Lee ? Ça me disait vaguement quelque chose mais avec tout juste un semblant de prénom, il était difficile d'identifier quelqu'un avec qui on avait jamais discuté. Le nez posé sur les menus du jour, je ne couvrais donc pas immédiatement mes arrières. Il y avait du monde dans cette cafétéria et je ne me sentais, pour ainsi-dire pas concerné. Ce ne fut que lorsque je surpris le regard de Ramon que je compris que quelque chose ne tournait pas vraiment rond. Il regardait ailleurs, derrière ? Il avait l'air bizarre, presque comme s'il savait une chose qu'il ne me disait pas.

"Hngh !"

La surprise n'en resta pas longtemps une. Et je reconnaissais un certain piquant à la vive douleur dans ma jambe. On avait beau avoir roulé sa bosse sur les sévices physiques, elles faisaient toujours leur effet, en particulier quand ces derniers mois avaient donné la sensation d'être invulnérable. Pas le temps de tomber à genou, j'étais retenu par les cheveux et forcément, sur l'instant, à côté de l'angoisse de m'en prendre une sacrément plus violente, il y avait cette question. Dans quelle foutue ruche j'avais cogné mon pied ?

S'il l'avait voulu, Ramon serait intervenu. Mais il ne l'avait pas fait et je me retrouvais nez à nez avec… Ah oui, l'autre l'avait dit au tout début de l'agression. "Lee". Je le dévisageais avec stupeur et douleur le temps pour moi d'au moins traiter l'information. Mais vu la raclée qu'il avait l'air prêt à me mettre, c'était sans doute le Lee de la E. Forcément, j'en avais entendu parler mais je ne pensais pas le rencontrer comme ça, juste l'éviter. Alors… comment ?

J'en perdais mes mots, regardant autour de nous, cherchant quelque chose du regard qui n'était… pas de l'aide. Même si le blondinet s'agitait dans tous les sens, je n'étais pas certain qu'il puisse m'aider. Il fallait d'abord saisir la source du problème et je finissais par la saisir. Un sourire de con posé sur un visage légèrement familier. Ah… d'accord. Alors quoi ? Il était allé cafter qu'oncle Danny avait été méchant ? Chiant.

J'étais en mauvaise posture. Mais en vue du nombre de témoins, s'il devait me tuer, il ne le ferait probablement pas là. Je me raclais difficilement la gorge. La position n'était nécessairement pas des plus agréable. Par réflexe, j'étais d'ailleurs venu agripper son poignet, celui au-dessus de ma tête, le poids de mon corps pesant sur ma jambe encore indemne (pour l'instant). Mais il pouvait difficilement m'en vouloir pour ça. Je le regardais enfin, lui.

"Peut-être que tu me donnerais une chance de remarcher droit ?…"

Autant équilibrer les deux côtés ? C'était plus fort que moi. Les types violent, c'était pas mon délire. Et celui-là pas plus qu'un autre, j'étais obligé de faire un peu le malin, même si mon ton devait trahir un étourdissement. La douleur dans ma jambe n'avait après-tout pas fini de circuler. Je n'avais pas besoin de voir un nouveau coup arriver pour me rattraper d'une pirouette rapide visant à faire oublier un peu mon impertinence. Je relâchais donc son poignet, affichant mes mains, signalant l'absence d'armes.

"Enchanté … mais va falloir être un peu plus précis…"

Car si vraiment il venait à cause des types de tout à l'heure, il allait avoir du mal à rendre ça moins ridicule que cela ne l'était. Peut-être qu'en le disant à voix haute il en prendrait conscience et repartirait de son côté ? Ça valait le coup d'essayer. En attendant difficile de le quitter des yeux.

On ne me laissait absolument pas le bénéfice du doute pas vrai ? Et l'état de choc alors ? On ne pouvait pas juste envisager que la sévisse avait provoqué une réaction physique un peu comme un hoquet ? D'accord, j'étais peut-être un peu prétentieux mais pas complètement con non plus. Et dans ma tête, la remarque sonnait peut-être… plus attachante. J'avais après-tout déjà perdu quelques points de vie, comme on disait dans le jargon. Et j'avais l'intention de me faire tuer ailleurs que dans la cafétéria, même si je restais plutôt réaliste sur le fait que je mourrais probablement de toute manière de la main de quelqu'un d'autre.

Pour une première rencontre, ça ne manquait pas de punch. C'était d'ailleurs plutôt rapidement que je me retrouvait face contre sol un peu plus loin, mon épaule ayant pris la majorité du carrelage, mes bras trop occupés à venir accrocher mon estomac comme s'il y avait encore quelque chose à protéger. Une chose était sure.

Je n'étais pas certain que "s'en prendre aux E" était une bonne description de ce que j'avais fichu. Je ne faisais pas de discrimination basée sur la classe, moi. Bon d'accord, j'étais sympas avec les C mais uniquement car je n'arrêtais pas de les croiser et que de mauvais rapports auraient étés foireux au quotidien.

Le second impact, même s'il restait particulièrement douloureux, restait moins surprenant. J'avais pu le voir venir, l'agacement dans le regard de "Lee" était palpable. Et comment aurait-il réagit si j'avais plutôt répondu : "merde, c'était ta copine ?". Mieux valait en rester là. A chaque fois que le pompomboy me désignait, je me contentais de lui rendre un regard intrigué et blessé. Je ne comprenais toujours pas ce qu'il venait faire là-dedans mais il avait l'air de retarder un peu l'échéance. Peut-être était-il temps de décamper.

Ou pas, en me redressant, je finissais par m'asseoir en sentant la douleur encore présente dans ma jambe. Bon, impossible de courir dans cet état et mieux valait surveiller ce que j'allais dire puisque mon visage était maintenant facilement à portée de son pied. J'allais vraiment devoir surveiller mon langage jusqu'à ce qu'il ait eu sa dose.

"Ok…"

Difficile de faire mieux. Si je rajoutais quoi que ce soit, comme des excuses ou des explications, il m'en collerait une. Déjà que j'avais de la peine à insuffler la moindre sincérité dans ce simple mot, je devais croiser les doigts pour que ça suffise et me mordre légèrement la lèvre pour ne pas en rajouter. Nouvelle stratégie, laisser ce débile se calmer tout seul. Ou peut-être avec l'aide du blondinet.

Je ne prenais pas mal l'appellation de "cafard". Ils avaient au moins le mérite d'être résistants. Mais j'avais bien une image à préserver, ne serait-ce qu'un peu. Alors je les laissait copiner tandis que je tendais en partie ma jambe endolorie, plaçant une mes mains en retrait sur le sol, presque comme installé sur une plage.