais les couper ?

Selji tourne sur sa chaise et touche ses couettes -pas très bien attachées alors elle les relâche et secoue la tête
laissant tomber en cascade la chevelure qui s'abat jusqu'au haut de ses reins