Une pluie fine balayait l’ensemble de Moosbell et de ses alentours, nourrissant la flore verdoyante environnante. L’ensemble ? Non, en plein milieu des plaines de Moosbell, un endroit était épargné. Une coupole invisible d’une quinzaine de mètres de diamètre était à l'abri des gouttes, qui, venant s’échouer sur son sommet, glissaient le long de celle-ci formant une fine pellicule d’eau donnant au tout l'apparence d'une bulle. Et c’est au beau milieu de cette parcelle d’herbe sèche que toi, l’épicentre de ce phénomène, tu te trouvais. Flottant à peine un millimètre au-dessus du sol, ton costume noir tranchait avec l’immense étendu d’herbe verte mais se fondait dans l’immensité de la nuit. Ce dôme télékinétique qui pour beaucoup serait un exploit n’était pour toi qu’un tour de passe-passe qui t’évitait de tremper tes vêtements en attendant ton élève qui commençait à se faire prier. Si tu en croyais ton agenda, tu lui avais donné rendez-vous à 21:00 et il était 20:50, ce qui voulait dire qu’il avait déjà au moins vingt minutes de retard.
Pour passer le temps tu relisais ton deuxième carnet, celui sur lequel était décrit de fond en comble l’ensemble des membres de l’académie. Aptitudes, habitudes, relations… tout ce qui pouvait être utiles pour un éventuel futur entrainement était recensé dans ce calepin. À cause de ta mémoire défaillante, tu étais obligé de tout poser à l’écrit et à chaque relecture tu redécouvrais des informations que tu avais toi-même écrits.
A côté de toi se trouvait un arbre dont une branche ployée soutenait une lourde malle contenant l’ensemble de ce qui serait nécessaire à l’entrainement de l’hydrokinésiste et même si tu ne te rappelais pas forcément de tout ce qu’elle contenait tu faisais assez confiance à ta prévoyance pour savoir que tu trouverais dedans ce dont tu aurais besoin en temps voulu.
Le temps passant tu aperçus au loin, brouillé par l’hémisphère ruisselant, la silhouette bleutée de ton élève. Pas spécialement pressé, cette dernière se rapprochait à son rythme et, lorsqu’elle eut atteint l’abord du dôme, elle s’arrêta. Tu ne lui laissa pas une seconde de réflexion, et au moment même où ses deux pieds furent au sol, tu l’attiras vers toi à toute vitesse.
D’un mouvement, il parcourut la quinzaine de mètres qui vous séparait et tu le stoppas à la distance parfaite pour que son arrêt soudain ne projette aucune goutte d’eau jusqu’à toi. Bien entendu, même si le mouvement était brutale, tu avais fait attention à également te servir de ton don sur sa nuque pour éviter un coup du lapin.
Sans lui laisser le temps de digérer le voyage et après avoir regardé une dernière fois ton carnet pour vérifier son nom, tu lanças d’un ton militaire :
Il y a une semaine, pendant que je glandais sur mon portable, j'avais reçu une notification inattendue ! C'était Mr Mun qui me proposait un rendez-vous pour le 7 mai à 21 h 00. Je m'étais souvenu de qui c'était, car il était passé en tant qu'observateur lors d'un cours en MADP. Ça devait être rare de le voir à ce genre de cours, étant donné la surprise de tout le monde quand il était venu ! Moi, j'suis encore nouveau dans l'académie, donc je ne m'en étais pas rendu compte, c'était juste le CPE à mes yeux. En tout cas, il faisait peur, il avait l'air d'être le cliché du vieux super fort dans les animes ! Il imposait un certain respect.
Je m'étais questionné à propos de la nature de ce rendez-vous. Il était stipulé dans le SMS que c'était pour un entraînement particulier ! Trop cooool, mon premier entraînement supervisé par un ancêtre super badass ! Sans trop réfléchir, j'avais accepté sa proposition. J'allais bien voir le jour J comment ça allait se dérouler ! C'était une occasion en or pour s'améliorer, étant donné que je fais énormément le mariole, je voyais bien que je stagnais. Non pas parce que je ne pouvais pas aller plus loin, mais parce que je n'entretenais pas mon réel niveau. Puis surtout, j'étais à l'aube de mes questionnements intempestif. En acceptant, j'allais sûrement y voir plus clair. Une pierre deux coups !
C'était le grand jour, le jour J. 'Fin... Merci à mon téléphone de m'avoir rappelé que j'avais un rencard ! C'est facile d'oublier ce genre de chose quand on est sollicité par tout le monde et qu'on est occupé à longueur de journée ! Plus de peur que de mal, j'étais paré de la tête au pied pour m'y rendre. J'allais faire beaucoup de trottes vu le lieu de ralliement. J'avais emmené une tenue de sport, des vêtements de pluie, puisque le temps s'y prêtait, et un sac contenant des vivres pour assurer tout le long de la session ! J'avais même pris un petit sac de couchage au cas où ! Il ne pouvait pas m'inviter à un lieu plus conventionnel et plus proche ? Alala... je vous jure, les vieux...
La pluie tombait abondamment, ça en devenait ironique que je m'en plaigne vu la nature de mon don. Au début, j'avais eu la motivation d'être à sec en permanence en absorbant constamment l'eau qui se déposait sur moi, mais j'avais vite abandonné ! Beaucoup trop épuisant ! À la place, je remontais mon écharpe et j'enfilais ma capuche. J'allais me sécher quand je serai à l'abri ! Quoi que... si c'était en extérieur... ça s'annonçait prometteur.
Je regardais mon portable pour revérifier l'emplacement que je devais atteindre. J'en profitais aussi pour checker l'heure, il était 20 h 55. Oups ! J'allais peut-être avoir cinq minutes de retard, mais ça devrait aller, y a des chances que je sois le premier arrivé en plus !
21 h 04, j'apercevais le vieil enseignant au loin, protégé par un dôme translucide. À vrai dire, heureusement qu'il pleuvait, sinon, je n'aurai jamais remarqué cette cloche et je me la serai prise en pleine face ! Je pouvais clairement voir la délimitation grâce aux gouttelettes qui ruisselaient contre la paroi.
Je prenais mon temps, je me faisais désirer comme je pouvais. Pendant ce temps-là, le professeur lisait un carnet. Je me demandais bien ce qui pouvait y être inscrit, de la même façon, je me questionnais sur la nature de son pouvoir. 'Fin bon, je n'avais même pas eu le temps de réfléchir à tout ça que j'étais déjà au pied de la coupole.
Hein ?
À peine je m'étais arrêté devant la barrière que j'étais brusquement attiré par une étrange force. Sans contrôle de mes mouvements, je lévitais et je fonçais à toute vitesse vers l'homme du troisième âge.
Ooooooooooaaaaaaaah !
L'arrêt fut brusque, j'avais bien crû mourir !
À peine remis de ce voyage éprouvant, sans la possibilité de souffler un coup et de me tenir droit que je me faisais déjà sermonné pour mes petites minutes de retard.
Ouais... Je suis... désolé pour mes 5 minutes... de retard.
Disais-je essoufflé, profitant de ce sermon pour me redresser, me frotter l'arrière du crâne et surtout, absorber toute l'eau sur mes vêtements pour être tout sec, comme si je n'étais jamais allé sous cette pluie. Je profitais aussi pour détacher ma capuche avant de surenchérir sur un air moqueur.
Vous n'y êtes pas allé mollo ! D'ailleurs, superbe barrière que vous avez faite ! Vous avez pensé à mes exigences de princesse malgré l'accueil un peu froid !
Un silence planait. Qu'est-ce que je faisais là ? Pourquoi je me comportais encore comme un enfant alors que j'étais parfaitement au courant de ce qu'on allait faire ? Repense un peu à cette fameuse soirée passée avec Isaac. Ni une ni deux, sous le regard sévère de l'enseignant, prêt à me blâmer, je venais claquer mes mains sur mes joues. Il était temps que je prenne les choses au sérieux.
Hmmm... Du coup, pourquoi ai-je été invité à cet entraînement surprise monsieur ?
L'ambiance avait changé. Je regardais l'homme âgé avec respect, les sourcils froncés et les pupilles incandescents. J'étais prêt en à découdre.
Depuis les quelques secondes qu’il était là ton élève avait eu le temps déblatérer trois phrases : des excuses, une pitrerie et une question à peu près pertinente. Ignorant ces deux dernières pour l’instant tu décidas de revenir sur son retard qu’il avait pris, selon toi, bien trop à la légère.
- Pour votre gouverne monsieur Dulac, être à l’heure c’est déjà être en retard. Vous avez donc bien plus que « cinq minutes » de retard. Ensuite, si je vous remercie d’avoir au moins eu la décence de vous excuser, sachez qu’un « désolé » sera de bien piètre utilité lorsque vos cinq minutes de retard auront couté la vie à quelqu’un.
Bien conscient de la rudesse de ton raccourci, tu entrepris de détailler le reste de ta pensée.
- Etre en avance, en dehors d’être un acte de bienséance, c’est démontrer que l’on est une personne de confiance. C’est anticipé le moment ou l’autre aura besoin de nous. C’est pourfendre le puissant ennemi que sont les inutiles regrets. Et c’est, surtout, venir en aide pour éviter de venir au secours, finis-tu par conclure alors que ta dernière phrase raviva l'incandescant souvenir du doux visage qui ne quittait jamais tes pensées.
T’assurant que ton discours ait bien imprégné l’esprit du petit rigolo qui avait fait pour la première fois l’expérience d’une de tes remontrances, tu enchaînas avec la réponse à sa question.
- Concernant le pourquoi de votre présence, la réponse est élémentaire : Pour devenir plus fort en vue des évènements à venir, rien de plus et rien de moins.
Normalement, c’était le moment où tu commençais à radoter sur l’imminence de la guerre à venir, le danger que cela représentait, le manque de préparation des vôtres et cætera et cætera… mais vous aviez déjà assez perdu de temps comme ça. Tu ouvris l’un de tes nombreux carnets, celui dédiés au suivi du perfectionnement de tes étudiants, à la page concernant l’aquakinésiste. Tu avais noté de très nombreuses pistes d’améliorations possibles, bien plus que pour la plupart des autres élèves. En effet, la polyvalence extrême de sa faculté promettait un nombre invraisemblable d’évolution même s’il n’avait pas encore le niveau pour toutes les déployées. Feuilletant les différentes pages couvertes de notes, tu t’arrêtas rapidement sur celle qui te semblait le plus approprié à l’état actuel du jeune garçon.
- Donc, au cas où je ne vous ai pas déjà prévenu, ceci est votre nouveau chez vous pour la semaine à venir. Durant sept jours, tout ce qui n’est pas utile à votre entrainement passe au second plan, cela englobe l’excès de sommeil et de sustentation dont le temps et la qualité seront optimisés pour vous permettre de performer de la manière dont je le souhaite ainsi que l'ensemble des hypothétiques sources de distractions possibles, dis-tu en faisant flotter jusqu'à toi le téléphone du concerné. Concernant vos périodes de cours, tout est arrangé et vos absences seront justifiées. Et concernant mes obligations, cette petite chose sera mes yeux, mes oreilles et mes mains lors de mes absences, ajoutas-tu en pointant un drone de ta création, parfaitement sphérique, entièrement noir et complètement silencieux qui flottait au-dessus de toi depuis le début mais qui se confondait avec le ciel nocturne. Votre objectif est déjà fixé et si vous êtes aussi doué que je le pense vous devriez l’avoir atteint d’ici sept jours tout pile, mais tant que vous ne l’aurez pas atteint vous resterez ici indéfiniment. Et avant que vous ne le demandiez, votre objectif final vous sera dévoilé en temps voulu.
De ton ton militaire, tu avais déblatéré l’ensemble des informations nécessaires à l’étudiant qui avait rapidement compris qu’il ne faisait pas bon interrompre l’instructeur. Vous pouviez enfin passer à l’entrainement.
- Pour atteindre votre objectif, il va vous falloir travailler votre précision, votre puissance, votre contrôle et votre endurance. Notre premier exercice concernera les deux premiers aspects de votre aquakinésie.
Sans plus attendre, tu pointas du doigt un rectangle ligneux de quelques centimètres d’épaisseurs cloué à un arbre par une aiguille. La pièce de bois avait été taillé télékinétiquement par tes soins un peu plus tôt dans la soirée et les aiguilles étaient ta marque de fabrique, avec les craies… les bâtons… les taquets à l’arrière de la tête… et globalement tout ce qui permettait de remettre un élément perturbateur sur le droit chemin.
- Cette pièce rectangulaire contient en son centre un minuscule trou façonné par la même aiguille que celle qui lui sert de clou. Ce trou sera votre cible.
Joignant les actes aux paroles, tu affaiblis ton dôme en un point pour permettre à la pluie de se déverser devant toi sur quelques centimètres. À l’aide de ton don tu assemblas ces gouttes d’eau céleste pour façonner une fine et longue lance aqueuse avant de renforcer ton dôme, à nouveau hermétique.
- Observez.
En un éclair, la flèche élémentaire traversa la planche de bois ainsi que l’arbre sur laquelle elle était clouée. Une fois cela fait, tu guidas ta création pour qu’elle fasse machine arrière en repassant par le trou qu’elle avait elle-même crée, puis tu attiras le moreau de bois vers toi.
- Regardez, ce morceau n’a pas reçu une goutte d’eau. Ma lance n’a même pas touché les bords du trou crée par l’aguille. C’est votre premier objectif : réussir à blesser l’arbre en passant par ce trou sans mouiller la planche. On passera à la prochaine étape quand vous y arriverez. Pour cela vous vous servirez de l’eau que vous éjecterez depuis vos doigts en lui appliquant suffisamment de pression. Vous n’avez pas besoin de transpercer l’arbre de part en part pour réussir, mais vous devrez au moins atteindre le centre du tronc.
Enfin, reclouant la cible à un arbre et te perchant sur une branche d’un autre:
- Vous pouvez immédiatement débuter et ne jamais vous arrêter à moins de réussir ou d’en recevoir l’ordre.
Tu aurais pu lui faciliter la tâche, lui donner des conseils ou des outils pour le guider dans son perfectionnement mais, dans un premier temps, tu étais d’abord curieux de voir ce qu’il était capable de produire seul. Tout en le regardant se mettre en position tu ressortis ton carnet pour pouvoir le mettre à jour en direct et d’un hochement de tête tu marqua le début de la longue semaine qui l’attendais.
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