20 février 2021

C’était leur rendez-vous, leur moment. Ce court instant où la terre s’arrêtait, le monde se figeait et ils se retrouvaient tous les deux. Son frère et, elle-même, Béatrice. Encore aujourd’hui c’était ce qu’ils faisaient, malgré la distance, malgré ces heures de décalage, ils leur semblaient important de parler, de discuter et non seulement de s’écrire. Parfois les silences en disaient beaucoup plus que tous les mots qui pouvaient être écrit. Du moins, c’était parfois ce que Béa ressentait. À l’écrit son frère semblait si loin, si froid et entendre sa douce voix chaleureuse avait quelque chose de profondément rassurant, comme s’il était à côté d’elle et qu’il lui disait de doux mots à l’oreille. Même si, en réalité, cette sensation était uniquement accentuée parce qu’elle avait des écouteurs lorsqu’elle lui parlait.

Marchant ainsi dans le parc, Béatrice c’était assise à un banc et discutait doucement avec son grand frère. Ils ne se disaient pas grand-chose, il se plaignait d’avoir devoir faire, pour la énième fois, le « taxi driver » pour leur mère, alors qu’ils savaient bien, tous les deux, qu’il appréciait tout de même prendre soin d’elle. Il lui racontait comment ça allait au travail, comment un tel ne savait pas y faire alors que l’autre, lui donnait l’impression de l’exploiter tant qu’il lui donnait de trop nombreuses tâches à faire. L’écoutant déblatérer, Béatrice regardait le ciel bleu où les nuages dansaient paresseusement. Elle y voyait des formes que, probablement, seulement elle pouvait les apercevoir. À ses lèvres ses lèvres s’étiraient lentement, alors que son frère s’emportait et qu’elle tentait de le rassurer, de le réconforter. S’il y avait bien une chose qui ne changerait pas, c’était bien lui.

Une bouffée d’émotion envahi son cœur, mais Béatrice fit bien attention à la calmer. Elle ne voulait pas que son frère sente que ça n’allait pas, qu’il lui manquait, encore et toujours, comme à chaque fois qu’ils se parlaient. Elle prit une grande inspiration et détourna la tête, apercevant une silhouette au loin, mais la demoiselle ne pouvait pas dire ce qu’il faisait.

Pendant quelques minutes, Béatrice continua de lui parler, jusqu’à ce moment où il dut raccrocher, lui disant qu’il avait une urgence. Comme à son habitude, il lui dit de faire attention à elle et comme à son habitude, elle lui répondit : « Oui, comme toujours… » dans tous les cas, elle voulait le rassurer et qu’il pense qu’elle va bien. La séparation était encore douloureuse, tout comme une rupture amoureuse et petit à petit, elle se faisait à l’idée qu’elle ne le verrait plus aussi souvent.  

Ayant besoin de souffler, elle se leva. La silhouette attirait toujours l’attention de l’étudiante. Qu’est-ce que cette personne pouvait-elle bien faire ? Curieuse, Béatrice chercha à s’approcher doucement, lentement, quelque peu discrètement, bien que la distance soit encore bonne entre eux deux. Béatrice faisait mine de le regarder de temps à autre, mais sans que cela soit trop évident non plus. Elle mourrait de honte si cette personne la remarquait. La demoiselle sursauta légèrement lorsque la silhouette sembla tomber.

- Mais… !

Les yeux de Béatrice devinrent tous grands. Immédiatement inquiète, elle ne prit pas de temps pour s’approcher plus rapidement de la personne. Si tout à l’heure elle voulait être subtile, là, elle n’y pensait plus du tout et grimpa la pente fort rapidement.  

Arrivé en haut, elle remarqua du matériel de peinture et une toile, à laquelle elle ne prêta pas attention. Ce qui l’inquiétait encore plus, c’était le blond étendu sur le sol. Elle n’était pas certaine s’il siestait ou, s’il avait fait un malaise ? Stressée, Béatrice ne perdit pas de temps pour le secouer légèrement. Puis, n’ayant pas de réponse, elle continuant, ajoutant d’une petite voix un peu plus aiguë qu’à son habitude :

- Vous… Vous allez-tu bien ?

La demoiselle se mit à secouer davantage celui qui semblait être un étudiant, fort inquiète. Allait-il bien ? Au moins, il respirait… C’était déjà cela, non ? Bien entendu, il y avait personne aux alentours ! Qu’allait-elle faire ? Il avait peut-être fait un malaise ? Béatrice se mit à se mordre la lèvre inférieure, son cœur battant de plus en plus fort, bien serré dans sa poitrine. En aucun cas, elle ne pouvait se permettre de partir sans qu’elle se soit assurée qu’il se portât bien.  

Le réveil de l’homme fut brutal, non seulement pour lui, mais également pour Béatrice qui se tenait, malheureusement, juste au-dessus de lui. Leurs têtes étaient tout simplement entrées en collision, la demoiselle n’avait absolument rien vu venir. Béatrice se trouvait particulièrement bête de s’être penchée en sa direction de cette façon. Maintenant, elle avait mal. Cette collision n’avait pas été des plus douces, bien au contraire. Dû à la surprise, mais également à la douleur, la demoiselle porta immédiatement la main à son front, non sans lâcher également une exclamation de surprise. Pire encore, ce mouvement la fit basculer, et Béatrice chuta vers l’arrière, finissant par s’asseoir à son tour sur le sol. Son cœur se mit à battre un peu plus rapidement lorsqu’elle sentit ses fesses contre le sol. Honteuse par sa maladresse et ses gestes, la surprise et son mal de front firent qu’elle avait maintenant les larmes aux yeux. Elle se frotta légèrement le front alors qu’on lui demandait comment elle allait.

- Ça va aller…

Au moment actuel, elle n’était pas du tout certaine qu’elle se portait bien. Cependant, elle était trop honteuse pour dire quoi que ce soit. Elle ne voudrait pas qu’on la juge parce qu’elle était tombée au sol. Encore une fois, Béatrice se frotta le front, cherchant à cacher les larmes qui perlaient au coin de ses yeux. Toujours soucieuse qu’il soit sur le sol, Béatrice ajouta d’une voix hésitante :

- Vous… ne devriez pas vous allonger sur le sol… Vous allez attraper froid, dit-elle de sa petite voix, toujours assise sur la surface gazonnée.

Embarrassée par ses propres propos, Béatrice s’éloigna légèrement de l’homme, les joues un peu rouges par tout ce qui vient de se passer. Elle se trouvait particulièrement bête de se soucier de cet homme qui était toujours au sol. Le sol devait être froid et il serait facile pour lui de tomber malade. Un peu confuse et particulièrement timide tout à coup, la blonde passa l’une de ces mèches de cheveux derrière son oreille. Elle se demandait si elle devait, encore une fois, demander au jeune homme s’il se portait bien. Il était réveillé, c’était déjà bien, il parlait même, ce qui était encore mieux. Du coup, cela voulait bien dire qu’il se portait bien ?

Béatrice déprimait légèrement, ne sachant quoi lui dire d’autre. Sa timidité la freinait dans ses faits et gestes. La demoiselle n’osait pas regarder tout ce qui entourait l’homme, les pinceaux, les tubes et la toile. Sachant qu’il y avait toutes ces pièces, il lui rappelait ces peintres impressionnistes. Eux qui aimaient tant peindre en pleine nature, dont Claude Monet.

Les pensées de Béatrice avaient déjà bifurqué sur les théories historiques et artistiques qui étaient adjacentes à ce mouvement. Était-elle devant un artiste ? Béatrice tenta qu’un rapide coup d’œil en direction de la toile, avant de détourner ledit regard et le reporter vers le beau au bois dormant.

Il s’excusa et Béatrice hocha doucement de la tête pour lui pardonner tout ce qui venait de se passer. De toute façon, c'était également de sa faute, elle n'aurait pas du se pencher comme ça vers lui. Après avoir rapidement passer ses manches sur ses yeux, elle allait mieux. La douleur s’estompait déjà, ce qui était bon signe. Elle espérait seulement qu’ils n’auraient pas tous les deux de grosses bosses sur le front, sinon ce serait gênant et les gens pourraient penser d’étranges choses.

Cela prit un moment au cerveau de Béatrice avant de comprendre ce qu’elle venait voir. Si le coup d’œil avait été bref, probablement trop bref, son cerveau avait tout de même enregistré une information importante. Il y avait quelqu’un sur le tableau.  

Une fille.
Blonde ?

L’exclamation du garçon, enfin, ce début d’exclamation… « Mais, vous êtes… » Béatrice chercha à compléter la phrase. Toutes les finalités auxquelles elle pensait étaient tellement absurde « vous êtes une fille », c’était un fait. « Vous êtes blonde ». Il y a même une « vous êtes jolie » qui était passée par la tête de Béatrice, mais bien rapidement, la blonde la chassa, c’était la moins plausible des trois de toute façon. Il devait y avoir des filles tellement plus jolies qu’elle, ici, il y avait aucun doute à ce sujet.  

Sur le coup, elle reporta de nouveau son regard vers la toile.

- Ah.

Cette exclamation c’était de nouveau échappé. « Vous êtes sur ma toile », c’était probablement la réponse au début de phrase du garçon. Il l’avait peinte ! Maintenant, Béatrice s’interrogeait. Pourquoi avait-il pris la peine de la peindre, elle ? Il devait y avoir des sujets beaucoup plus intéressant… Béatrice avait peu d’exemple, mais elle était certaine que ses colocataires avaient quelque chose de beaucoup plus intéressantes qu’elle. Gênée de voir ce tableau, Béatrice préféra fixer le sol, bien que celui-ci ne soit pas d’une grande aide.  

Il parla de quelque chose de trop statique. Béatrice n’y comprenait rien à vrai dire. Il eut un mouvement, qui intrigua le regarde Béatrice. Le voilà debout qui regardait son œuvre. Puis, il se remit à parler. Des choses que Béatrice comprenait, sans réellement comprendre. Comment pouvait-elle donner un coup de main à cet artiste, qui avait, somme tout, beaucoup de talent, elle ? Elle qui s’en sortait tout simplement, mais qui ne dessinait pas par plaisir. Son intérêt était plutôt dans les écrits. Sur le coup, elle resta silencieuse, cherchant quelque chose qui pourrait l’aider. Elle se creusa même la tête à la recherche d’un écrit d’un artiste qui pourrait l’aider…

Mais, rien, rien ne lui venait en tête. La demoiselle sentait que sa réponse allait grandement décevoir le garçon. Elle devait admettre sa défait et surtout le fait qu’elle ne lui serait d’aucune aide.

- Je… Je comprends ce que vous voulez dire… Mais je ne suis pas du tout une artiste… comme vous. Je ne sais que faire des nuages « poches », dit-elle en dessinant avec son doigt, un simple nuage dans les airs, cherchant à lui faire comprendre qu’elle ne faisait que des dessins comme les enfants.

Honteuse, Béatrice ignorait quoi rajouter. Elle se sentait mal de ne pas pouvoir parvenir à lui trouver la solution qu’il cherchait tant. Elle eut d’ailleurs une petite moue boudeuse, pensant à tout cela.

- J’aurais bien aimé vous aider, avoua-t-elle à voix basse.  

Elle avait envie de lui poser des questions sur sa toile… Et surtout pourquoi il l’avait choisie comme sujet, si cela lui avait pris beaucoup de temps avant d’arriver à cet état de création. Est-ce qu’il avait pris des cours, ou en prenait encore présentement, ou il était plutôt du genre autodidacte ? Béatrice prit une grande inspiration, cherchant à chasser toutes ses interrogations. Le bousculer ainsi n’était pas du tout poli.  

Soudainement, elle eut l’impression de se trouver devant Bob Ross. Elle le connaissait de nom pour avoir regardé quelques vidéos de lui pour tenter de se calmer, ce qui, bizarrement, était somme tout assez efficace… Cela devait avoir quelque chose avec son timbre de voix. Peut-être que le garçon devrait regarder des vidéos de lui et ça pourrait l’aider ?

L’enthousiasme de l’artiste était contagieux et même si le mouvement de Béatrice avait été enfantin, que ses paroles ne semblaient pas servir à grand-chose, mise à part de s’excuser d’être particulièrement nulle, il semblerait que la magie ait opéré. Sans qu’elle ne comprenne exactement ce qu’elle avait fait d’intéressant ou ce qu’elle avait dit était pertinent, le voilà qu’il lui demandait de refaire son geste, beaucoup plus enjouée qu’auparavant. Voilà le phénix qui revivait de ses cendres (et de sa dépression). Il semblait prêt à dominer le monde à coup de pinceau et de taches sur le tableau.

- Euh oui, voilà…

Béatrice refit le geste, mimant de nouveau ces nuages enfantins qu’elle réussissait à reproduire avec un crayon. Son geste, dans l’empressement dû à l’excitation du jeune homme était maladroit, mais l’essentiel y était toujours. La bonde n’était pas du tout certaine qu’il la regardait faire, mais cela semblait peu important. Il avait repris son pinceau, sa palette et le voilà qu’il avait repris cette image de ces peintres qui dessinait à l’extérieur. Elle vint même à se demander s’il était aussi torturé que van Gogh, ou s’il était plutôt du genre extravagant comme Dali ou encore Andy Warhol, bien que le genre artistique de Warhol soit bien loin de ce que le blond faisait actuellement.

Bien souvent, les artistes avaient excentricité, c’était peut-être le cas de ce peintre. Faisait-il également du dessin ou bien s’il se contentait seulement de la peinture. Est-ce que sa peinture était axée sur la ligne ou plutôt la couleur ? Le débat avait longtemps fait rage, il y a de longues années, cependant, la question pouvait tout de même se poser. Il ressemblait un peu à Gustave Courbet, mais sans peindre dans un atelier. Soudainement, Béatrice se demandait s’il y avait un musée d’art, ici, non pas dans l’école, mais dans la ville, sur cet… Endroit particulièrement perdu. Il y avait très peu de chance qu’elle puisse voir des œuvres des grands maîtres et, soudainement, son « chez elle » lui semblait fort lointain et peu accessible. Elle n’aurait plus la chance de flâner dans les divers étages de la collection d’art québécois et canadien du Musée des beaux-arts de Montréal ou encore s’asseoir devant les peintures françaises qu’on y trouvait. Afin de chasser toute cette mélancolie qui semblât soudainement l’habiter, Béatrice observa le jeune homme et ses gestes, mais également la peinture qu’il réalisait, bien qu’il en cachât une certaine partie.

Après un petit moment de silence, Béatrice finit par le rompre.

- Est-ce que vous… peignez souvent à l’extérieur ? Ou vous avez un atelier ? Quoi que… Vous ne devez pas vraiment avoir d’atelier si ce n’est que votre chambre… Enfin, ça c’est si vous étudiez ici forcément… Mais si vous n’êtes pas un étudiant et que vous peignez ici, je crois qu’il y a un problème…

Béatrice se sentait profondément gênée de s’être laissée emportée par ses questions et tout son raisonnement qui cherchait à ne pas froisser l’artiste. Elle se releva enfin, se disant que ses bêtises étaient toujours de plus en plus grosses. Elle était certaine que son grand frère ne serait pas fier d’elle s’il l’entendait en ce moment. Quoi qu’il serait peut-être tenté de se moquer – gentiment, bien sûr – la félicitant un minimum pour tous ses efforts de sociabilisation.  Dans tous les cas, il restait que Béatrice se trouvait encore une fois idiote et peinait à avoir confiance en elle lorsque venait le temps de faire la conversation.  Pour tenter de détourner toutes ces bêtises, la demoiselle lança une nouvelle question. Cette fois-ci c’était surtout sa curiosité qui l’avait emporté.

- Est-ce que vous… vous inspirez de certains artistes ?

Réalisant qu’il devait très certainement se concentrer pour peindre ses nuages, tel un Bob Ross enflammé, Béatrice recula de quelques pas, ne pouvant s’empêcher de lâcher, pour elle-même :

- J’dois vraiment arrêter de le déranger… Il va penser que je veux le déconcentrer…

Il peignait. Cette inspiration était belle à voir, inspirante même pour une demoiselle comme Béatrice qui n’avait aucun talent. Peut-être avait-elle un autre talent, mais la peinture ou le dessin était loin d’être sa tasse de thé ou de café. Béatrice regarda la toile de l’artiste, alors qu’il faisait toujours ses nuages. Sa toile était bien réussie. D’un autre côté, elle se questionna ; qui était-elle pour dire que cette toile était jolie ou non. Elle secoua la tête. Personne, mais elle pouvait tout de même dire qu’elle la trouvait fort jolie. Béatrice avait l’impression de rentrer, momentanément dans le monde de l’artiste et elle se demandait s’il percevait le monde différemment. La demoiselle était gênée qu’il réponde à ses questions. Clairement, elle le gênait, elle devait être qu’un poids pour lui. Il restait assez gentil pour ne pas l’envoyer promener parce qu’elle l’embêtait alors qu’il cherchait à rester concentré. Pour cela, Béatrice lui en était largement reconnaissante.

Il avait un petit air mignon, alors qu’il approuva sa création.  Il semblait satisfait maintenant et cela rassurait Béatrice. Lentement, il se tourna vers elle et, bien malgré elle, elle rougit jusqu’aux oreilles. Elle ne s’était pas attendue à ce qu’il lui demande « pourquoi cette question ? ». Il n’y avait pas vraiment de réponse. Enfin, oui, il lui faisait penser à quelqu’un, mais ce n’était pas une personne en particulier, mais plusieurs personnes à vrai dire. Un mouvement artistique même. Un regroupement d’artiste… Et d’un autre côté, ce n’était pas tout à fait le cas. C’était assez difficile à exprimer. C’était avant tout un ressenti, une impression.

- Noui ?

Quelque peu embarrassée par sa réponse spontanée, Béatrice rougit légèrement. Pour une énième fois, elle se trouvait bête de ne pas donner une réponse plus intelligente à l’artiste. Probablement il trouverait qu’elle avait peu de vocabulaire, quelque chose comme cela. Elle leva les yeux au ciel, poussant un court soupir, comme si elle cherchait comment formuler toutes les pensées qui s’entremêlaient dans sa tête. Ses yeux suivirent le rythme des nuages qui dansaient dans le ciel, ne regardant pas trop l’œuvre du blond. Elle mâchouilla un moment l’intérieur de sa joue, index posé sur son menton, avant de regarder le jeune homme de nouveau, avec un éclat d’intérêt et d’enthousiasme dans les yeux :

- Je veux dire… Ce sont plusieurs personnes. Vous me faites penser aux impressionnistes. Je ne sais pas trop peindre, mais je suis plutôt intéressée par les artistes… Ils appréciaient peindre à l’extérieur et représenter la nature selon ce qu’ils voient, mais sans que ce soit la réalité ou une photo… Attendez…

Béatrice chercha rapidement son téléphone dans ses poches, embêtée, elle tiqua, alors qu’elle ne le trouvait pas. Où l’avait-elle bien mis ! Elle finit par le retrouver dans la poche de sa robe, en poussant un soupir de soulagement. Ce qu’elle pouvait être bête parfois ! Rapidement, elle tapota sur son téléphone, à la recherche d’une œuvre et présenta l’écran au jeune homme.

- Voilà, comme ça. C’est Impression, soleil levant de Claude Monet. C’est l’œuvre qui a donné le nom au mouvement artistique. Enfin, je suis un peu bête, probablement que vous connaissez déjà ça, si vous êtes un artiste, il y a de fortes chances que vous connaissiez déjà.

Doucement, la demoiselle abaissa son téléphone, puis le rangea dans la poche de son manteau. Ses joues étaient rouges, non pas à cause de la température, mais plutôt à cause de toute la gêne et la honte qu’elle sentait peser de plus en plus sur ses épaules. Son enthousiasme s’était éteint au moment qu’elle s’était rendue compte que c’était des informations complètement inutiles.  

- Ce n’est pas non plus exactement pareil… Ce que vous faites et les toiles des artistes impressionnistes…

Si, initialement, Béatrice était incertaine de raconter tout cela à l’artiste, elle fut surprise qu’il apprécie ces renseignements. Il avait même osé lui dire qu’elle était intéressante. Ses petites joues prirent encore une fois quelques couleurs. Il continua, disant qu’il lui arrivait à faire des œuvres similaires à celle de Monet. Les yeux de Béatrice s’écartillèrent. Il devait être sacrément doué pour arriver à de tel résultat. Et elle était encore plus impressionnée lorsqu’il lui raconta qu’il n’y connaissait pas grand-chose au final. C’était curieux. Un artiste qui ne connaissait pas ses prédécesseurs et probablement qu’il ne connaissait pas ses contemporains.

Par contre, l’étudiante ne savait pas quoi lui dire, devait-elle le rassurer ? S’excuser mille fois pour avoir sortit des trucs qu’il ne connaissait pas ou ça allait ainsi ? Sauf que la chose qui attira encore plus l’attention de la demoiselle, ce fût lorsqu’il parlât de doodle.

- Le nom ne me dit rien, je veux dire pour le doodle.

Béatrice avait beau chercher, mais rien ne lui venait en tête. Elle était bien embêtée de ne pas réussir à faire une association entre le terme et un artiste, un style artistique, tout ça quoi. Il n’y avait aucun doute possible, elle avait encore des croûtes à manger avant de connaître cela. Bien qu’intéressée par l’art, elle se demandait si s’informer sur tous les courants pourrait réellement l’aider. En fait, elle ne savait pas ce qu’elle ferait de toutes ces informations. Finalement, probablement que la flemme prendrait le dessus tôt ou tard et qu’elle aurait un désintéressement. Béatrice avait beaucoup d’interrogation et peu de réponses sur tout ça. Le garçon ouvrit de nouveau la bouche, lui proposa qu’ils passent à un autre niveau de « proximité ». Se tutoyer. C’était une façon pour se rapprocher dans un sens. Sur le coup, Béatrice opina de la tête avant d’ajouter rapidement :

- Euh, oui, oui, bien sûr, on peut se tutoyer !

C’était seulement qu’elle avait commencé à le vouvoyer lorsqu’il l’avait fait. Cependant, il avait raison, c’était vraiment bizarre alors qu’ils devaient tous deux étudier ici quoi. Bien que ce fût légitime sur le coup, maintenant elle trouvait que c’était presque déplacé. Elle aurait peut-être du tout simplement le tutoyer, ou tout simplement lui demander de le faire plutôt. Sauf qu’elle n’y avait pas pensé. Son grand frère lui aurait probablement conseillé de rester polie en tout temps avec tout le monde. Ainsi, vouvoyer une personne de son âge se justifiait beaucoup plus aisément… Sauf que la question du garçon la faisait quand même un peu rougir. Elle ressentait alors ce malaise qu’elle aurait dû avoir dès le début, celui de parler avec un inconnu… Qu’elle ne connaissait pas. Ce qui était fort logique. Une évidence même. Béatrice se trouvait idiote de penser à un « inconnu qu’elle ne connaissait pas ». Elle mettait le tout sur le stress, bien que ce fût, en réalité, une excuse bidon. Par la question du garçon, Béatrice se rendit compte qu’elle ignorait absolument tout ou presque de lui et inversement. La seule chose qu’ils connaissaient, c’était leur amour réciproque pour l’art. Bien que leurs visions soient complètement différentes. D’une petite voix, la demoiselle lâcha un très timide :

- Je m’appelle Béatrice… Et toi ?

Béatrice avait un peu de mal. Que pouvait-elle lui dire de plus ? Elle se trouvait assez plate. La petite tête blonde avait bien mal à poursuivre la conversation, comme si tous ces mots concernant l’art l’avaient fatigué. Bien que sa fatigue ne parût pas, il fallait tout de même dire que Béatrice avait parler l’équivalent de ce qu’elle pouvait dire durant une journée complète.

Alors, il s’appelait Dorian. Un Dorian présent, mais absent. Il semblait occupé par quelque chose et Béatrice regrettait de l’avoir questionné sur son prénom. Elle avait cette impression de le déranger, comme si quelque chose le tracassait. Avait-elle dit quelque chose de mal ? Béatrice abaissa son regard, réfléchissant à ce qu’elle avait dit. Peut-être qu’il n’appréciait pas le fait qu’elle ne connaisse pas ce qu’il voulait dire par « Doodle » ? Confuse, Béatrice n’osait pas lui poser la question, ce serait beaucoup trop embarrassant après tout.

Dorian eut un mouvement qui fit relever la tête de Béatrice. Voilà qu’il avait entre les mains sa toile. Pendant un instant, Béatrice craignit qu’il ne mette ses doigts sur de la peinture encore humide. Si ça avait été le cas, probablement qu’il aurait été fort contrarié. Son sourire avait quelque chose de bizarre, comme s’il posait une question existentielle et peut-être qu’il cherchait LA BONNE réponse. Et si elle disait une bêtise ? Intérieurement, Béatrice se mit à stresser de nouveau, un peu inquiète. Décidément, son grand frère lui dirait clairement qu’elle s’en fait trop pour tout et n’importe quoi et qu’elle devait se détendre un peu. Sa timidité avait repris le dessus et elle opina d’abord de la tête en guise de réponse, puis ajouta :

- O… Oui… Je n’ai pas… osé en parler.

D’un côté, ça lui faisait grandement plaisir. Ça lui faisait plaisir qu’elle eut capter son regard pendant un moment. Et de l’autre, elle ne savait pas trop. Elle ne le méritait pas en fait. C’était cela qui l’embêtait le plus. Cet entre-deux se voyait bien dans ses yeux. Puis, en aucun cas, Béatrice oserait lui dire qu’elle se trouvait plus jolie sur la peinture de Dorian que dans la réalité. Sauf que la question qui lui brûlait les lèvres depuis si longtemps.

- Pourquoi tu m’as…

Quoi que peut-être c’était mieux de ne pas poser la question. Béatrice se faisait déjà des films, du moins, c’était l’impression qu’elle avait. De toute façon, peu importe comment elle souhaitait terminer sa phrase, elle se rendait compte qu’elle était complètement inutile. « Pourquoi tu m’as peinte ? » Dans un sens, elle trouvait la question complètement ridicule. Jamais elle ne saurait la muse d’un artiste. C’était tout à fait impensable. D’autres femmes avaient eu cet honneur, bien entendu. Comme Klimt qui avait peint Adele Bloch-Bauer… Ou encore tous ces portraits de personnages importants… Il y a tant à dire. Béatrice se sentait gênée, choyée. Les émotions s’entremêlaient, venant même à se demander si, finalement, Dorian ferait comme van Gogh et peindrait un jour une nouvelle peinture sur cette même toile. Ce serait tout de même dommage, après tout, il faisait de belles choses, selon Béatrice.

Cherchant à cacher sa gêne, quoi que ce n’était pas du tout possible compte tenu de la tête qu’elle faisait maintenant, elle se gratta la joue, puis se mit à jouer avec une mèche de cheveux.

- Enfin, ce… Ce n’est peut-être pas une bonne idée de poser cette question.

Il devait la trouver bizarre. Il y a aucun doute possible. Dans toutes ces incertitudes, c’était la seule certitude que Béatrice avait ; elle devait l’ennuyer.

Béatrice gonfla les joues, elle voyait bien que ça amusait Dorian son attitude et tout ça. Et bien malgré elle, ça lui déplaisait un peu. Sa petite tête le montrait bien, mais elle chassa le tout pour regarder l’artiste qui semblait voir double entre la Béatrice sur la toile et celle qui était devant lui. Il était mignon à regarder sa toile, l’examiner, à s’assurer que tout était beau. Et en plus de cela, il semblait être satisfait, ce qu’il avait produit.

Décidément, Dorian était de ceux qui étaient particulièrement audacieux, téméraires même. Si Béatrice c’était attendu à sa demande, elle aurait refusé, il y aurait bien longtemps. Voilà qu’il souhaitait peindre son portrait. Si Béatrice avait pris une gorgée, fort probablement qu’elle l’aurait recraché tant que la surprise était grande. Cette demande était assez inattendue ! C’était la même chose lorsqu’elle avait rencontré Selji. Elle avait bien voulu la prendre en photo dès leur première rencontre. Était-ce parce qu’on la trouvait jolie ? Ce ne devait pas être un hasard s’il était la deuxième personne à lui demander quelque chose de similaire.

Cette fois-ci, elle ne savait pas quoi répondre. Elle voyait bien que Dorian avait du talent. Elle avait du mal à dire non cette fois-ci. Ce n’était pas que Selji n’avait pas de talent non plus pour prendre des photographies. Seulement… C’était bien différent ! Bien que Béatrice eût bien du mal à verbaliser le tout. Ses yeux montraient bien son indécision et encore une fois sa gêne.  

Gêne qui s’estompa légèrement lorsque l’artiste lui dit que c’était uniquement afin de la remercier. C’était bien de savoir que ce n’était pas pour tout autre raison… Béatrice ignorait lesquelles, mais cela restait tout de même rassurant. C’est peut-être ça qui finit par la faire sourire.

- Je veux bien… Même si je n’ai pas fait grand-chose pour toi… J’espère seulement que je n’aurais pas de bleu d’ici là à cause de notre collision de tout à l’heure.

Béatrice eut un petit rire gêné, se trouvant un peu bête de la bêtise qu’elle venait de dire. La deuxième phrase était sortie spontanément de sa bouche et maintenant, elle s’en mordait la lèvre, un peu dépitée par tout ça, par son attitude et tout ça. Béatrice eut même une petite moue, s’embêtant elle-même au final, alors que lui, ça ne le dérangerait même pas quoi.

Finalement, cela ne semblait pas déranger Dorian si elle avait un bleu sur le front. Ça avait quelque chose de somme tout assez rassurant. Béatrice eut un petit sourire presque attendrit bien malgré elle pour commencer. Puis elle devint rapidement gênée, comme à son habitude.  

- Oh, d’accord… Oui bien sûr, tu pourrais bien ne pas le regarder…, dit-elle en détournant le regard.

Béatrice se trouvait bête. Bien entendu, il n’était pas obligé de dessiner le bleu qu’elle aurait sur le front, il pouvait bien la représenter sans. De nombreux artistes avaient idéalisé les portraits qu’ils avaient peint. Béatrice ne s’attendait pas à ce qu’il l’idéalise, mais peut-être que l’art de Dorian allait l’enjoliver… Du moins, enjoliver la vision qu’elle avait d’elle-même. La demoiselle finit par sourire légèrement. Les yeux de Béatrice retournèrent en direction du garçon qui s’était mis à la regarder sous toutes ses coutures. Enfin, c’était l’impression qu’elle avait.  Du coup, elle rougit de nouveau, se détournant légèrement. Elle était embarrassée d’être regardé ainsi. Est-ce que tous les artistes faisaient comme cela ? Ou certains étaient un peu plus discrets ? Probablement qu’elle ne le saurait jamais. Parce que, en aucun cas, elle poserait la question. Et il y avait peu de chance qu’elle rencontre, un de ces jours, d’autres artistes.

Un peu perdu dans ses pensées, la blonde sursauta lorsque Dorian lui demanda s’il pouvait la dessiner déjà. Puis, Béatrice se figea. Elle ne savait pas quoi répondre à Dorian. Poser ? Ici ? Maintenant ?  Son cœur se mit à battre à la chamade, se tordant légèrement au passage. Un moment de stress assez intense. Elle se sentait bien, mais pas bien non plus. C’était tellement étrange ! Le garçon ne semblait pas dire cela pour l’embêter – sinon, il était particulièrement méchant et qu’il cachait bien son jeu –, mais il semblait sincère. Ce fut ce qu’il encouragea Béatrice à répondre par l’affirmative.

- D’acc… D’accord. Je dois me…

Béatrice s’arrêta au milieu de sa phrase, ne trouvant pas comment elle pouvait la terminer sans avoir honte. Sauf que peu importe comment elle terminait sa phrase dans sa tête – et dans le peu de temps qu’elle avait – c’était inévitablement une horreur. Du coup, elle finit par ajouter :

- …Me placer comment ?

Béatrice se trouvait idiote d’agir de la sorte. C’était seulement, elle se sentait un peu mal à l’aise, mais l’exercice piquait sa curiosité. Elle devrait même se sentir choyée de se faire demander une telle chose. Probablement que son frère serait ravi ! Son grand frère qui lui dirait qu’elle ne devait pas avoir honte de sa beauté (beauté qu’il devait être le seul à voir par contre). Par réflexe, elle plaça une mèche de cheveux derrière son oreille, attendant les directives de l’artiste.  

Béatrice se plaça. Regarder le saule, elle serait bien capable de faire cela, non ? Elle posa rapidement son regard sur l’arbre en question, essayant de se calmer, relaxer, penser à rien, ou à peu de choses. Du coin de l’œil, Béatrice voyait bien Dorian esquisser, enfin elle voyait vaguement sa silhouette, mais elle n’osait pas bouger, de peur de tout faire rater. Elle se concentra sur sa respiration, voilà ce qui était une bonne idée ! Elle voyait également les feuilles s’agiter sous la très légère brise qu’il y avait.

Bien rapidement, Béatrice, calme, se mit à rêvasser. Regarder ce grand saule lui donnait, étonnement, quelques idées d’histoire comme elle aimait bien les écrire. Son esprit imaginait un nouveau monde, complètement différent de celui dans lequel ils vivaient. Comment serait un monde si certains animaux marins pouvaient vivre dans le ciel ? Comme des baleines géantes ou encore des bélugas… Penser à tout cela faisait sourire tout doucement Béatrice qui fixait toujours ce saule. Cependant, elle sursauta fortement lorsque Dorian, beaucoup plus près d’elle qu’au départ, annonça que cela devait suffire. Depuis quand était-il aussi près ? Béatrice n’aurait pas pu dire tant qu’elle avait été emportée par ses idées.

Au fond d’elle, la demoiselle espérait qu’elle pourrait regarder l’un de ces jours Dorian dessiner, créer. Enfin, plus longtemps que quelques minutes. Elle se demandait à quoi il pouvait penser lorsqu’il dessinait. Réfléchissait-il aux lignes et aux couleurs ? Ou n’avait-il pas besoin de penser à tout ça et se demandait tout simplement ce qu’il allait manger durant son prochain repas ? Dans tous les cas, peu importe à quoi il avait pensé lors de la réalisation de ces deux esquisses, ils étaient beaux.

Depuis combien de temps cela avait duré ? La blonde ne pouvait pas dire. Longtemps, mais pas si longtemps finalement. Dorian finit par lui présenter ses deux esquisses, ce qui gêna un peu Béatrice. Comment pouvait-elle choisir lequel elle préférait ?

Elle devait faire un choix. Et si elle avait pu éviter cela, elle se serait fait grandement plaisir. Elle ne se sentait pas en mesure de le faire. Après tout, c’était lui l’artiste, non ? Et elle, le modèle, elle pouvait tout de même dire quelques mots sur les coups de crayon qu’il avait fait sur son carnet.

- Je… J’aime bien tous les deux à vrai dire… Mais si je devais en choisir un, je crois que je préfère celui qui est plus rapproché…

Béatrice espérait que cela ne le froissait pas. Elle reporta son regard vers le saule, bien que cela ne soit pas du tout nécessaire. Elle se mit à jouer avec son manteau lorsqu’elle demanda spontanément :

- Dis… Lorsque tu auras fait… mon portrait… je sais que ce n’est pas tout de suite, mais… Ça te dérangerait si je prenais en photo… Pour montrer à ma famille ?